Intervention de David Assouline

Réunion du 13 avril 2011 à 21h45
Immigration intégration et nationalité — Article 34

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

La justice est dans la rue ! Le 9 février dernier, 40 % des magistrats administratifs ont fait grève, ce qui est énorme pour cette profession, afin de manifester leur opposition à ce projet de loi, plus particulièrement à la disposition visant à permettre la délocalisation des audiences dans des salles spécialement aménagées à proximité immédiate des centres de rétention administrative ou en leur sein.

Le Conseil constitutionnel ayant confirmé, en censurant l’article 101 de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qu’il n’est pas possible de tenir des audiences au sein même d’un centre de rétention, M. le rapporteur a supprimé cette faculté lors de l’examen du texte en commission. Néanmoins, cette suppression ne change rien au problème puisque les audiences n’auront plus lieu dans le centre, mais dans une pièce juste à côté.

Cette mesure vise à réduire les coûts des escortes nécessaires pour conduire les étrangers des centres de rétention vers les juridictions administratives, ce qui permettrait au ministère de l’intérieur de réaliser des économies. Cependant, qu’en est-il de l’impact de cette disposition sur le budget du ministère de la justice, déjà exsangue ?

Le Gouvernement a-t-il chiffré le coût du temps perdu par les magistrats dans les transports ? Par exemple, le tribunal de Strasbourg se trouve à 180 kilomètres du centre de rétention le plus proche... Le temps que le juge passera à parcourir cette distance sera autant de temps perdu pour le traitement des dossiers, ce qui risque de désorganiser les juridictions.

Le Gouvernement a-t-il pris en compte l’impact de la délocalisation sur les autres dossiers ? Celle-ci entraînera sans aucun doute un effet d’éviction sur les autres dossiers et s’accompagnera d’un allongement des délais de jugement pour tous les contentieux autres que le contentieux des étrangers.

Le Gouvernement a-t-il prévu des postes de juges administratifs supplémentaires ou des postes de greffiers ?

Cette justice « sur place » ne satisfait ni les règles du procès équitable ni les exigences de publicité des débats. Imposer au tribunal de siéger dans un lieu relevant exclusivement de la police met gravement en doute l’indépendance et l’impartialité de la justice, qui sont au cœur du procès équitable.

Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 du projet de loi ne garantissent pas le respect du droit à un procès équitable, tel qu’il résulte des articles 66 de la Constitution et 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Elles sont contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans trois arrêts du 16 avril 2008, a considéré que, pour respecter les règles d’indépendance et d’impartialité, la salle d’audience doit être identifiée comme un lieu judicaire à part entière, signalisée, dans un bâtiment distinct qui n’apparaisse pas comme une extension du centre de rétention.

La justice ne saurait être rendue dans un lieu dépourvu de solennité et qui, de surcroît, appartient à l’une des parties. La tenue d’audiences délocalisées risque d’accroître la confusion parfois déjà présente dans l’esprit des justiciables entre l’administration et le juge administratif.

Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 du projet de loi sont également contraires au principe de la publicité des débats, qui découle de l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

D’après la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la publicité des débats « ne peut être correctement assurée dans des centres de rétention administrative dont l’accès est réglementé, contrôlé et subordonné à l’autorisation donnée par l’une des parties au procès ».

En outre, les centres de rétention étant souvent isolés, excentrés et difficiles d’accès, il est à craindre que les droits de la défense soient gravement entravés lors des audiences délocalisées. Ce type d’audiences poserait inévitablement des problèmes en termes de déplacement pour les familles et les soutiens. Elle rendrait également plus difficiles la transmission des pièces nécessaires à la défense et les conditions d’entretien avec l’avocat ou les membres de l’entourage susceptibles d’aider l’étranger à la préparation de sa défense. Quant au respect de la confidentialité de ces entretiens et l’accès de l’étranger au dossier s’il souhaite assurer seul sa défense, ils ne seraient pas non plus garantis.

Les dispositions prévues à l’alinéa 11 de l’article 34 du projet de loi risquent, enfin, d’ouvrir une brèche juridique. Il est, en effet, à craindre que des audiences délocalisées soient organisées, à l’avenir, dans des établissements pénitentiaires. La mise en place d’une justice d’exception pour les étrangers placés en rétention pourrait, à terme, déboucher sur une remise en cause des droits des personnes placées en détention. Cette crainte est d’autant plus justifiée que le droit des étrangers est devenu depuis quelques années un terrain d’expérimentation pour réformer les autres pans de notre droit.

Les principes fondamentaux de notre État de droit ne sauraient être ainsi bafoués !

Monsieur le président, je vous présente mes excuses pour avoir dépassé le temps de parole qui m’était imparti, mais j’annonce par avance que je ne m’exprimerai pas au titre des explications de vote.

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