Intervention de Marie-Carole CIUNTU

Réunion du 4 décembre 2023 à 10h00
Loi de finances pour 2024 — Immigration asile et intégration

Photo de Marie-Carole CIUNTUMarie-Carole CIUNTU, rapporteure spéciale de la commission des finances :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette année, l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s’inscrit pleinement dans l’actualité.

Il est au cœur de l’actualité migratoire, tout d’abord, puisque notre pays connaît une très forte hausse du nombre de demandeurs d’asile. Le Gouvernement s’attend en effet à 160 000 demandes d’asile en 2024, soit environ 20 % de plus que le record historique établi en 2019 avec près de 133 000 demandes.

Il se situe dans l’actualité internationale, ensuite, notamment avec la poursuite de l’accueil en France des personnes déplacées d’Ukraine en raison du conflit avec la Russie.

Il s’inscrit dans l’actualité de notre assemblée, enfin, avec l’adoption, le 14 novembre dernier, du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dit Immigration, dans une version significativement améliorée par rapport au texte initial.

Il est d’ailleurs évident que ce texte rend l’exercice d’analyse du présent budget mal aisé cette année. En effet, par construction, le budget de la mission a été établi sans prendre en compte les modifications figurant dans le projet de loi Immigration, notamment celles qui ont été apportées par le Sénat. Aujourd’hui, il ne nous revient que d’analyser les crédits pour ce qu’ils sont.

Il n’est d’ailleurs nullement besoin de reprocher au budget de cette mission de ne pas intégrer des modifications à venir de la politique d’immigration et d’intégration pour constater ses trop nombreux écueils, même en l’état du droit.

D’un point de vue général, les crédits de paiement sont en hausse d’un peu plus de 7 %, soit 150 millions d’euros supplémentaires, s’établissant ainsi à 2, 16 milliards d’euros.

Si l’on y regarde de plus près, on note quelques petites améliorations dans ce budget, mais celui-ci souffre aussi de sérieux défauts.

Parmi les petites améliorations, on constate des efforts supplémentaires en direction des crédits consacrés aux centres et locaux de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière. On observe également quelques hausses – modérées – des crédits destinés à l’éloignement des migrants en situation irrégulière et à la lutte contre l’immigration clandestine.

À l’inverse, les écueils auxquels se heurte ce budget sont beaucoup plus nombreux.

Le premier écueil est que la présentation de ces crédits est incomplète et manque de lisibilité. En effet, comme l’année dernière, le budget prévu n’intègre pas les dépenses liées à l’accueil des personnes déplacées d’Ukraine. Par ailleurs, quasiment la moitié des dépenses de la mission transitent par des associations, dans des conditions qui échappent aujourd’hui trop largement à la connaissance du Parlement : il faudra y remédier.

Le deuxième écueil concerne la dotation au titre de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). Pour 2024, son montant serait en baisse de 21 millions d’euros et s’établirait à 294 millions d’euros.

Un tel montant est manifestement sous-estimé, car cette prévision repose sur un objectif de raccourcissement des délais de traitement des demandes d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui manque de réalisme, en particulier au vu du nombre record de demandes. C’est a fortiori le cas dans un contexte de mouvements sociaux à l’Ofpra.

Le troisième écueil a trait aux résultats obtenus sur le fondement des crédits demandés chaque année.

Je citerai l’exemple de la lutte contre l’immigration irrégulière. Pour donner un seul chiffre, moins de 11 500 retours forcés de personnes en situation irrégulière ont été exécutés en 2022, soit un niveau inférieur de 40 % à celui qui a été constaté en 2019, et ce alors même que la pression migratoire est aujourd’hui plus forte. Le nombre annuel de retours forcés exécutés a même été plus faible en 2022 que durant toutes les années de la décennie 2010.

Enfin, le quatrième et dernier écueil – et sans doute le plus grave – est structurel.

Comme les années précédentes, les équilibres entre les différents types de dépenses ne sont pas bons. Alors que les dépenses liées à l’asile représentent deux tiers des crédits, ceux qui sont dévolus à l’intégration n’en représentent qu’environ un cinquième, ceux qui portent sur la lutte contre l’immigration irrégulière un dixième.

Or une politique d’immigration réussie doit garantir à la fois le renvoi des étrangers en situation irrégulière et l’intégration effective des personnes autorisées à rester en France. C’est une question de bon sens et d’acceptabilité sociale de l’immigration. En ne garantissant pas cet équilibre, le budget de la mission rate finalement sa cible, ce qui est d’ailleurs le cas d’année en année.

En conclusion, les crédits de la mission ne répondent aux besoins en matière d’immigration et d’intégration ni en l’état du droit ni dans celui que le Sénat a construit pour l’avenir il y a quelques semaines.

La commission des finances propose donc le rejet des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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