La question est moins celle du montant absolu des crédits que celle de leur utilisation et de la politique sous-jacente. Nous traversons en effet une crise historique du logement, que le Gouvernement persiste à ne pas vouloir affronter. C’est une bombe sociale majeure, mais, au travers de ce projet de loi de finances, il n’en a pas pris toute la mesure.
Cette crise est tout d’abord celle de l’offre. Il ne s’agit pas simplement d’une phase descendante d’un cycle économique, puisque les points bas des cycles précédents ont d’ores et déjà été dépassés sans qu’aucun signe annonce un redémarrage dans les mois, voire les années, à venir.
Nous le savons tous, le stock de logements est insuffisant ; les demandes de permis de construire sont en baisse, quand les mairies n’accordent pas de rabais – jusqu’à -66 %, dit-on – sur les droits à construire accordés. Le foncier se raréfie du fait du zéro artificialisation nette (ZAN) ; vous l’expliquez me prendrait des heures, mais je ne les ai malheureusement pas, monsieur le ministre.
Cette crise est ensuite celle des coûts de production et de la demande : les prêts accordés ont baissé de 51 % en un an seulement.
Cette crise est enfin celle de la confiance envers le secteur du logement, qui rapporte pourtant 97 milliards d’euros, pour 42 milliards d’euros investis, selon le rapport du compte du logement de 2022. Nous l’avons signalé en vain à M. le ministre Cazenave lors de l’examen de la première partie de ce projet de loi de finances.
Dans notre pays, il faudrait entre 460 000 et 580 000 logements nouveaux chaque année, même si ce chiffre fait débat, je le sais. En tout cas, nous en sommes loin ; la perspective du Gouvernement est de construire 100 000 à 150 000 logements neufs par an, alors que 3 millions à 4 millions de ménages sont mal logés et que 560 000 ménages attendent un logement locatif intermédiaire (LLI).
Par ailleurs, le logement social a atteint un niveau d’activité historiquement bas. Ses capacités financières sont rognées par la réduction de loyer de solidarité (RLS) et par la hausse du taux du livret A. Il ne joue plus son rôle contracyclique.
Près de 2, 4 millions de Français attendent de se voir attribuer un logement, soit 170 000 personnes de plus en un an. Et c’est sans compter que le nombre de logements est bien trop faible dans certaines villes, alors que les besoins sont pourtant avérés. Et cette situation va s’aggraver.
Je pourrais aussi évoquer les effets de la loi Climat et résilience, qui exclut progressivement du marché les logements classés G, F, et E, soit près de 4, 7 millions de logements, lesquels représentent près de 47 % du marché locatif privé.
Face à cette situation, on attendrait une réponse politique vigoureuse, car, sans un logement décent, il n’y a ni éducation ni emploi. Or le Gouvernement est sur la réserve et se contente de multiplier dans ce projet de loi de finances des mesures de faible ampleur, évitant ainsi de prendre le problème à bras-le-corps.
Ainsi, le Gouvernement parle de plein emploi, mais selon moi, les crédits du programme 177, « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », ne font qu’entraîner la hausse de la pauvreté, selon une tendance confirmée par l’Insee.
Le niveau du parc d’hébergements est au plus haut, puisqu’il compte 203 000 places. Pourtant, les associations ne cessent de nous alerter sur le nombre d’enfants ou de femmes enceintes à la rue, qui n’a jamais été aussi élevé.
À titre personnel, j’ai signé une tribune relayée notamment par la Fondation Abbé Pierre, qui révèle que 2 822 enfants – près de 700 d’entre eux ont moins de trois ans ! – sont refusés chaque soir par le 115, soit 41 % de plus en un an. Ils passent la nuit dehors avec leurs parents, dans une voiture ou sous une tente.
De plus, 12 % des étudiants renoncent à poursuivre leurs études pour des raisons liées au logement ; 87 000 d’entre eux sont sans domicile. L’accroissement du parc, qui compte 50 000 places de plus qu’il y a six ans, se fait surtout au travers de types d’hébergements, à l’instar des hôtels, depuis lesquels il est très difficile de basculer vers un logement stable. Et les demandes au numéro d’urgence 115 n’aboutissent pas, comme je l’ai indiqué.
