Intervention de Michel Billout

Réunion du 12 mai 2005 à 15h00
Régulation des activités postales — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Cette résolution avait pour objet la transposition d'une directive européenne relative au développement des services postaux communautaires et à l'amélioration de la qualité du service.

Dix ans après, qu'en est-il de ces bonnes intentions ?

En soumettant La Poste aux seuls critères de rentabilité et de performance économique, vous privez le pays du service public qui représente l'intérêt général territorialisé, vous abandonnez les missions étatiques d'aménagement du territoire et de cohésion sociale.

Ce faisant, vous revenez sur les principes d'égalité d'accès aux services publics. En effet, avoir dans sa commune un point poste, une agence postale communale ou un bureau de plein exercice ne revient pas au même : c'est une véritable différence pour les usagers, ou plutôt, devrais-je dire, pour les « clients », selon les nouveaux impératifs de gestion de cette entreprise publique.

D'un côté, nous avons du personnel qualifié et compétent et, de l'autre, au mieux, de la bonne volonté. Il s'agit bien d'un service au rabais proposé pour maintenir la présence postale en milieu rural !

Comment seront fixées les règles d'accessibilité ? J'ai peine à croire que des critères autres que celui du rendement du bureau de poste entreront en ligne de compte pour décider de son maintien.

Les élus des territoires ruraux voient ainsi disparaître un à un leurs services publics, ce qui renforce le déclin et la désertification de ces territoires.

Concernant les critères d'accès au réseau postal définis à l'article 1er bis, la commission mixte paritaire a finalement retenu la proposition faite par le Sénat en deuxième lecture, selon laquelle, sauf circonstances exceptionnelles, pas plus de 10 % des habitants d'un département ne peuvent être éloignés de plus de 5 kilomètres et de 20 minutes de trajet automobile d'un point d'accès au réseau postal.

Nous continuons à considérer qu'il s'agit d'une rupture, inscrite dans la loi, des principes d'égal accès et de continuité territoriale, qui exclut 10 % de la population du bénéfice d'une présence postale de proximité.

Par ailleurs, la formulation « sauf circonstances exceptionnelles » laisse la porte ouverte à toutes les dérives.

Parallèlement, vous persévérez dans votre volonté de filialiser les services bancaires assumés par La Poste en créant la banque postale, une banque comme les autres, qui ne se souciera guère de tous ceux qui sont exclus du système classique, car ils ne rapportent pas assez.

De plus, un rapport du Sénat affirme que La Poste n'a pas vocation à détenir l'ensemble du capital de sa filiale. Cette ouverture se fera par une décision du Gouvernement sans consultation du Parlement.

En votant ce projet de loi, c'est en réalité le service bancaire postal que l'on brade aux intérêts privés afin de leur permettre, une nouvelle fois, de réaliser des profits rapides et maximaux. Or, on le vérifie chaque jour, la rentabilité économique s'obtient au détriment des usagers et des personnels.

J'en veux pour preuve le fait que vous allez jusqu'à supprimer l'obligation faite à La Poste d'ouvrir un compte épargne à toute personne qui le demande. Vous mettez ainsi fin au service public bancaire. Nous, à l'inverse, nous proposions de créer un pôle public bancaire. Mais cette mesure, qui vous dérange, n'a jamais fait l'objet d'un débat sérieux.

La mise en oeuvre de cette loi, associée au contrat de plan 2003-2007, annonce la fin de la péréquation et la possibilité pour les investisseurs privés de se saisir de secteurs financièrement intéressants en ne laissant à La Poste que la partie la plus difficile de ses missions.

La direction de La Poste elle-même sera donc contrainte d'appliquer de nouveaux critères de gestion afin de permettre une meilleure rentabilité de ses activités. En effet, en choisissant, par exemple, un bureau classé de plein exercice, elle déterminera une zone allant jusqu'à douze kilomètres à la ronde - les fameuses zones de vie - et fixera un seuil de rentabilité. Tout bureau qui n'atteindra pas ce seuil sera transformé ou fermé.

