Intervention de Pascal Savoldelli

Réunion du 23 novembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Discussion générale

Photo de Pascal SavoldelliPascal Savoldelli :

Nous avions proposé de rejeter le budget d’un bloc. Vous décidez qu’il nous faut en débattre, dont acte. Nous y sommes prêts. Nous présentons devant le Sénat un budget d’initiative citoyenne, constitué de 200 propositions.

Mais comment appréhender la discussion d’un projet de budget non financé ? Alors que le déficit s’élève à 145 milliards d’euros et l’endettement à 280 milliards d’euros, nous atteignons des niveaux records. Il faut donc parler de dépendance aux marchés financiers.

De fait, la bulle créée par les intérêts de cette dette entraîne une fragilité de l’État. Il n’est pas seulement question de l’appréciation des agences de notation ou des injonctions de l’Union européenne, pour qui le niveau de nos dépenses ne sera jamais trop bas. Cette dernière a fixé à 2, 3 % la limite pour la croissance des dépenses primaires nettes quand vous prévoyez que celle-ci atteindra 2, 6 %. Dans les deux cas, l’inflation sera supérieure. Les dépenses publiques diminueront donc en volume. C’est factuel.

La Commission européenne menace d’engager contre la France une procédure pour déficit excessif. Que répondrez-vous ? Le Gouvernement continuera-t-il de discréditer l’impôt et les cotisations ? L’imperceptible croissance pourra-t-elle réduire mécaniquement les déficits ?

La crédibilité économique et financière de la France, ses principes républicains aussi, comme l’égalité, sont menacés par ces décisions budgétaires.

Pour rester un bon élève de l’Europe, la France met fin au bouclier énergétique. Celui-ci coûtant trop cher à l’État, on voudrait nous faire croire que l’énergie serait devenue bon marché. En réalité, ce n’est pas le constat que font les Français.

Dans sa déclinaison française, le bouclier énergétique a représenté un coût net de 32 milliards d’euros. Monsieur le ministre, vous avez limité la hausse des prix de l’énergie, mais vous savez bien qu’un rattrapage est en cours. Cette année, les prix ont augmenté de 15 % en février et de 10 % en août et ils devraient encore augmenter de 10 % au mois de février prochain, et ce alors que les usagers sont censés être protégés par le bouclier énergétique.

Selon votre collègue Agnès Pannier-Runacher, un tiers de la facture serait pris en charge par l’État. Toutefois, à ma connaissance, les salaires et les pensions n’augmentent pas d’autant !

Nous sommes donc face à une appropriation budgétaire par les marchés financiers et par l’Union européenne, qui reste assise sur une logique de comptabilité. Cela pèse en plus de la pratique gouvernementale d’un 49.3 solitaire sur ce budget.

Quand l’Assemblée nationale perd sa voix, c’est la démocratie qui est aphone. L’intervention citoyenne est ignorée, voire réprimée.

Monsieur le ministre, la menace d’un shutdown à l’américaine en cas de rejet du budget est un argument qui n’est ni sérieux sur le fond ni respectueux sur la forme.

L’article 47 de la Constitution est clair, qui prévoit dans son troisième alinéa : « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. » Permettez-moi donc de vous rappeler, si besoin en était, que la Constitution ne commence pas à l’article 49, alinéa 3.

Une partie de nos concitoyens ne mange plus à sa faim. Pour subvenir à leurs besoins primaires, ils doivent piocher dans leurs petites économies. Ils veulent se nourrir, se loger et se chauffer. La dernière étude de l’Insee montre ainsi que 500 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, alors que celle-ci se fait plus intense et incisive.

Témoignant de cette réalité, les associations d’aide alimentaire menacent et s’indignent « de devoir trier les pauvres ».

Dans un autre registre, on a constaté, le mois dernier, une décollecte record depuis 2009 sur les livrets d’épargne réglementés, à hauteur de 4, 4 milliards d’euros.

Quant aux prix de l’alimentation, ils poursuivent leur ascension vertigineuse, en augmentation de 21, 3 % entre août 2021 et août 2023. Pourtant, le ministre et candidat permanent Le Maire affirme que « la crise inflationniste est derrière nous ». C’est absolument indigne !

En effet, nous savons désormais, grâce à des analyses étayées, que plus d’un tiers de la hausse des prix alimentaires provient de la dynamique des coûts salariaux, le reste s’expliquant entre autres par les marges des entreprises agroalimentaires.

Toutefois, M. Le Maire, dont chacun a pu remarquer l’absence au banc des ministres, persiste à expliquer « qu’il n’y a pas eu de profiteurs de l’inflation dans l’alimentaire ». Je vous laisse juges…

Le chômage augmente. L’illusion du plein emploi à coups de boutoir sur la démocratie sociale, sur les travailleuses et les travailleurs, porte un bilan sombre. La croissance, dont le taux augmentera de 1 % en 2023 à 1, 4 % en 2024, ne permettra pas de résorber le chômage. Elle créera de l’intérim, faute de mieux, du RSA – les présidents des conseils départementaux apprécieront – et de la misère, y compris pour les retraités, car l’augmentation du montant des pensions ne suffira pas face à l’inflation.

