Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Demande de renvoi à la commission

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

En tout état de cause, nous ne partageons pas la philosophie du rapport Guinchard, dont l’objectif fondamental est la déjudiciarisation de tous les secteurs de la justice, ce qui est aussi aberrant que de mener une politique de santé en diminuant le nombre de praticiens et d’établissements de santé. Quant à la seconde partie du rapport, son thème, « Remettre le justiciable au cœur du système judiciaire », nous semble constituer l’aveu d’un terrible échec. D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous avez-vous-même déclaré – propos révélateur – que c’était le magistrat, et non le justiciable, qu’il convenait de remettre au cœur du système judiciaire.

En réalité, ce moignon du rapport Guinchard que vous nous présentez aujourd’hui n’est pas un pas vers la modernité, c’est un cautère sur une jambe de bois. C’est une nouvelle marque de méfiance envers la magistrature et une étape supplémentaire, Robert Badinter l’a fort bien rappelé, vers la toute puissance du parquet.

Pourtant, ce texte examiné en procédure accélérée et quasiment en catimini intervient au moment où la justice française est en plus mauvais état que jamais, où l’exaspération justifiée des magistrats, des auxiliaires de justice et des justiciables est à son comble.

En neuf ans, la situation s’est aggravée, avec la conjugaison d’une absence chronique de moyens, malgré de réels efforts, et d’une insécurité juridique dénoncée de toutes parts et découlant d’une véritable frénésie législative et réglementaire.

La justice est devenue un organe malade dans notre corps républicain. Cette pathologie redoutable, vous la traitez par des amputations, une série de placebos, en refusant de lire le diagnostic et d’utiliser les thérapies adéquates. On cherche une politique cohérente, on trouve une accumulation de mesures disparates, de la suppression des avoués près les cours d’appel – quelle curieuse urgence ! – à la carte judiciaire, en passant par le mouvement perpétuel des textes sécuritaires... Tout cela a pour conséquence première et gravissime de compliquer l’action des professionnels.

Quand les textes vont dans le bon sens – je pense à la loi pénitentiaire –, le manque de moyens pour les appliquer fait naître une insatisfaction compréhensible.

L’urgence, aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux – je sais que vous en êtes conscient –, est de dire : « Halte au feu ! » La réforme ne saurait s’assimiler à la danse de Saint-Guy. Il est devenu impérieux de nous accorder un temps de réflexion pour dresser un bilan, dégager des axes de bon sens, élaborer une programmation. Vous évoquiez tout à l’heure l’idée d’une juridiction unique qui maillerait l’ensemble du territoire. Pour remettre la justice sur les rails, pour redonner confiance à tous ses acteurs, il faudra du temps !

La méfiance chronique à l’égard des juges devient dangereuse, d’autant qu’elle est parfois ressentie de façon presque épidermique. Ce projet de loi nous paraît inopportun. S’il est mené dans une discrétion exceptionnelle, il n’en aura pas moins des effets néfastes sur une justice déjà très fragilisée.

Monsieur le garde des sceaux, vous assumez un héritage. À défaut d’y renoncer, acceptez-le au moins sous bénéfice d’inventaire.

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