Intervention de Anne-Sophie ROMAGNY

Réunion du 5 décembre 2023 à 9h30
Loi de finances pour 2024 — Travail et emploi

Photo de Anne-Sophie ROMAGNYAnne-Sophie ROMAGNY :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la hausse de 8 % des crédits de la mission « Travail et Emploi », à hauteur de 22, 6 milliards d'euros, serait principalement due au financement de l'apprentissage.

Cette dynamique se poursuit, le nombre de contrats conclus ayant progressé de 159 % entre 2018 et 2022. Pour 2023, ces contrats devraient être au nombre de 875 000. En 2024, ils dépasseraient les 910 000 !

Or, depuis 2020, ces dépenses sont largement supérieures au produit des contributions des employeurs, ce qui explique le déficit de France Compétences de plus de 2 milliards d'euros en 2023. Malgré les mesures de régulation engagées, ce dernier ne se résorbe pas totalement. Il est pourtant indispensable de veiller à l'équilibre des comptes publics.

Si je salue les aides qui soutiennent la dynamique de l'apprentissage – il ne faut pas le fragiliser –, une concertation doit être engagée rapidement avec les partenaires sociaux pour réévaluer et ajuster leur niveau.

Monsieur le ministre, un autre critère doit être apprécié et débattu : il s'agit du taux de rupture des contrats d'apprentissage, que l'Observatoire de l'alternance estime à 20 %, un chiffre considérable et inquiétant.

Ces ruptures concerneraient très majoritairement les faibles niveaux de qualification. Dans plus d'un tiers des cas, elles interviendraient avant la fin de la période d'essai.

Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette croissance.

Le premier est l'absence de parcours d'intégration des apprentis ou de tuteur professionnel qualifié. Parfois recrutés pour permettre des économies à court terme, les apprentis se retrouvent trop souvent livrés à eux-mêmes et peu accompagnés. C'est un piège pour cette main-d'œuvre quasi gratuite et peu armée face aux aléas du monde du travail ! La responsabilisation des entreprises reste donc un facteur-clef de la réussite.

La seconde explication tient à la précarité. L'augmentation du coût de la vie, la raréfaction des logements étudiants ou la métropolisation de l'enseignement supérieur ont un impact direct sur les interruptions d'études et ne sont pas sans conséquence sur les taux d'abandon.

Des solutions en lien avec les régions sont à explorer, à commencer par associer ces dernières au choix de la localisation des futurs centres de formation d'apprentis (CFA), afin d'asseoir un maillage territorial et éviter une raréfaction de l'offre de formation dans les territoires sous-denses.

Il faut aussi former et valoriser les tuteurs en entreprise. À titre d'exemple, la région Grand Est rémunère les tuteurs, ce qui est le gage d'un véritable investissement.

Nous pourrions enfin responsabiliser les entreprises, en cessant d'adresser des apprentis à celles qui ont d'importants taux de rupture, et réévaluer le ciblage ainsi que le niveau des aides.

Monsieur le ministre, agir sur ces ruptures de contrat réduira la dépense publique et en assurera un meilleur ciblage.

Enfin, le dernier point qui me tient à cœur, en tant que présidente de la mission locale rurale du Nord-Marnais, est le soutien à l'insertion des jeunes. Réussir l'insertion d'un jeune, c'est garantir son intégration sociale à l'âge adulte. J'ouvre ici une piste de réflexion : la lutte contre la rupture de parcours ne s'effectuerait-elle pas au sein des missions locales ?

Dans leur rôle de prévention, les missions locales, qui accompagnent déjà les personnes ayant des difficultés d'accès au logement, aux soins et à la mobilité, pourraient prendre en charge ces jeunes, dès l'expression de leur volonté de suivre un apprentissage.

On pourrait aussi leur conférer un rôle de médiation entre le jeune et l'entreprise. En effet, lorsqu'un jeune arrive en mission locale, il est déjà trop tard : sa rupture de parcours est consommée.

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