Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le budget de la mission « Enseignement scolaire » – permettez-moi tout d’abord de saluer le travail des rapporteurs.
Le constat est sévère : l’éducation nationale constitue le premier budget de l’État, pourtant, notre système scolaire est en faillite.
Lors de sa dernière session, le baccalauréat a affiché un taux de réussite de 90, 9 %, un résultat inversement proportionnel au niveau des collégiens : plus de 50 % des élèves entrant en quatrième ne maîtrisent les compétences requises ni en français ni en mathématiques. Tel Sisyphe, dans la mythologie grecque, le Gouvernement pousse des moyens budgétaires massifs – ils ont augmenté de 12 milliards d’euros depuis 2017 – pour des résultats très peu probants ; la pierre finit toujours par retomber…
Ce constat soulève la question d’un ajustement structurel du système scolaire.
À cet égard, le Sénat a mené une série de travaux sur le sujet et ses rapports d’information et recommandations, achevés ou en cours, constituent une base solide de travail.
Conscient de ces difficultés majeures, le Gouvernement a fait des propositions, que Max Brisson, Marie-Pierre Monier et moi-même avons évaluées dans le cadre d’un rapport d’information faisant le bilan du premier quinquennat et formulant des propositions.
La rentrée de 2023 a été marquée par le déploiement de nouvelles mesures, comme l’instauration d’une heure de soutien en français et en mathématiques pour les élèves de sixième, et des mesures préexistantes ont été renforcées, à l’instar du dispositif « devoirs faits ». Pour mobiliser le personnel nécessaire à la mise en œuvre de ces dispositifs, le ministère compte sur le déploiement du pacte enseignant. Le Gouvernement nous assure que celui-ci est une réussite : 37 % des enseignants de collège et de lycée et 45 % des professeurs de lycée professionnel se sont engagés dans le dispositif.
Néanmoins, les enseignants se montrent bien plus sceptiques. Même si la revalorisation des salaires, de 258 euros net par mois en moyenne, est sans précédent, elle ne doit pas nous empêcher de regarder en face la défiance des enseignants envers leur ministère, qui est bien réelle ; nous avons pu la mesurer lors de nos auditions. La mise en œuvre et la pérennité du pacte sont fragiles, elles dépendront de l’engagement des enseignants et le risque de leur désengagement et d’une rupture d’égalité entre les établissements n’est pas à écarter.
Je m’interroge par ailleurs sur la réalité de l’école inclusive. La hausse des crédits et du nombre d’AESH est à saluer mais doit être relativisée, car l’augmentation importante du nombre d’élèves concernés en réduit la portée. Le remplacement progressif des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) par les pôles d’appui à la scolarité (PAS), prévu à l’article 53 du texte, pose problème. J’ai d’ailleurs déposé, avec Jocelyne Guidez, un amendement de suppression de l’article.
L’éducation nationale doit mettre en œuvre tous les moyens possibles pour rendre l’école accessible. L’école inclusive ne sera pleinement effective que si elle est adaptée aux besoins spécifiques de chaque élève. Pour ce faire, elle doit se construire en concertation avec les familles et les associations. L’école inclusive passe en outre par une plus grande attractivité du métier d’AESH et par la poursuite des efforts engagés en la matière, du point de vue tant de la rémunération que de la formation.
Max Brisson, Marie-Pierre Monier et moi-même le rappelions en juillet dernier, dans le cadre de notre rapport d’information sur l’autonomie des établissements scolaires : l’école inclusive ne saurait se décréter d’en haut pour tous les établissements du territoire. L’inclusion doit se faire au plus près des établissements : il leur faut plus d’autonomie pour plus d’efficacité.
Je souhaite maintenant insister sur deux autres sujets.
Le premier est l’éducation à la sexualité. Je le répète, aux termes de la loi, cet enseignement fait l’objet d’une obligation de mise en œuvre. Or moins de 20 % des élèves se voient dispenser ces cours. À l’occasion des nombreux travaux qu’elle a menés, la délégation aux droits des femmes a pu en mesurer les conséquences graves.
Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que de nouveaux programmes étaient en cours de préparation par le Conseil supérieur des programmes, mais, au-delà des programmes, il faut de la détermination, de la volonté politique, pour que ces heures deviennent réalité. La lutte contre les violences sexuelles et sexistes passe par l’éducation à la vie sexuelle, mais aussi par l’éducation au numérique ; le rapport d’information sur l’industrie pornographique le confirme.
Second sujet : le harcèlement et le cyberharcèlement. Monsieur le ministre, dès votre prise de fonction vous avez fait part de votre détermination en la matière. Celle-ci se traduit par des engagements budgétaires. Le nombre de victimes et la gravité des faits démontrent l’urgence à agir, nous ne pouvons plus attendre.
Vendredi dernier, j’intervenais au Girouard, en Vendée, dans le cadre d’une conférence sur le cyberharcèlement. J’ai de nouveau pu y constater les conséquences terribles du harcèlement. Les avancées législatives sur l’encadrement de l’espace numérique, en particulier pour les mineurs, se multiplient et en appellent d’autres.
Le harcèlement, le cyberharcèlement et l’éducation à la sexualité ont un point commun : pour accompagner, repérer, signaler et sensibiliser, nous devons offrir aux élèves des espaces d’écoute. Ces derniers ne peuvent être mis en place qu’avec un fléchage de moyens sur la médecine scolaire. À sujet primordial, moyens d’envergure, dit-on ; pour la médecine scolaire, on en est encore loin, comme en témoignent le déficit de postes et le manque d’attractivité du métier.
Enfin, comme tous les ans, je veux attirer votre attention sur l’enseignement agricole, monsieur le ministre. Le budget est, là aussi, en hausse et, depuis 2019, le nombre d’élèves progresse. Toutefois, ces indicateurs positifs ne doivent pas nous dispenser d’être prudents.
D’abord, il convient de maintenir la priorité donnée à l’orientation pour continuer d’attirer les élèves ; des propositions sur ce sujet ont été faites par le Sénat et j’invite le Gouvernement à s’en saisir.
Ensuite, il faut être attentif à la baisse du nombre d’étudiants dans le cursus de brevet de technicien supérieur agricole (BTSA). Selon le ministère, c’est le format de la formation proposée – elle dure deux ans et ne s’inscrit donc pas dans le parcours classique licence-master-doctorat (LMD) – qui freine les candidats potentiels.
Enfin, nous devons être vigilants quant aux moyens alloués aux maisons familiales rurales (MFR). Le rapporteur pour avis et moi-même avons entendu le président de l’Union nationale des maisons familiales rurales d’éducation et d’orientation (UNMFREO), M. Dominique Ravon ; des négociations sont en cours avec la direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) ; je souhaite vivement qu’elles aboutissent.
Nous sommes confrontés à une régression éducative, qui se traduit par un effondrement des connaissances ; le chantier visant à nous sauver de ce naufrage s’annonce important. Monsieur le ministre, je sais que vous êtes pleinement engagé sur le sujet et je salue les décisions courageuses que vous avez prises lorsque vous êtes entré en fonctions, voilà quelques mois. Les enquêtes récentes sur le niveau des élèves nous imposent une obligation de résultat. Nous ne pouvons pas échouer.
Le groupe Union Centriste votera ce budget en hausse, mais l’éducation ne saurait s’appréhender uniquement en chiffres ; les budgets doivent se traduire par des résultats scolaires, c’est à cette condition qu’on mesurera l’efficacité budgétaire.