Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette discussion ne peut être isolée du contexte de crise aiguë que connaît notre justice depuis maintenant plusieurs années.

Les retards en moyens accumulés durant cette période sont tels que les mesures de rattrapage, à hauteur de quelque 4 %, votées en loi de finances sont loin de suffire à combler les manques qui affectent notre système judiciaire. Je rappellerai que le classement de quarante-trois pays d’Europe au regard de l’efficacité de la justice, établi en octobre dernier par la Commission européenne, place la France au trente-septième rang.

Dès lors, le présent projet de loi ne répond pas à l’urgence avérée qu’il y a à mettre enfin en œuvre une profonde réforme de notre justice. Le mouvement de protestation des personnels de justice du mois dernier n’est que la dernière illustration en date de l’état d’exaspération inquiétant qui accable notre monde judiciaire.

La priorité n’est certainement pas d’examiner des textes comme celui-ci selon la procédure accélérée. Pour dire clairement les choses, ce projet de loi est frappé au coin de l’incohérence.

Cette incohérence tient d’abord au fait qu’il comporte des dispositions hétérogènes formant un fourre-tout dont on peine à trouver la ligne directrice. Pourquoi proposer un texte ad hoc visant à transposer certaines recommandations du rapport Guinchard, dont il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire, alors qu’un grand nombre de ces recommandations ont déjà été mises en œuvre dans d’autres textes législatifs ou réglementaires ?

L’incohérence tient, ensuite, au calendrier. Vous nous soumettez, monsieur le ministre, un texte qui tend à supprimer les juridictions de proximité, alors que vous venez de présenter un projet de loi sur les jurys populaires en correctionnelle qui ajoute au désordre législatif actuel. Les juges de proximité avaient pourtant été créés par votre majorité, en 2002, afin de « répondre aux besoins d’une justice plus accessible, plus simple et capable de mieux appréhender les litiges de la vie quotidienne », pour reprendre les termes de l’exposé des motifs qui, à l’époque, accompagnait le texte. Ce dessein n’était pas, en soi, critiquable, mais les moyens budgétaires et humains n’ont jamais été à la hauteur de l’ambition initiale, et l’on n’a pas donné à ces magistrats toutes leurs chances.

S’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que, depuis quelques années, le budget de la justice a régulièrement augmenté, les retards accumulés sont tels que les crédits ne sont toujours pas à la hauteur des besoins.

Certains exemples mettant en lumière la gravité de la situation confinent à l’absurde.

Ainsi, à Orléans, le budget du tribunal d’instance a été réduit de 30 %. Les juges de proximité n’assistent donc plus aux audiences correctionnelles, afin de permettre que des crédits puissent être conservés pour payer des vacataires.

Les vacations des juges de proximité du tribunal d’instance de Tours ont été divisées par deux en 2010, en raison d’une baisse brutale des moyens de 27 %.

La cour d’appel de Riom s’est même trouvée dans l’impossibilité de rémunérer des juges de proximité.

Dans certaines juridictions des Hauts-de-Seine, comme celle de Puteaux, la plus importante du département, il n’y a plus d’audiences depuis septembre 2010. Les juges sont au chômage forcé, si bien que l’une des juges en poste a proposé de n’être payée que sur le budget de 2011…

Au 1er janvier dernier, seules 276 juridictions sur 305 étaient pourvues d’au moins un juge de proximité. Dans les 29 autres, un juge d’instance est tenu d’assurer les audiences.

En substance, la Chancellerie a volontairement réduit l’activité de ces juridictions, en les asphyxiant financièrement, pour justifier ensuite leur suppression et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance.

Pourquoi, alors qu’il était clair, dans l’esprit du Gouvernement, que ces juridictions étaient condamnées, avoir poursuivi en 2010 le recrutement de juges de proximité ? Pourquoi entériner cette suppression, qui entraînera de nouvelles charges pour les tribunaux d’instance, ce dont ils n’ont certainement pas besoin ? Vous-même, monsieur le rapporteur, avez exprimé des doutes, puisque vous avez déclaré en commission que « donner, avec les contentieux jusqu’à 4 000 euros, une charge supplémentaire aux juges d’instance représente un vrai défi en termes de moyens ».

Les juges de proximité ont pourtant su démontrer leur utilité, malgré les conditions de travail difficiles qui leur ont été imposées. Rattacher ces magistrats au tribunal de grande instance reviendrait à les transformer en simples supplétifs mal payés et mal considérés des magistrats professionnels, ce que la majorité des membres de mon groupe ne peut accepter. C’est tout simplement aller au rebours de ce qu’est une justice à la portée de tous les justiciables.

