Intervention de Marcel-Pierre Cléach

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Marcel-Pierre CléachMarcel-Pierre Cléach, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Je précise que cette réforme ne vise que le temps de paix et que le code de justice militaire prévoit le rétablissement des tribunaux militaires en temps de guerre.

Je ne vous cacherai pas que j’étais au départ assez réservé sur cette réforme, par crainte d’une moindre prise en compte de la spécificité militaire devant les juridictions ordinaires. Toutefois, ma position a évolué au fur et à mesure des auditions auxquelles j’ai procédé, et je suis désormais rassuré sur ce point, pour trois raisons principales.

Tout d’abord, le tribunal aux armées de Paris n’a de militaire que le nom, puisqu’il est composé exclusivement de magistrats civils et qu’il applique le code de procédure pénale.

Ensuite, le tribunal aux armées de Paris reste une juridiction hybride, rattachée au ministère de la défense, et les magistrats du parquet sont nommés par le ministre de la défense sans avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature.

Ces règles dérogatoires alimentent les suspicions de dépendance et de partialité de cette juridiction militaire. De plus, elles ne tiennent pas compte de l’évolution du statut de la magistrature, et surtout de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Enfin, le volume d’activité de cette juridiction est faible : le tribunal aux armées de Paris reçoit annuellement de 1 600 à 1 700 procédures et prononce entre 180 et 190 jugements.

La suppression de cette juridiction serait donc source de simplification et de rationalisation.

Comme j’ai pu le constater lors de mes auditions, cette réforme est accueillie très favorablement par les militaires. En effet, à leurs yeux, ce qui compte, c’est moins le maintien d’une juridiction spécialisée, dont la dimension militaire est surtout symbolique, que la prise en compte de la spécificité militaire.

Cette spécificité militaire tient en particulier à l’avis préalable du ministre de la défense avant l’engagement de poursuites à l’encontre d’un militaire et à l’impossibilité, pour la victime, de faire citer directement un militaire devant une juridiction de jugement. Or ces règles particulières seraient maintenues avec la réforme.

À titre anecdotique, je préciserai que le tribunal aux armées de Paris a son siège dans une caserne militaire, celle de Reuilly-Diderot, que je connais bien pour y avoir séjourné plusieurs mois pendant mon service militaire avant de partir en Algérie. Or le ministère de la défense s’est engagé à céder cette caserne à la Ville de Paris, afin qu’elle y construise des logements sociaux.

Tout en approuvant cette réforme, j’ai proposé, en m’inspirant de la proposition de loi que j’avais déposée, cinq amendements à notre commission, qui les a adoptés à l’unanimité.

Nous avons ainsi estimé indispensable de prévoir l’avis du ministre lorsqu’un militaire est susceptible d’être poursuivi à la suite d’une plainte contre X, d’une plainte avec constitution de partie civile ou à l’occasion d’un réquisitoire supplétif. Cet avis est un élément très important, car il permet d’apporter un éclairage sur des situations opérationnelles complexes, notamment en opérations extérieures, comme en Afghanistan, par exemple. Je rappelle que cet avis, assorti d’un délai d’un mois, est simplement consultatif. Il ne liera donc pas le procureur de la République.

Nous avons aussi clarifié les compétences concernant les infractions commises à bord des navires ou des aéronefs militaires.

En outre, nous avons souhaité simplifier la définition de la désertion. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la professionnalisation des armées ne s’est pas traduite par une raréfaction des cas de désertion, bien au contraire. D’après les données du ministère de la défense, le nombre des désertions a augmenté de 500 % en dix ans. Les juridictions sont donc inondées de cas de désertion, qui, la plupart du temps, ne font pas l’objet de condamnations. Nous avons donc souhaité clarifier et harmoniser la définition de la désertion, que celle-ci intervienne sur le territoire français ou à l’étranger.

Enfin, nous avons souhaité formuler quelques observations.

Ainsi, nous pensons, monsieur le garde des sceaux, qu’il serait utile que le ministère de la justice lance une réflexion sur l’idée d’un regroupement des juridictions de droit commun spécialisées en deux ou trois pôles spécialisés en matière militaire. Ce regroupement aurait le mérite de renforcer la centralisation des affaires militaires et la spécialisation des magistrats.

Je voudrais également insister sur la formation des magistrats. En effet, compte tenu de la professionnalisation des armées, ainsi que de la féminisation de la magistrature, il me paraît indispensable de renforcer la formation des magistrats aux affaires militaires, à l’École nationale de la magistrature ou par des stages.

Par ailleurs, je voudrais vous faire part de mon inquiétude quant à l’avenir du corps des greffiers militaires. Ceux-ci, qui sont souvent d’anciens militaires, apportent en effet une expertise précieuse aux juges chargés de ces affaires. Il serait utile à mes yeux d’engager une réflexion sur l’avenir de ce corps en voie d’extinction.

Enfin, compte tenu des difficultés matérielles actuelles de la justice, il me semble que cette réforme devrait s’accompagner d’un transfert de personnels et de moyens du ministère de la défense au ministère de la justice.

Si les coûts de fonctionnement du tribunal sont relativement limités, les frais de justice peuvent représenter un montant assez élevé en matière militaire.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées recommande donc au Sénat l’adoption des articles 23, 24 et 26 du projet de loi, tels que modifiés et complétés par les amendements qu’elle a adoptés.

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