Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, La Poste n'est pas une entreprise comme une autre : elle occupe une place particulière dans la société française, elle participe pleinement au pacte républicain, elle est un outil au service de la cohésion sociale et territoriale du pays et elle est un vecteur de développement économique local et de lien social.
Dans les communes rurales, La Poste est bien souvent le dernier service public présent après la fermeture de tous les autres. Elle est, pour nombre de personnes à faibles revenus, le seul accès possible aux services bancaires et financiers. En un mot, elle est, tant pour la population que pour les élus locaux, un service public de proximité irremplaçable.
Le groupe socialiste du Sénat a voulu saisir l'occasion de l'examen de ce texte pour traduire dans notre droit cette place à part que La Poste occupe dans notre société et lui offrir des perspectives de développement pour mieux satisfaire les demandes de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, vous n'avez rien voulu entendre. Avec les députés de la majorité nationale, vous avez construit un texte dont l'unique objet est de créer de la concurrence pour créer de la concurrence, de faciliter l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché postal, quitte à fragiliser non seulement La Poste, mais aussi le service public postal. Vous n'avez pas voulu donner à La Poste les moyens de son développement dans le respect des valeurs du service public. Dans ces conditions, le groupe socialiste ne peut que voter contre ce projet de loi.
Pour illustrer mon propos, je prendrai quelques exemples.
Le premier exemple a trait au dispositif de régulation ou, plutôt, de dérégulation, car c'est de cela qu'il s'agit.
Vous avez refusé, comme nous le proposions, d'utiliser tous les moyens qu'offraient les directives européennes pour ouvrir le marché postal à la concurrence de manière progressive et maîtrisée, qu'il s'agisse du régime d'autorisation, du périmètre des services réservés et du contenu ou des modalités de financement du service universel postal.
Tout d'abord, j'évoquerai le régime d'autorisation.
L'accès au marché postal est quasiment libre. Les nouveaux opérateurs ne sont soumis à aucune obligation de desserte de l'ensemble du territoire. Ils vont pouvoir s'emparer des marchés les plus rentables, sans avoir à supporter l'une des principales charges de service public. Ce seront autant de prestations à valeur ajoutée qui échapperont à La Poste ; ce seront autant de ressources en moins pour financer le service universel.
Sur ce point, vous avez tout de même fini par accepter de définir dans la loi les modalités de fonctionnement et de financement du fonds de compensation du service universel postal. Mais ce fonds est pour l'instant virtuel, puisque, pour sa mise en route, vous vous en remettez, j'aurais tendance à dire « comme toujours », à un avis à venir de l'ARCEP.
Par ailleurs, vous avez considérablement réduit l'assiette de ce fonds en prévoyant une multitude d'exonérations et de plafonnements. De la sorte, c'est le service public que vous fragilisez.
Ensuite, j'aborderai le périmètre des services dits réservés.
La Poste perd le monopole des recommandés utilisés dans le cadre des procédures juridictionnelles et administratives. Vous avez accepté in extremis de réserver cette activité aux seuls opérateurs titulaires d'autorisation, comme les sénateurs socialistes l'avaient proposé. II n'empêche que ces documents conditionnent la sécurité des actes juridiques, et l'on a du mal à comprendre pourquoi La Poste, qui dispose d'un savoir-faire et de personnels assermentés, ne s'est pas vu réserver cette activité.
Enfin, en ce qui concerne le rôle du politique, que vous avez dépouillé de sa mission première, à savoir veiller à l'intérêt général, en donnant, en définitive, les pleins pouvoirs à l'autorité de régulation des communications électroniques et de la Poste, nous ne pouvons vous suivre.
Pour parachever le tableau, vous avez ni plus ni moins remis en cause la qualité des prestations offertes au titre des missions de service public. Vous n'avez pas voulu, comme nous le demandions et comme le permettent les directives, instaurer un prix unique du timbre sur tout le territoire pour l'ensemble des prestations du service universel postal. Vous n'avez pas non plus voulu, même en commission mixte paritaire, encadrer par la loi les possibilités de déroger à une disposition essentielle du service public postal : la distribution du courrier jusqu'au domicile de l'usager. Cela n'est pas acceptable ! C'est une remise en cause des principes mêmes du service public : l'universalité, l'égalité de traitement, la péréquation tarifaire.
Le deuxième exemple concerne la banque postale.
