Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au début du mois de novembre, la tempête Ciaran a frappé la France, laissant derrière elle un spectacle de désolation. De la Bretagne aux Hauts-de-France, on compte des milliers de poteaux à terre, des dizaines de milliers d'arbres arrachés, 300 000 sinistrés, plus d'un million de Français privés d'électricité pendant plusieurs jours – et trois morts.
Ciaran a occasionné 500 millions d'euros de dégâts matériels. Elle succède à Alex, qui avait déjà coûté au pays 200 millions d'euros en 2020.
J'en tire deux conclusions.
La première, c'est que nous ne sommes pas prêts. Mon collègue Uzenat le rappelait lors d'une récente séance de questions d'actualité au Gouvernement, relayant le sentiment de solitude des élus locaux face à cette catastrophe.
La deuxième, c'est que l'inaction climatique va nous coûter cher, et de plus en plus cher. Telle est d'ailleurs la conclusion du rapport Pisani-Ferry-Mahfouz que la Première ministre a elle-même commandé.
Si je rappelle ces évidences, c'est que débattre du budget écologique de la France revient à délibérer non seulement devant la Nation, mais devant l'espèce humaine tout entière, tant les quelques années qui nous séparent de 2035 et de 2050 sont fatidiques.
Depuis quelques semaines, monsieur le ministre, vous avez l'air fier comme Artaban et, pour tout dire, content de vous-même. Les adeptes de la main invisible du marché, dont vous êtes, parlent enfin d'une forme de planification écologique – cela fait des années et des années que nous le demandions.
À étudier votre projet de loi de finances, il nous semble toutefois qu'au mieux vous n'avez pas compris ce qu'est la planification et ce qu'elle emporte ; qu'au pire vous ne faites qu'entretenir l'illusion en faisant semblant d'y avoir recours.
En effet, rappelons-le, vous n'avez toujours pas présenté une stratégie nationale bas-carbone actualisée. Vous n'avez pas de programmation des financements et vous n'avez pas d'articulation entre une telle programmation, de toute façon introuvable, et les investissements des collectivités ; mais vous parlez quand même de « planification »… C'est tout à fait stupéfiant : vous planifiez sans plan !
Au vrai, pour 2024, votre planification écologique ressemble avant tout à un grand mea culpa, à moins qu'il ne s'agisse d'un petit remords, eu égard à votre inaction climatique depuis 2017.
Je reviendrai sur deux aspects de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du budget 2024, en me concentrant, d'une part, sur ses quelques aspects positifs – ils existent et nous les saluons –, d'autre part, sur l'impasse de votre méthode.
Ce projet de loi restera comme celui du réveil tardif du gouvernement d'Emmanuel Macron. Ça y est, vous cessez de détruire les services publics et les administrations chargées de la transition écologique ! Il était temps.
Ce budget contient 7 milliards d'euros de dépenses supplémentaires favorables à l'environnement. J'y note également la pérennisation et l'augmentation des moyens du fonds vert, qui sont portés de 2 milliards à 2, 5 milliards d'euros, ce qui constitue une petite avancée. Les effectifs des ministères et des agences de la transition et de la prévention des risques progressent enfin, quoiqu'ils ne soient toujours pas à leur niveau de 2017, date à laquelle vous êtes arrivés aux responsabilités. L'effort de 300 millions d'euros consacré à la régénération du réseau ferroviaire n'est pas anodin, même s'il doit être mis en regard de l'impact de l'inflation sur les comptes de SNCF Réseau.
Cesser de détruire les services publics n'a pourtant rien à voir avec la planification de la bifurcation écologique. La planification se doit de hiérarchiser les priorités et de déboucher sur des actions claires, financées, dont les conséquences économiques et environnementales sont précisées. Il y va d'une question de méthode.
Or on la cherche encore, votre trajectoire financière ! La synthèse du plan France Nation verte ne contient par exemple aucun – aucun ! – chiffrage. Vous multipliez les plans sectoriels – plan Eau, plan Vélo, plan Biodiversité – sans programmation d'ensemble. Vous faites voter une loi relative à l'accélération de la production d'EnR et une loi relative à la construction de nouvelles installations nucléaires avant même d'élaborer votre loi de programmation pluriannuelle de l'énergie. Bref, vous partez dans tous les sens.
Les objectifs environnementaux ne devraient plus être affichés sans engagement quant aux moyens mobilisés pour les atteindre. Il est une démarche qui, de ce point de vue, aurait pu vous inspirer, celle des plans pour une nouvelle France industrielle d'Arnaud Montebourg. Transversaux, mettant autour de la table administrations et industriels, dotés d'échéances et d'objectifs précis, ces plans dessinaient une nouvelle forme de planification.
Je voudrais pour conclure rappeler le souvenir d'un moment auquel fait écho celui que nous vivons. Nous sommes le 4 mars 1933 ; le président Roosevelt, fraîchement élu, fait face, du haut du Capitole, à une foule compacte, bigarrée, mais heureuse, venue des quatre coins des États-Unis. D'emblée, dans son discours d'investiture, il rappelle comment les libéraux se sont comportés pendant la crise de 1929 : « À la vérité, ils ont essayé ; mais leurs efforts portaient l'empreinte d'une tradition périmée. […] Ils ne connaissent que les règles d'une génération d'égoïstes. Ils n'ont aucune vision, et sans vision, le peuple meurt. »
Il en va de même pour la planification écologique. Avec ce projet de loi de finances, vous essayez : c'est bien ; mais il serait temps d'avoir une vision. §