Intervention de André Reichardt

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que de chemin parcouru depuis décembre 2007, depuis que le recteur Guinchard fut chargé, par la garde des sceaux de l’époque, de rédiger un rapport sur les moyens de simplifier les procédures contentieuses dans notre ordre judiciaire !

Entouré d’universitaires, de représentants des professionnels du droit, de la justice et des syndicats, le recteur Guinchard avait alors procédé à de nombreuses auditions, afin de recueillir l’avis de l’ensemble des acteurs sur les évolutions souhaitables de l’organisation et du périmètre de l’intervention judiciaire. Il avait ensuite formulé soixante-cinq grandes préconisations. Certaines d’entre elles ont d’ores et déjà été introduites dans la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, d’autres sont reprises dans la proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille relative à l’exécution des décisions de justice.

Vous nous proposez donc aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, de poursuivre cette démarche de modernisation, que ce soit en matière civile ou en matière pénale, en simplifiant cette fois l’organisation judiciaire en première instance et en développant les allégements procéduraux.

À cet égard, nous nous devons d’envisager une justice rénovée, une justice porteuse de sens s’agissant de l’intervention du juge, une justice plus lisible et plus proche des justiciables.

Les Français nous disent depuis trop longtemps maintenant qu’ils comprennent mal le fonctionnement de la justice. Les critères de compétence des juridictions apparaissent flous ; le rôle même du juge est parfois incompris.

Force est de le reconnaître, l’organisation actuelle de la justice, telle qu’elle résulte des strates successives accumulées au fil des ans, est devenue peu lisible pour nos concitoyens. Or, une justice pour tous, c’est d’abord une justice que l’on comprend.

La répartition de principe des compétences civiles entre le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance et, depuis 2002, le juge de proximité, fondée sur les critères de la collégialité ou du juge unique, ainsi que sur la nature des contentieux et la représentation obligatoire ou non par un avocat, a perdu de sa pertinence. Elle est devenue trop complexe et ne correspond plus à la situation actuelle.

La lisibilité se prolonge dans la proximité et l’accessibilité de la justice, objectifs qui doivent s’accompagner d’une prise en compte du développement des nouvelles technologies aux fins de simplification des procédures.

Penser une justice rénovée, c’est envisager une justice adaptée aux évolutions de la société.

La nature des contentieux et la manière dont le besoin de justice est ressenti ont profondément évolué. La justice accompagne les mouvements de société. Ainsi, les séparations et recompositions familiales font que la moitié des affaires dont sont saisis les tribunaux de grande instance concernent le contentieux familial ; la justice civile d’instance doit désormais faire face à la progression des impayés, du surendettement, des mesures de protection comme les tutelles, notamment pour les majeurs.

Des remèdes doivent être apportés à la croissance du nombre des affaires nouvelles, afin d’y répondre efficacement et d’apporter à chacun le droit que le juge doit dire dans un délai raisonnable.

Penser une justice rénovée, c’est aussi établir une justice porteuse de sens pour l’intervention du juge.

Remettre le juge au cœur de son activité juridictionnelle, c’est alléger ses fonctions d’un certain nombre de tâches n’entrant pas directement dans l’exercice de cette activité, afin qu’il puisse disposer de plus de temps pour se concentrer sur sa mission première, qui est de dire le droit, tant au contentieux qu’en matière gracieuse. Revoir le périmètre d’intervention du juge en le remettant au cœur de son activité juridictionnelle, c’est aussi l’aider et l’assister dans l’exercice de celle-ci.

Monsieur le garde des sceaux, en simplifiant l’organisation judiciaire et en allégeant les procédures, votre projet de loi va dans ce sens.

Le principal axe est centré sur une certaine forme de confusion, née de la création, en 2002, de la juridiction de proximité, laquelle aurait, selon certains – nous l’avons encore entendu tout à l’heure – contribué à amoindrir la lisibilité de notre organisation judiciaire.

Aujourd’hui, trois juridictions interviennent dans le contentieux civil de première instance. Les critères de répartition entre ces trois juridictions manquent à l’évidence de clarté. Je n’évoquerai que deux exemples.

Si des squatteurs occupent d’anciens logements, la juridiction compétente pour les expulser est le tribunal d’instance, mais s’ils occupent des bureaux désaffectés, la juridiction compétente est alors le tribunal de grande instance. Où est la logique ?

Si un défendeur forme une demande incidente supérieure à 4 000 euros devant le juge de proximité, son affaire est immédiatement transmise au tribunal d’instance. Il n’a pas à justifier du bien-fondé de sa demande. Il s’agit parfois, à l’évidence, d’un moyen détourné pour choisir tel juge ou éviter tel autre.