Il est pour nous évident, et Jacques Mézard y reviendra en défendant notre motion tendant au renvoi du texte à la commission, qu’une vraie réforme de la justice de proximité aurait, par exemple, pu consister à réfléchir à la possibilité de confier aux juges de proximité la phase de conciliation obligatoire en matière de petits litiges.

En tout état de cause, nous n’entérinerons pas ce recul, pas plus que nous n’acceptons, en matière pénale, que soit encore étendu le champ d’application des procédures non contradictoires que sont l’ordonnance pénale et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’extension continue du champ de ces procédures, initialement conçues pour demeurer des dérogations contenues au droit commun. Ces deux dispositifs ont en commun de ne pas permettre au prévenu de faire entendre sa cause dans le cadre d’une procédure contradictoire, par exception aux principes généraux du droit pénal qui garantissent le respect des droits de la défense. On sait que l’opposition à une ordonnance pénale est, en pratique, une procédure longue et complexe, qui décourage le plus souvent le mis en cause, ce qui revient à le priver de la possibilité de se défendre dans une procédure plus équitable.

Dans le même esprit, il est inexact de dire que le prévenu faisant l’objet d’une CRPC est dans une position équilibrée face au parquet. La culture de l’aveu, le chantage à la peine plus sévère que prononcerait une juridiction et la pression de la convocation concomitante devant une formation de jugement ont pour seul effet d’amener le prévenu à accepter la peine proposée par le parquet, faute de pouvoir mieux se défendre.

L’engorgement des tribunaux est une réalité, mais ne saurait servir de prétexte au développement de procédures qui portent en elles-mêmes atteinte à l’équité et à l’équilibre du face-à-face entre le justiciable et les magistrats. Une nouvelle fois, monsieur le ministre, la solution proposée est sans doute pire que le mal que vous voulez traiter.

Ce nouveau recul des droits ouvre une brèche inacceptable dans le respect des principes généraux de notre droit. Il est heureux que la commission, réticente depuis longtemps devant ces extensions, ait expressément exclu du champ de l’ordonnance pénale les cas de récidive légale et de celui de la CRPC les faits de violence contre les personnes ou les agressions sexuelles aggravées.

Pour ce qui concerne les autres points du texte, j’étais, comme beaucoup de nos collègues, assez perplexe s’agissant de la dispense de comparution des époux devant le juge en cas de divorce par consentement mutuel en l’absence d’enfants mineurs, prévue à l’article 13 du projet de loi. Le divorce, quel qu’en soit le régime, demeure une épreuve psychologiquement marquante. Le passage devant un juge a d’abord le mérite d’assurer que le consentement des deux époux est réel et non vicié, et que la procédure est équilibrée.

Il est normal que les justiciables soient informés du montant des honoraires qu’ils devront régler dans le cadre d’une convention d’honoraires, en particulier si ceux-ci sont importants. En revanche, la liberté de fixation des honoraires de l’avocat doit demeurer le principe, et je ne suis pas convaincu de l’opportunité d’introduire des barèmes indicatifs, eu égard notamment au droit de la concurrence.

La réflexion devrait également se poursuivre s’agissant de la généralisation de la médiation familiale, qui ajouterait sans doute à la complexité de la procédure, sans d’ailleurs que nous connaissions aujourd’hui les modalités de financement d’un tel dispositif.

Des interrogations existent aussi, à nos yeux, quant à la pertinence d’étendre aux tribunaux de grande instance la procédure d’injonction de payer pour les litiges supérieurs à 10 000 euros, en l’état actuel du texte.

S’agissant de l’introduction d’une spécialisation en matière de départition prud'homale, le dispositif proposé permettra sans doute de rationaliser l’usage d’une procédure complexe, dans une matière sensible qui exige une maîtrise approfondie du droit du travail.

Enfin, le texte trouve grâce à nos yeux sur un autre point : la suppression du tribunal aux armées de Paris, dont la compétence sera transférée à la formation spécialisée du tribunal de grande instance de Paris. Cette mesure vient enfin achever l’intégration de la justice militaire en temps de paix dans la justice de droit commun. Elle mettra un point final au vaste mouvement de transformation de nos armées, qui a été marqué par la fin de la conscription et du maintien permanent de troupes en Allemagne. Il était temps de supprimer cette institution, qui était devenue peu compatible avec les principes d’un État républicain.

Toutefois, ces quelques aspects positifs ne sauraient réduire les extrêmes réserves de la majorité des membres du groupe du RDSE sur un texte qu’ils ne jugent ni opportun ni pertinent.

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