Intervention de Monique de Marco

Réunion du 1er décembre 2023 à 9h00
Loi de finances pour 2024 — Enseignement scolaire

Photo de Monique de MarcoMonique de Marco :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous débutons l’examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire », je souhaite adresser un message au nouveau résident du 110, rue de Grenelle. Je me permets de vous mettre en garde, monsieur le ministre, contre un certain nombre d’écueils qui pourraient nuire à votre longévité à la tête de cette grande institution.

Vous dirigez la première administration de l’État par le volume de ses crédits et le nombre de ses fonctionnaires et agents contractuels. Ces données peuvent donner le tournis à quiconque se trouve investi de la charge de l’éducation nationale, surtout quand il s’agit d’un « homme de budget ». Par conséquent, attention au syndrome du capitaine Haddock avec ses « Mille millions de mille sabords ! », car, derrière ces masses, derrière ces chiffres, il y a des femmes et des hommes passionnés, mais aussi épuisés par les conditions actuelles d’exercice de leur métier.

Le passage de votre prédécesseur a malheureusement été de trop courte durée pour que l’on ait pu observer sous son ministère un apaisement du corps enseignant, qui reste marqué par les années Blanquer et les réformes conduites à marche forcée. Le besoin d’apaisement entre la communauté éducative et sa hiérarchie est d’autant plus grand que, en l’espace de deux ans, deux professeurs ont été la cible d’un attentat et ont été assassinés à proximité de leur établissement. Écouter, protéger, réaffirmer la confiance dans le corps enseignant : voilà l’urgence !

Au lieu de cela, en quelques mois, les idées de réformes ont fusé dans la presse : remise en cause du collège unique, institution de groupes de niveaux ou encore « écoles normales du XXIe siècle » ; on pense parfois qu’il suffit d’accoler les mots « XXIe siècle » à une vieille idée pour donner une impression de nouveauté…

On compare souvent le pilotage de l’éducation nationale à celui d’un paquebot. Ce pilotage est celui du temps long, mais il est contraint par la cadence annuelle des rentrées scolaires. L’agitation théorique a peu de prise sur elle ; seuls jouent les faits structurels : le nombre d’élèves par enseignant, qui reste encore supérieur à la moyenne de l’OCDE, surtout dans le secondaire ; le niveau de rémunération et de formation des enseignants ; et, bien que le niveau d’absentéisme des enseignants soit inférieur à celui des salariés du privé, le nombre important d’épisodes de découragement, voire de burn-out.

En ce qui concerne la formation continue, l’idée d’un absentéisme causé par la tenue de formations sur le temps scolaire est une idée reçue. En réalité, 84 % des professeurs des écoles ont uniquement bénéficié des dix-huit heures de formation statutaire et 59 % des enseignants du secondaire ont suivi moins de 2 jours de formation, contre 7, 4 jours dans les autres ministères. Surtout, un certain nombre d’enseignants estiment qu’il n’existe pas de formation appropriée à leurs besoins.

Attention enfin à la tentation de l’instrumentalisation de l’institution dans la fracture politique qui divise aujourd’hui le pays. À la suite de l’assassinat de Dominique Bernard à Arras, je vous ai posé une question sur le soutien de la hiérarchie aux professeurs cibles de menaces ; vous avez alors cédé à la polémique en me répondant : « Laïcité ! » Il me semble au contraire nécessaire de limiter les polémiques pour mettre l’école à l’abri des maux du monde. J’ai d’autant plus d’empressement à vous le dire que j’ai consacré, comme beaucoup d’entre nous ici, ma vie professionnelle à l’enseignement.

En tout état de cause, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas les crédits de cette mission, qui ne prennent pas la mesure de la crise que traverse l’institution scolaire.

Un ministre à l’écoute ne justifierait pas la suppression de 2 190 postes par la baisse de la démographie ; il s’appuierait au contraire sur cette tendance démographique pour améliorer le taux d’encadrement, assurer les remplacements ou reconstituer les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). Un ministre à l’écoute comprendrait qu’il s’agit là d’un enjeu de lutte contre la ségrégation scolaire, puisque les postes sont principalement supprimés en zone rurale ou périurbaine.

Surtout, la promesse de revalorisation salariale n’a pas été tenue. L’enveloppe consacrée à la hausse des salaires sera, en 2024, de 1, 3 milliard d’euros pour la revalorisation inconditionnelle, dite « socle », et de 1 milliard d’euros pour la hausse de rémunération liée au pacte enseignant, mais cette augmentation ne permettra pas d’atteindre la revalorisation de 10 % promise par le Président de la République. Pour les AESH également, les mesures proposées sont loin d’être suffisantes et notre collègue Mathilde Ollivier a déposé plusieurs amendements visant à améliorer leur statut.

Monsieur le ministre, nous sommes à vos côtés dans la lutte contre le harcèlement scolaire, je tiens à l’affirmer, mais où sont les moyens consacrés aux cours d’empathie ? Où sont les moyens consacrés à la santé scolaire, l’éducation nationale ayant perdu 30 % de ses médecins et 11 % de ses infirmiers depuis 2017 ? Nous attendons avec impatience le 5 décembre prochain, date à laquelle vous devez annoncer un plan complet pour un véritable choc des savoirs…

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