En outre, chaque année, les crédits prévus en loi de finances initiale sont insuffisants ; de nouveaux crédits doivent être ouverts en fin d’année. De nouvelles pratiques avaient été annoncées voilà quelques années, mais, en réalité, la politique d’hébergement d’urgence est toujours gérée dans une perspective de court terme.
Le programme 109, « Aide à l’accès au logement », porte la très grande majorité des crédits de la mission, soit 13, 9 milliards d’euros pour 2024, mais il s’agit d’une dépense de guichet, à l’instar des aides au logement.
Sous le contrôle de M. le rapporteur général, je dirai que les aides au logement sont à peu près le poste de dépenses, dans l’ensemble du budget général, où des économies significatives ont été réalisées depuis 2017, puisque les dépenses ont diminué de 18, 1 % en euros constants. Toutefois, cela résulte non pas de réformes structurelles des dépenses de l’État, mais de mesures de restriction budgétaire, dont le coût est supporté par les bénéficiaires – leurs prestations ont été réduites – et par les bailleurs sociaux, qui prennent à leur charge la réduction de loyer de solidarité.
Quant au programme 135, « Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat », il porte le cœur de la politique du logement du Gouvernement et illustre ses insuffisances. Les crédits prévus pour 2024 sont de 1, 539 milliards d’euros, soit quasiment le double de ceux qui ont été ouverts par la loi de finances initiale pour 2023, principalement en raison du triplement de la subvention versée à l’Agence nationale de l’habitat (Anah), pour la rénovation énergétique du parc de logements privés.
Je ne puis qu’approuver l’accent mis sur la rénovation des logements : la tâche est évidemment immense, car en France ce parc compte 30 millions de logements. Toutefois ces crédits ont un effet d’affichage : les objectifs de MaPrimeRénov’ ne sont toujours pas atteints, les crédits ouverts n’étant que partiellement utilisés. Surtout, la politique du logement ne peut se limiter à la rénovation.
Non seulement le Gouvernement n’a pas de politique du logement, mais il n’est pas à la hauteur des enjeux soulevés par cette question.
J’identifie au moins trois domaines qui illustrent sa mauvaise compréhension des enjeux, laquelle confine à l’idéologie. Nous vous interrogerons d’ailleurs à ce sujet, monsieur le ministre.
Les mesures proposées dans ce projet de loi de finances témoignent bien de votre volonté de favoriser la location plutôt que la propriété individuelle. Je le dis, ce gouvernement a un problème avec la propriété, tout comme il a un problème avec le logement pavillonnaire !
Le logement abordable n’est favorisé que dans le cadre de la location. Or les Français sont, à juste titre, attachés au modèle du propriétaire occupant, surtout lorsqu’ils ont des revenus modestes, car il s’agit d’une sécurité pour l’avenir. C’est, je crois, l’un des enseignements à retenir des votes du Sénat au cours de l’examen de la première partie de ce projet de loi de finances.
Monsieur le ministre, je vous suggère de faciliter la mobilité du logement pour tous, y compris pour les propriétaires. Je vous invite également à travailler sur la fiscalité de l’acquisition des biens immobiliers. Elle représente une part bien trop importante des prélèvements relatifs au logement, puisqu’elle s’élève à plus de 40 milliards d’euros, selon mes discussions avec le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO).
Vous avez aussi un problème avec logement neuf, que vous combattez. Mme Wargon l’avait affirmé publiquement ; vous le prouvez au travers des mesures que vous adoptez.
Or la société a changé, les familles se séparent et la population vieillit. Nous avons toujours besoin de construire de nouveaux logements, et la rénovation ne suffira pas. La lutte contre l’artificialisation des sols ne doit pas être un prétexte pour figer le parc immobilier, dont la taille n’est pas adaptée aux enjeux.
Enfin, pour atteindre ces objectifs, il est impératif que vous laissiez faire ceux qui sont au premier chef concernés par le logement : les collectivités territoriales et leurs élus. À la planification dite écologique, imposée d’en haut par ceux qui savent ce qui est bon pour tous, récemment illustrée par l’installation des COP régionales, j’opposerai le travail des acteurs des territoires, notamment les établissements publics fonciers (EPF).
L’une des clés sera la constitution de foncières, gérées à l’échelon local.