Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début de l’année 2021, Mme Emmanuelle Wargon, alors ministre du logement, avait fixé l’objectif de 250 000 logements sociaux construits en deux ans. En cette fin 2023, nous sommes en passe de battre le record du plus faible nombre de logements sociaux réellement livrés…
Monsieur le ministre, votre projet de budget n’offre aucune perspective de réponse à cette urgence humaine, sociale et économique, à cette exigence de dignité et de sécurité la plus essentielle, à cette violation du droit constitutionnel à disposer d’un foyer pour soi et les siens.
Cette urgence saute aux yeux dans les chiffres que nous connaissons tous : 330 000 personnes sont à la rue, dont près de 3 000 enfants ; 2, 4 millions de ménages attendent un logement social ; 4 millions de personnes sont mal logées ; 15 millions de personnes sont touchées par la crise du logement. En outre, combien de femmes victimes de violences renoncent à quitter leur bourreau faute d’abri pour elles et leurs enfants ?
Ces chiffres sont bien froids. Que disent-ils de la détresse, de la résignation, de la colère et du sentiment d’abandon ressentis par nos concitoyens ? Que disent-ils du ressentiment face à ce pays qui refuse de garantir l’essentiel pour tous et pour chacun ? Que disent-ils de l’angoisse de ne pas y arriver, lorsque le loyer pèse de plus en plus lourd dans le budget, près de 35 %, et jusqu’à 40 % pour les ménages les plus modestes, 50 % pour les étudiants ? Cette dépense contrainte contribue à la paupérisation de nos concitoyens.
Que disent ces chiffres des projets avortés de ces ménages qui rêvent d’accession sociale à la propriété ? Toute la chaîne du logement est bloquée, pour les entrants comme pour les sortants, pour des millions de nos concitoyens, provoquant l’effondrement du secteur du bâtiment et de ses emplois.
Ce projet de budget n’offre aucune perspective de changement. Comment pourrait-il en être autrement ? Votre seul objectif, monsieur le ministre, est de contraindre les dépenses publiques consacrées au secteur, qui sont jugées trop élevées au regard des autres pays de l’OCDE.
Dans le même temps, vous faites supporter la charge aux bailleurs comme aux collectivités, pour lesquelles l’État ne compense pas entièrement les exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), tout en préservant les intérêts des plus favorisés par une fiscalité toujours trop incitative et trop coûteuse.
En effet, tout le monde n’est pas concerné par cette crise ; certains en tirent même un certain profit. Ainsi, 3, 5 % des ménages possèdent 50 % des logements en location, et les multipropriétaires continuent de prospérer, profitant de la hausse des loyers et des prix de l’immobilier qui rendent l’accès à la propriété de plus en plus lointain pour la majorité de nos concitoyens. Il ne revient pas à l’État de financer ces hausses de prix par des crédits d’impôt. Notre groupe souhaite donc encadrer les plus-values de vente, ainsi que les loyers.
Parmi ceux qui profitent de cette situation, on trouve également les marchands de sommeil, qui voient venir à eux les cohortes de naufragés du logement inaccessible.
Face à ce constat, la réponse réside en grande partie dans le logement social, donc dans le soutien massif aux bailleurs sociaux. Pourtant, chaque année, la RLS ampute le budget de ces derniers de 1, 3 milliard d’euros. Quel tour de passe-passe !
Ainsi, ce sont les locataires eux-mêmes qui financent les APL par leurs loyers, seule source de financement des bailleurs. Ces contributeurs sont donc pénalisés deux fois, car le bailleur est dès lors bridé dans sa capacité à construire, à entretenir son patrimoine, à adapter le logement au vieillissement des locataires, à améliorer la gestion de proximité et à rénover ses biens, ce qui entraîne une dégradation de la qualité de vie pour tous les locataires.
Quant à la rénovation visant à lutter contre la précarité énergétique, il s’agit d’un véritable enjeu environnemental, financier, sanitaire et social. Les passoires thermiques seront interdites en 2025 et en 2028, et les moyens pour accompagner les bailleurs privés comme publics sont insuffisants. Si rien n’est fait, 5, 2 millions de logements classés F ou G pouvant potentiellement être mis en location seront sortis du marché.
Ce projet de budget confirme un changement de modèle : l’abandon du modèle généraliste français, qui garantissait un logement abordable et durable pour tous, au profit d’un modèle résiduel, réservé aux plus pauvres. Ce processus signifie l’abandon de la solidarité nationale pour aller vers les investisseurs et l’autofinancement des bailleurs, lesquels doivent être toujours plus gros, toujours plus puissants financièrement et toujours plus déconnectés des territoires.
Lors de votre audition, vous nous invitiez à rêver, monsieur le ministre, pour définir le modèle français du logement dans le cadre du projet de loi à venir. S’agissait-il de mieux nous endormir ? N’en doutez pas, nous resterons éveillés.
Le groupe CRCE – K votera contre les crédits de cette mission.