Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l'apprentissage a été incontestablement un grand succès. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l'apprentissage serait ainsi responsable de la création d'environ 250 000 emplois depuis 2019.
Cette politique souffre toutefois d'une faiblesse qu'il ne faut pas négliger : elle a été conçue sans le financement approprié ou, plutôt, son financement n'est plus adapté à son succès.
Les crédits de la mission « Travail et emploi » demandés pour 2024 reflètent cette réalité. Ils s'élèvent à 22, 9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 22, 6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation de 12, 7 % en AE et 8, 1 % en CP par rapport à 2023.
Au sein de la mission, le programme 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », qui comprend les crédits dédiés aux aides aux employeurs d'apprentis et à France Compétences, connaît la plus forte augmentation.
En effet, la dynamique extraordinaire, pour ne pas dire inespérée, de l'apprentissage ces dernières années s'est traduite, dans une logique de guichet ouvert, par une augmentation importante des charges de France Compétences, qui dépassent largement celles que ses recettes peuvent financer.
Plusieurs dotations exceptionnelles de l'État ont été nécessaires pour soutenir la trésorerie de l'opérateur, avant la création bienvenue d'une dotation pérenne de 1, 7 milliard d'euros dans la dernière loi de finances. Pour 2024, cette dotation s'établit à 2, 5 milliards d'euros, en augmentation de 820 millions d'euros.
Outre ce soutien accru de l'État, la commission a estimé nécessaire de renforcer la rationalisation des dépenses de France Compétences. C'est pourquoi, en concertation avec la commission des affaires sociales, elle a déposé, par la voix de son rapporteur général Jean-François Husson, un amendement visant à diminuer la participation de France Compétences au financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC).
J'en viens maintenant au financement de l'apprentissage, qui constitue la politique phare de la mission « Travail et emploi ».
Si l'on prend en compte l'ensemble des dépenses en faveur de la formation en alternance, c'est-à-dire les aides aux employeurs d'apprentis, les exonérations de cotisations en faveur de l'apprentissage et la dotation de l'État à France Compétences, les crédits dédiés à cette politique dans le budget de l'État s'élèvent à 8, 8 milliards d'euros en AE et 8, 3 milliards d'euros en CP.
Ces montants, très importants, représentent plus du tiers des crédits de la mission.
L'augmentation du nombre d'apprentis a été permise par la réforme de 2018, notamment par la création de l'aide unique aux employeurs d'apprentis. Ciblée sur les petites entreprises et sur les jeunes sortant prématurément du système éducatif, cette aide était réservée, à l'époque, aux PME embauchant des apprentis de niveau inférieur au baccalauréat.
À la suite de la crise sanitaire, une aide exceptionnelle beaucoup plus large a été créée. Elle peut être versée aux entreprises de plus de 250 salariés et pour l'embauche d'apprentis jusqu'au niveau master.
À la fin de l'année 2022, le montant de ces deux aides a été fixé à 6 000 euros, ce qui actait une sorte de fusion des deux dispositifs.
S'il explique une bonne partie du succès de l'apprentissage, un ciblage aussi large présente également des risques d'effets d'aubaine évidents : l'État finance certaines embauches d'apprentis très qualifiés par de grandes entreprises, alors que toutes et tous n'ont pas nécessairement besoin de ces aides.
C'est pourquoi Ghislaine Senée et moi-même vous proposons, au nom de la commission des finances, un amendement tendant à améliorer le ciblage des aides aux employeurs d'apprentis.
Si cet amendement était adopté, les contrats signés entre une entreprise de plus de 250 salariés et un jeune préparant un diplôme supérieur à bac+2 ne donneraient plus droit au versement de l'aide exceptionnelle.
Il s'agit d'un recentrage relativement modeste. Ainsi, l'adoption de cet amendement serait sans effet sur les PME qui, par définition emploient moins de 250 salariés. Elle serait également sans effet sur les entreprises de plus de 250 salariés qui emploient des apprentis de niveau inférieur à bac+3, comme des jeunes en brevet de technicien supérieur (BTS) ou en diplôme universitaire de technologie (DUT).
Les entreprises concernées par cet amendement, c'est-à-dire uniquement celles de plus de 250 salariés qui embauchent des apprentis de niveau supérieur à bac+2, continueraient à bénéficier de l'ensemble des autres aides à l'apprentissage, notamment des exonérations de cotisations sociales.
Je précise enfin que les employeurs publics qui ne sont pas éligibles à l'aide exceptionnelle et aux aides à l'embauche d'apprentis en général ne sont pas concernés par l'amendement de la commission.
En tout état de cause, la situation qui résulterait de l'adoption de cet amendement resterait largement plus avantageuse que celle, déjà très favorable, qui découlait de la réforme de 2018. Il s'agit donc simplement d'assurer, par un meilleur ciblage, l'efficience des dépenses en faveur de l'apprentissage.
Cette réflexion avait d'ailleurs été menée à l'Assemblée nationale, notamment par le rapporteur spécial de la majorité législative, donc présidentielle.
C'est dire si cette réflexion peut aussi être menée de façon très large et constructive dans notre hémicycle, d'autant que la situation des finances publiques invite à nous interroger sur l'efficience de nos politiques.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, ainsi que de l'amendement que Ghislaine Senée vous présentera dans un instant, la commission des finances propose l'adoption des crédits de la mission.