Les concurrents vont donc se saisir des pans les plus rentables afin d'y offrir des prix plus attractifs, d'autant qu'ils n'ont pas à assumer les obligations de service public, alors même que la directive de 1997 permettait de les soumettre à des contraintes de service public, notamment de desserte de l'ensemble du territoire national. Pour faire face à cette concurrence, La Poste devra encore fermer des bureaux et réduire les coûts. C'est une spirale de déclin et de recul qui est engagée !

La confiance des usagers dans La Poste s'est faite sur la base des valeurs de la République. Ce projet de loi est une atteinte au pacte républicain et aux principes de solidarité nationale. Il entraînera une remise en cause du statut avec le recours accru au recrutement de contractuels et donc d'opérations de division des personnels.

La mise en concurrence des entreprises publiques avec des entreprises privées, qui ne sont pas soumises aux mêmes charges, ne peut que se solder par la mise en péril de la survie de La Poste. En effet, on ne peut que s'interroger sur les moyens que mettra en oeuvre La Poste pour gagner de nouveaux marchés, le marché du crédit, par exemple, n'étant pas extensible.

La Poste a d'autres missions à remplir pour développer le service public. Pour cela, elle a besoin de disposer d'un réseau étendu, contrairement aux préconisations de la Cour des comptes, qui nous annonce qu'« avec 2 915 bureaux, La Poste améliorerait considérablement la rentabilité globale de son réseau, car elle ne perdrait que 3, 25 % de son chiffre d'affaires total tout en améliorant son résultat de 4 % ». Dans ces appréciations, où se situe le souci de répondre aux besoins de la population ?

Comme je le disais il y a quelques instants, le Parlement tente d'améliorer la situation de La Poste en adoptant le principe de la création du fonds de compensation du service universel postal. Mais je crains qu'il ne s'agisse là d'un artifice, car, au lieu de laisser à La Poste les moyens d'assurer la péréquation entre ces différentes activités pour offrir un service public de qualité, vous préférez libéraliser le marché en soumettant les nouveaux entrants à une taxe basée sur leur chiffre d'affaires réalisé pour la fourniture du service universel. Encore conviendra-t-il de vérifier la création de cette taxe et la fixation de son montant.

Vous allez un peu loin en prônant les bienfaits du marché par la mise en concurrence, tout en faisant croire que l'intérêt général tiendra à coeur aux nouveaux prestataires de service.

Nos propositions n'étaient, bien évidemment, pas celles-là. Pour les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, il fallait financer ce fonds avec une taxe dont l'assiette aurait été basée sur les revenus financiers des nouveaux opérateurs, donc de l'ensemble de leur revenu. En faisant un autre choix, vous privez ce fonds des ressources nécessaires à sa bonne activité.

Vous nous répondrez, comme d'habitude, que le Gouvernement n'a fait que son devoir en transposant la directive de 1997. Pourtant, vous allez beaucoup plus loin que ce qu'elle propose. Ainsi, vous dessaisissez complètement le pouvoir politique de toute intervention dans ce domaine en créant une autorité de régulation. Celle-ci est dotée de compétences très importantes, notamment le contrôle de la bonne exécution du service public, dont les missions seront définies par décret pris en Conseil d'Etat.

Il appartient pourtant au Parlement, représentant de la nation, de se prononcer sur les moyens accordés à l'action publique et sur les règles auxquelles elle est soumise. Mais, encore une fois, la représentation nationale est contournée !

Il est vrai que, avec le projet de Constitution européenne que l'on nous propose d'adopter, cette tendance sera renforcée. Ce type de loi sera effectivement la conséquence directe du traité, toute autre politique que celle de libéralisation et de mise en concurrence ne sera plus possible.

Pourtant, à l'aube du XXIe siècle, les besoins en termes de solidarité et d'égalité sont immenses. La mise en oeuvre de services publics performants économiquement, socialement et humainement correspond à une réponse pertinente. Le véritable travail parlementaire consisterait à mieux définir ces besoins, à y apporter des solutions et à ne pas se résoudre, par choix idéologique, à abandonner toute initiative de l'Etat.

Bref, abandonner la mission étendue du service public postal est un recul sans précédent pour la société tout entière. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent s'y résoudre. C'est pour cette raison qu'ils voteront contre le projet de loi.

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