En voulant poursuivre le démantèlement de notre modèle social, à travers notamment le dispositif de l’assurance chômage, le Gouvernement met en danger la cohésion nationale. La boussole perd donc le nord, quel que soit le cap fixé, financier, économique ou social.

Une politique de l’offre soutient non pas l’économie, mais l’accumulation primitive de capital. Nous risquons une paralysie de l’économie sous la double conjonction de l’inflation et de l’augmentation du coût de l’accès au capital. Si nous ne relançons pas la demande, donc la satisfaction des besoins, en prélevant sur la spéculation, toute politique est vaine dans un tel contexte.

Il faut reconnaître toutefois que le Gouvernement, qui subit la pression de la démocratie sociale et qui est bien forcé de constater l’impasse de ses choix politiques, a concédé quelques prélèvements sur certaines richesses. Des organismes sérieux préconisaient depuis longtemps ce type de mesures, qui correspond – vous le savez, monsieur le ministre – à une aspiration forte de nos concitoyens. Je rappelle toutefois que c’est grâce à la gauche du Parlement que vous avez pu procéder à de telles ouvertures et certainement pas grâce à l’extrême droite.

La transposition de l’accord sur l’imposition mondiale sur les multinationales est intéressante. Toutefois, monsieur le ministre, est-il bien sérieux de fixer le seuil à 15 % ? Et combien y aura-t-il d’exemptions ou de motifs de non-imposition ? Il faudra vraiment être un gros poisson pour être pris dans vos filets. Cette « révolution fiscale », comme certains la qualifiaient, s’apparente à une adaptation du moins-disant fiscal.

Nous défendrons plusieurs amendements sur l’article 4 qui viseront à donner toute sa force à cet accord historique, car si nous en restons là, c’est notre modèle de société qui risque d’être menacé.

Après de multiples tergiversations, le Gouvernement consent à taxer les concessionnaires d’autoroutes et les grands aéroports. Depuis 2004, les parlementaires communistes demandent la nationalisation de ces équipements déjà payés par le contribuable, afin d’aller chercher les bénéfices des concessionnaires, qui représentent entre 30 milliards et 35 milliards d’euros.

En réalité, votre mesure ne permettra d’en récupérer qu’une petite partie, car vous fixez un seuil de rentabilité supérieur à 10 % avant de pouvoir prélever le moindre euro. Certes, l’entreprise Vinci menace d’attaquer l’État, mais affirmons-le haut et fort : les lois qui doivent primer sont celles de la République et pas celles des grands actionnaires. À travers la représentation nationale, le peuple fait la loi sans céder au chantage.

Ce budget sera marqué par la suppression de la CVAE, certes échelonnée, mais bel et bien réelle. Toutefois, si les entreprises peuvent continuer de payer cette contribution pendant quatre ans de plus, c’est qu’il ne devait pas être si urgent de la supprimer.

Monsieur le ministre, vous nous parlez de stabilité fiscale, mais je regrette que vous n’en appliquiez pas les principes. Renoncez à cette césure entre l’activité économique et les territoires, qui sont liés par l’impôt.

En somme, il n’y a que quelques éclaircies dans un ciel bien sombre. Vous tenez le cap envers et contre tout, envers et contre tous.

Nous irons plus loin que le Gouvernement dans la lutte contre la fraude fiscale. En effet, nous proposerons d’interdire toute forme de justice négociée qui permet aux fraudeurs de s’en tirer avec une amende en lieu et place d’une condamnation pénale.

Ainsi, lorsque nous avons rencontré les représentants de l’entreprise Google pour leur présenter notre proposition, ils nous ont confirmé que l’entreprise avait pu, en toute légalité, négocier de payer 1 milliard d’euros au lieu de 8 milliards d’euros. Personne d’autre n’a droit à ce genre de faveur.

Monsieur le ministre, où sont passées les entreprises dans vos mesures contre la fraude fiscale ? Les avez-vous oubliées ? Nous défendrons la sanction d’indignité fiscale pour celles qui commettent des délits fiscaux.

Nous proposerons donc un contre-budget d’initiative citoyenne, dont le déficit sera significativement réduit. Si l’on veut faire preuve de responsabilité, il faut aller chercher les profits indus, les rachats d’actions et les versements de dividendes par milliards d’euros.

Face à la concentration des richesses, nous proposons de supprimer les niches fiscales. Le simulacre de discussion que vous avez lancé sur le sujet, pour aboutir à une économie de 1 milliard d’euros, n’aura trompé personne.

Face à la pauvreté, nous proposons de bloquer les prix. Chacun prendra ses responsabilités.

Face à la crise du logement, nous proposons la relance de la construction dans le parc social grâce au rétablissement du taux de TVA à 5, 5 %. Là encore, chacun prendra ses responsabilités.

Face à la crise des services publics locaux, nous proposons de consacrer le principe de la liberté des communes dans la fixation de leur imposition. De nouveau, chacun prendra ses responsabilités.

Notre budget d’initiative citoyenne est juste socialement et réalisable. Les 200 propositions qui le composent sont le réceptacle du travail que les députés ont réalisé, même s’ils ont été empêchés par le 49.3. Elles font aussi écho aux alertes qu’a lancées l’opinion publique au cours des derniers mois.

Donner la parole à la Nation tout entière, voilà ce que nous proposerons dans cet hémicycle.

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