Intervention de Stéphane Sautarel

Réunion du 23 novembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Discussion générale

Photo de Stéphane SautarelStéphane Sautarel :

J’en viens maintenant au fond, à ce que signifient les chiffres qui nous sont soumis.

Le projet de loi de finances pour 2024 célèbre cinquante ans de déficits publics. Et de quelle manière, si je puis dire, tant l’ampleur du déficit semble déraisonnable !

La Commission européenne vient encore de signaler à la France qu’elle était parmi les derniers élèves de la classe.

Le présent projet loi de finances nous livre un « déficit extrême », comme le dit notre rapporteur général, en raison de la hausse des taux d’intérêt que nous subissons et de la charge de la dette qui est en train d’exploser sous le triple effet de l’inflation, de l’augmentation des taux d’intérêt et, surtout, de l’accroissement de la dette elle-même.

Pis encore, en 2024, l’État prévoit d’émettre une dette record de 285 milliards d’euros. Notre addiction à la dépense publique, à la dette souscrite pour fonctionner, et non pour investir, reste bien réelle. Cela risque de très mal se terminer pour tous les Français. Je veux ici, une nouvelle fois, vous alerter, les alerter.

Rappelons quelques caractéristiques fondamentales de la copie que vous nous présentez pour 2024.

Il s’agit d’un projet de loi de finances triplement inquiétant, qui continue à précipiter notre pays dans les abîmes.

D’abord, on ne peut que constater l’optimisme des prévisions macroéconomiques : une hypothèse de croissance très favorable, supérieure à toutes celles qui ont été émises par les organismes économiques, et des indicateurs pour lesquels on retient toujours le meilleur scénario. Cette posture met en cause la sincérité même de ce budget, qui pourrait se dégrader davantage compte tenu du resserrement de la politique monétaire et d’incertitudes grandissantes au niveau géopolitique.

Ce projet de loi de finances se caractérise par un déficit public, qui est le deuxième plus élevé de la zone euro – 4, 4 % du PIB – et qui représente 45, 7 % des ressources de l’État. La France reste en outre le troisième pays le plus endetté de la zone euro – 109, 7 points du PIB –, avec une dette en hausse de près de 12 points depuis 2017, quand la dette de l’Allemagne se situe à peine au-dessus des 60 points.

La charge de la dette – 84 milliards d’euros – sera le premier poste budgétaire de l’État en 2027. Elle atteindra déjà 56 milliards d’euros dès 2024. Et encore, on peut raisonnablement considérer que l’ensemble de ses facteurs d’évolution pourraient la faire grimper encore davantage.

Rappelons que le stock de la dette publique française dépasse désormais les 3 000 milliards d’euros : chacun doit s’imprégner de ce montant. Même la Grèce rembourse sa dette par anticipation ; la France, elle, la laisse gonfler, au point que même l’économiste Olivier Blanchard s’en inquiète désormais.

Enfin, ce projet de loi de finances acte des dépenses publiques toujours en augmentation : celles-ci représenteront 100 milliards d’euros en deux ans, malgré le retrait des mesures prises pour faire face à la crise.

Je profite de cette occasion pour rappeler que seul l’État est responsable du déséquilibre des comptes publics, puisque les collectivités sont tenues de voter leur budget à l’équilibre et que les dépenses sociales pèsent bien moins.

Le maintien de la dérive toxique du « quoi qu’il en coûte » et la hausse constante des dépenses de l’État – + 22, 3 % depuis 2017 – se confirment dans presque tous les ministères.

Ce qui est peut-être encore plus frappant dans ce projet de loi de finances, c’est la création de 8 500 emplois publics supplémentaires, sans qu’une réelle réflexion de fond ait été engagée sur nos politiques publiques. Nous devrions nous interroger sur cette problématique au vu de l’efficacité de nos services publics dans tous les secteurs.

Ce manque de réflexion avait été largement dénoncé dans les hôpitaux publics durant l’épisode le plus aigu de la crise de la covid-19, mais il semble également souvent valable dans l’éducation nationale, sans parler des agences et des autorités indépendantes que le Gouvernement a multipliées au cours de ces dernières années.

Pour réduire le déficit et limiter le recours à l’emprunt, deux voies peuvent être empruntées.

Pour ma part, je considère que le niveau de nos prélèvements obligatoires – 45, 6 % –, le plus élevé de l’OCDE après le Danemark, nous interdit d’accroître la pression fiscale ; par ailleurs, l’absence de réformes structurelles ne nous permet pas encore de diminuer nos ressources fiscales.

Aussi, nous vous proposerons plusieurs pistes d’économies pour plus de 5 milliards d’euros, et ce afin de respecter la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques que nous avons votée au Sénat.

Je me concentrerai sur trois d’entre elles.

Tout d’abord, je proposerai des amendements visant à réduire la dépense fiscale, c’est-à-dire les niches fiscales, dont le montant cumulé atteint près de 200 milliards d’euros lorsqu’on y intègre les niches sociales. Et vous ne cessez d’en ajouter, monsieur le ministre, alors que la Cour des comptes s’interroge sur leur efficacité.

Il convient aussi d’être attentif aux effectifs publics qui créent durablement de la dépense publique. Il faut s’engager vers une réduction draconienne des effectifs de l’administration « administrante », cette administration qui gère, contrôle, édicte des normes, mais qui ne produit pas de service public, afin de tendre vers un rapport 80-20 : 80 % de la masse salariale devant les élèves, les patients, les citoyens à protéger, et 20 % au plus pour gérer les services.

La dernière piste d’économies consiste à réaliser une revue drastique et volontariste de nos dépenses publiques, loin de toute politique de rabot, en commençant par les dérives nées de l’agencification de la sphère publique et de la multiplication des doublons administratifs dus en partie à une décentralisation ou à une déconcentration non aboutie.

À cet égard, la liberté et la lisibilité de l’action doivent être retrouvées, et un nouvel équilibre entre l’État et des collectivités autonomes et responsables peut et doit être rapidement établi. J’aurai l’occasion d’y revenir au cours du débat.

Continuer à rogner l’autofinancement des collectivités constituerait une faute. Après le logement social, ne faites pas tomber les collectivités, les départements, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les infrastructures de mobilité.

Ces quelques pistes – et nous vous en proposerons d’autres – nous donneraient une boussole ; elles permettraient de tendre vers une sphère publique plus libre, plus responsable, plus efficace, plus pragmatique, plus proche, engagée dans les transitions et la souveraineté, une sphère publique telle que les Français sont en droit de l’attendre.

C’est un cap qui protège, mais aussi qui autorise et qui permet d’espérer.

Pour finir, j’évoquerai un motif de satisfaction, l’article 7 portant réforme des zones de revitalisation rurale. La mise en place de zones France ruralités revitalisation (FRR), un dispositif amendé de manière concertée et partagée, doit contribuer à répondre à l’attente de nos territoires ruraux. Il s’agit d’un message d’espoir pour lequel le Sénat a toujours œuvré. Si vous savez y répondre, en intégrant avec pragmatisme, c’est-à-dire avec efficacité, les amendements attendus, nous saurons vous accompagner et saluer cette action.

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