Je tiens à réaffirmer ici notre attachement aux juges de proximité. Si la juridiction ne paraît pas parfaitement adaptée à l’objectif initial, les juges qui y sont affectés ont su trouver une place légitime et singulière dans notre fonctionnement judiciaire. En effet, ils apportent une connaissance de terrain et un contact, ce qui est fondamental. C’est pourquoi le groupe UMP souhaite leur maintien.

Néanmoins, nous soutenons la proposition qui vise à rattacher cet ordre de juridiction aux tribunaux de grande instance, car elle permettrait aux juges de proximité d’avoir un meilleur contact avec les juges professionnels. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, il s’agit d’un rattachement organique, dont l’objet est de définir précisément les attributions juridictionnelles des juges de proximité, tant au tribunal de grande instance qu’au tribunal d’instance. Il s’agit de maintenir les fonctions des juges de proximité pour statuer en matière pénale, sur les contraventions des quatre premières classes, mais de supprimer leurs compétences en matière de contentieux civil.

On nous affirme que la réforme proposée permettra d’effectuer des mesures d’instruction dans le cadre de la procédure civile et étendra la participation des juges de proximité en qualité d’assesseur à l’ensemble des formations collégiales du TGI, en matière tant civile que pénale.

Le groupe UMP sera très attentif au débat qui s’ouvrira sur ce sujet, en vue de maintenir les actuelles attributions des juges de proximité. À titre d’exemple, sachez que, en Alsace, ces juges traitent actuellement 20 % des affaires qui relèveraient sinon des tribunaux d’instance. En d’autres termes, leur suppression représenterait une charge de travail supplémentaire de 20 % pour les tribunaux d’instance.

Comme cela a été indiqué, il est indispensable de doter les tribunaux d’instance de moyens supplémentaires, que M. le rapporteur évalue à soixante équivalents temps plein travaillé.

Dans le même temps, il nous est proposé de rationaliser le traitement des contentieux et de spécialiser les juridictions dans les contentieux les plus complexes et les plus techniques, afin de renforcer l’efficacité de la justice pénale.

Ainsi, un pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerres sera créé au sein du TGI de Paris. À cet égard, je ne reviendrai pas sur les propos de M. le rapporteur pour avis, que le groupe UMP soutient pleinement.

De même, les contentieux consécutifs à des accidents collectifs – catastrophes majeures en matière de transports, risques technologiques, dommages dus à une pollution en mer, qu’elle soit volontaire ou non – seront traités par une juridiction spécialisée, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Le présent projet de loi a aussi pour objet d’alléger certaines procédures. L’essentiel des innovations concerne le civil et les procédures en matière familiale.

Monsieur le garde des sceaux, vous proposez deux modifications importantes à la procédure applicable devant le juge aux affaires familiales.

En premier lieu, vous prônez l’allégement de la procédure de divorce par consentement mutuel pour les couples qui n’ont pas d’enfant mineur en commun. Les parents n’auraient alors plus à comparaître personnellement et systématiquement devant le juge aux affaires familiales. Le juge n’ordonnerait cette comparution que s’il l’estime nécessaire ou si l’un des deux époux en fait la demande. J’avoue m’être longuement interrogé sur cette disposition.

La procédure actuelle, qui se divise en trois phases, permet au juge de s’assurer de la validité des consentements. Le juge ne prononce le divorce et n’homologue la convention que s’il a acquis la conviction que la volonté des époux est réelle et que le consentement est libre et éclairé.

Ainsi, là où certains estiment que l’entrevue des époux devant le juge, d’abord séparément, puis ensemble et, enfin, avec les avocats peut être vécue comme une formalité inutile, cette procédure offre au juge l’occasion de s’assurer de la réalité des consentements. C’est une situation que j’ai vécue à titre personnel, monsieur le garde des sceaux.

Comme l’a d’ailleurs rappelé notre collègue Jean-Pierre Michel en évoquant son expérience professionnelle en matière de divorce, le fait de recevoir le couple en comparution permet de mesurer l’acuité des crises et de décider, si cela se révèle nécessaire, un délai de réflexion. Nous devons penser aux situations les plus délicates, lorsque certaines parties sont parfois très faibles.

En second lieu, monsieur le garde des sceaux, vous prévoyez une expérimentation de l’obligation de recourir à la médiation familiale pour les actions tendant à faire modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale. La saisine du juge aux fins de modification de telles mesures devrait, par conséquent, être précédée, à peine d’irrecevabilité, d’une tentative de médiation, sauf si les parents sont d’accord sur les modifications envisagées ou si un motif légitime justifie une saisine directe du juge.

