Intervention de Laurence Muller-Bronn

Réunion du 5 décembre 2023 à 17h00
Loi de finances pour 2024 — Solidarité insertion et égalité des chances

Photo de Laurence Muller-BronnLaurence Muller-Bronn :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2024 concerne les politiques en faveur des personnes les plus fragiles, particulièrement les politiques de l'emploi, du handicap, de la protection de l'enfance et de lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous allons voter cette année un budget qui permet la mise en œuvre d'une mesure phare très attendue : la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), entrée en vigueur le 1er octobre 2023.

Le Sénat s'en félicite, d'autant plus qu'il avait adoptée cette mesure à la quasi-unanimité dès 2021 à la suite de la forte mobilisation qu'avait suscitée la pétition en ligne hébergée sur la plateforme dédiée du Sénat, laquelle avait recueilli plus de 100 000 signatures. Elle a ensuite été adoptée à l'Assemblée nationale en 2022 avant, enfin, d'entrer en vigueur cette année.

Il s'agit d'une avancée majeure. Pour cette raison, nous voterons les crédits que nous examinons aujourd'hui.

En revanche, on ne peut pas décerner le même satisfecit aux autres programmes de la mission « Solidarités, insertion et égalité des chances ». Ce budget suscite en effet plusieurs interrogations.

Tout d'abord, les crédits alloués aux départements nous semblent insuffisants compte tenu des dépenses auxquelles ces derniers doivent faire face, qu'il s'agisse de celles qui sont liées au revenu de solidarité active ou à la prise en charge des mineurs non accompagnés. Comme vous le savez, mesdames les ministres, plusieurs départements ont annoncé suspendre ou limiter les prises en charge, faute de moyens et de personnel encadrant.

En tant que conseillère d'Alsace, je connais cette saturation du dispositif due à l'augmentation constante des flux.

Actuellement, la collectivité européenne d'Alsace prend en charge 860 mineurs non accompagnés, ce qui représente une augmentation de 30 % par rapport à 2022. Or, pour créer cent places d'hébergement supplémentaires, ce qu'elle fera dans les prochains mois, la collectivité doit dépenser plus de 2 millions d'euros, et ce sans aucune aide de l'État.

Mais ce n'est pas tout ! Le rôle des départements étant de protéger et d'accompagner les mineurs, l'État les oblige à les mettre à l'abri dès leur arrivée et à évaluer leur situation. Or les services constatent ensuite, dans 65 % des cas, que ces jeunes sont en fait majeurs et qu'ils ne relèvent donc pas de leurs compétences.

J'ajoute que l'Alsace, département frontalier, reçoit quotidiennement une dizaine de MNA envoyés à la frontière par nos voisins allemands, qui n'ont ainsi pas à les traiter comme des demandeurs d'asile. Cette mission impossible imposée aux départements n'est plus supportable. Elle relève en réalité de la politique migratoire, compétence régalienne de l'État.

Dans ce domaine, il faut agir vite, mesdames les ministres, car la situation n'est pas humainement tenable.

De façon plus générale, l'insuffisance des crédits consacrés à la protection et à l'accompagnement des enfants risque, selon le constat de notre rapporteur pour avis Laurent Burgoa, de conduire à des situations de maltraitance institutionnelle.

C'est inacceptable au regard de la situation alarmante décrite très récemment par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), dans son rapport rendu public le 17 novembre.

Alors qu'on recense 160 000 victimes par an, 70 % des plaintes sont classées sans suite. Cette commission a effectué un travail considérable pour alimenter les décisions gouvernementales et leur mise en œuvre, du repérage des maltraitances au traitement judiciaire, en passant par la prise en charge des soins et de la prévention.

Ne pas suivre ses recommandations, faute de moyens, serait réellement irresponsable. Nous serons donc attentifs aux suites qui y seront données.

Enfin, on ne saurait envisager la question des violences faites aux femmes sans évoquer la précarité économique croissante des femmes, violence en soi venant aggraver toutes les autres.

Si le budget consacré aux droits des femmes augmente, c'est uniquement du fait de la création d'une aide universelle d'urgence pour les personnes victimes de violences conjugales. Et encore l'enveloppe de 13 millions d'euros prévue à ce titre pour 2024 est-elle tout à fait insuffisante, selon le rapport de la commission des finances.

L'émancipation économique des femmes devrait être une priorité politique et collective. Or nous constatons l'inverse dans les faits : pénalisées sur le marché du travail par leur statut d'aidant à tous les âges de la vie, par les congés maternité et les emplois précaires, qu'elles occupent davantage que les hommes, les femmes subissent une violence économique qui ne fait que s'aggraver. Ces inégalités se cumulent et ont des répercussions sur le montant de leur retraite, qui, je le rappelle, est inférieur de 40 % en moyenne à celui des hommes.

Là encore, mesdames les ministres, il faudra impérativement corriger cet état de fait et repenser la dépendance économique des femmes, qui dépasse largement le cadre du programme « Inclusion sociale et protection des personnes » que nous examinons aujourd'hui. §

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