Vous avez choisi de filialiser les services financiers de La Poste au sein d'un établissement de crédit dont le capital n'est même pas détenu en totalité par La Poste. Vous avez créé une banque postale soumise à toutes les exigences du droit bancaire sans lui en donner toutes les prérogatives, notamment en matière de crédit à la consommation.
La maison mère est ainsi réduite à un rôle de sous-traitant à travers son réseau. Dans ces conditions, avec de tels handicaps, nous craignons que la banque postale, dans sa course à la rentabilité, ne demande à La Poste de réorganiser son réseau et que les conditions de travail des personnels des services financiers ne se dégradent.
Pour notre part, nous avons proposé de confier à La Poste la mise oeuvre d'une mission de nouveau service public, le service bancaire universel, qui n'aurait pas seulement été une banque pour les plus démunis, mais aussi une banque offrant des services à tous, sans discrimination et à un coût abordable. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, alors qu'il s'agit d'une attente forte des usagers. Cette banque postale aurait aussi offert aux collectivités locales des prêts spécifiques, confortant ainsi le rôle de La Poste en matière d'aménagement du territoire. Vous avez balayé tout cela d'un revers de main !
Le troisième exemple a trait à la question de l'accessibilité aux bureaux de poste, et non aux « points de contact », comme on doit dire maintenant. Cet aspect est essentiel. II ne s'agit pas que d'une question de sémantique.
L'égalité devant le service public suppose que tous, en tout point du territoire, puissent avoir accès aux mêmes services. Avec ce texte, vous avez enfreint cette règle et, pour la première fois, vous avez légalisé le service public à deux vitesses : des bureaux de poste de plein exercice dans les zones rentables offrant toute la gamme des services et, ailleurs, au mieux, des agences postales communales et, au pire, des points commerçants proposant une gamme de services beaucoup plus réduite.
Vous avez organisé la sous-traitance de la présence postale au titre de l'aménagement du territoire auprès des collectivités locales. Vous avez soustrait l'Etat à ses responsabilités en la matière. Là encore, c'est inacceptable !
Le « partenariat » est désormais le maître mot. Le texte adopté par la commission mixte paritaire est clair : seul cet outil est explicitement cité. Le bureau de poste n'est donc pas l'outil essentiel de l'aménagement du territoire, contrairement à ce que nous avions demandé.
La transformation de bureaux de poste en APC ou en points poste est en route. Les collectivités locales, notamment les communes, sont prises en otage. Elles sont tenues de signer, par le biais de l'Association des maires de France, une convention avec l'Etat et La poste afin de faire fonctionner le fonds de péréquation, dont les recettes sont d'ailleurs bien incertaines, et, s'agissant des communes, espérer recevoir une petite aide financière.
S'agissant des règles d'accessibilité, je note, d'une part, que la règle des « 10 % - 5 kilomètres » a été maintenue, alors que ses conséquences seront à mon avis dévastatrices en zone de montagne, et, d'autre part, que le critère « temps » - un trajet en voiture inférieur à 20 minutes - a été rétabli in extremis en commission mixte paritaire, mais dans une rédaction bien alambiquée. Je crains que cette précision n'empêche pas la fermeture ou la transformation de nombreux bureaux de poste.
Quatrième exemple : les diverses missions d'intérêt général confiées à La Poste.
Le transport de la presse, la banque pour les personnes à faible revenu et le service public postal ont un coût qui ne sera pas compensé avec l'adoption de ce texte, sauf, en partie, pour le service public postal, si le fonds de compensation du service universel postal est effectivement mis en place. De toute façon, la perte de parts de marché résultant de la dérégulation rendra encore plus difficile l'exercice par La Poste de ces missions.
Cinquième et dernier exemple : le manque de moyens du fonds de péréquation.
Les ressources du fonds proviennent notamment de l'allègement de fiscalité locale dont La Poste bénéficie. Il n'y a donc qu'un seul financeur avéré : La Poste elle-même. En outre, le financement issu d'un allègement fiscal ne me semble pas à proprement parler un financement pérenne. Enfin, le fait de garantir le financement d'un fonds de péréquation par des taxes locales, principalement la taxe professionnelle, dont on sait qu'elle pourrait être largement réformée, ne me semble pas être une option sérieuse.
Voilà un certain nombre d'exemples démontrant que La Poste ne disposera pas des moyens de son développement. Démantèlement de La Poste, démantèlement du service public postal, déménagement du territoire, voilà bien, monsieur le ministre, une « course aux handicaps » pour La Poste ! C'est le mauvais scénario de ce projet de loi que le groupe socialiste rejette.