Mes chers collègues, une telle expérimentation constitue certes une approche pragmatique, qui peut permettre à terme de mieux définir un autre mode de résolution des conflits, toutefois, la seule mise en œuvre de cette expérimentation suppose la mobilisation de moyens importants dans les services de médiation familiale. Et je suis, je l’avoue, peu convaincu de l’opérationnalité immédiate d’une telle disposition.

La commission des lois a me semble-t-il trouvé une solution tout à fait raisonnable afin d’éviter que les délais de médiation familiale ne s’étendent de manière excessive, ce qui retarderait le règlement des litiges. Ainsi, l’obligation de médiation préalable pourra être écartée si, en raison des délais d’obtention d’un rendez-vous avec le médiateur, les parties courent le risque de se voir priver de leur droit d’accéder au juge dans un délai raisonnable. J’ai entendu, monsieur le garde des sceaux, vos interrogations sur la notion de « délai raisonnable » ; je ne doute pas que la discussion permettra de lever vos réserves. Toutes ces mesures, j’y insiste, ont pour finalité l’intérêt de l’enfant.

Toujours en matière familiale, je tiens à évoquer la régulation des honoraires d’avocat pour la procédure de divorce.

Vous le savez, le projet de loi prévoit que l’avocat ne pourra demander des honoraires supérieurs au montant fixé par un arrêté, sauf s’il a conclu une convention d’honoraires avec son client. Si le principe de la convention d’honoraires offre au client une plus grande prévisibilité sur les frais auxquels il s’expose, la question du barème d’honoraires mérite d’être discutée. C’est pourquoi la proposition de la commission des lois, qui consiste à fournir une information objective aux parties sur les prix moyens généralement pratiqués en matière de divorce, en prévoyant la publication par arrêté du garde des sceaux, pris après avis du Conseil national des barreaux, de barèmes indicatifs, semble être un équilibre intéressant.

L’allégement procédural concerne également le domaine pénal. Reprenant pour partie les préconisations formulées par le rapport Guinchard, le projet de loi étend le champ de trois procédures pénales simplifiées dans le souci d’améliorer l’efficacité du traitement des contentieux simples ou ne donnant pas lieu à contestation.

Néanmoins, comme l’a rappelé M. le rapporteur, si la procédure de l’ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux simples, nous considérons qu’elle n’est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes. Nous soutenons donc l’idée d’encadrer strictement l’extension du champ d’application de l’ordonnance pénale.

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC, communément appelée le « plaider coupable », permet au procureur de la République de proposer à une personne reconnaissant avoir commis un délit une peine qui, en cas d’accord de l’intéressé, pourra être homologuée par le président du tribunal.

Il nous est proposé d’étendre la possibilité pour le parquet de recourir à la CRPC pour l’ensemble des délits, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions limitativement énumérées. Cette procédure présente des avantages non négligeables, notamment une plus grande individualisation de la peine. Cependant, comme l’a rappelé à juste titre M. le rapporteur, les délits les plus graves portant atteinte aux personnes doivent également être exclus de cette procédure.

J’évoquerai enfin la procédure de l’injonction de payer. Introduite dans le droit français en 1937 pour les créances de nature commerciale, puis étendue aux créances de nature civile et à toutes les créances d’origine contractuelle, elle permet à un créancier d’obtenir la délivrance d’un titre exécutoire sans débat préalable. Elle est aujourd’hui organisée devant la juridiction de proximité, le tribunal d’instance et le tribunal de commerce. Il nous est proposé de l’étendre au TGI. Le tribunal d’instance resterait compétent pour connaître des requêtes en injonction de payer qui, même supérieures à 10 000 euros, relèvent de sa compétence exclusive, comme celles qui sont relatives au crédit à la consommation ou aux baux d’habitation.

J’ai souhaité déposer, sur l’article concerné, un amendement visant à permettre que la requête en injonction de payer puisse être déposée devant le TGI par le créancier ou par le mandataire, comme c’est aujourd'hui le cas devant le tribunal d’instance, et ce afin d’alléger les frais de justice pour les créanciers. Il ne faut naturellement pas alourdir le coût de la procédure par un tel transfert. Je me réjouis que M. le rapporteur présente une proposition identique.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UMP votera ce texte, qui va dans le sens d’une justice plus simple, plus équitable et plus accessible. Mais, je le répète, nous souhaitons le maintien des juridictions de proximité dans des conditions acceptables tant pour les intéressés que, naturellement, pour les justiciables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion