Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons l’examen de deux missions que tout oppose a priori.
La mission « Plan de relance »·est celle du court terme et de l’urgence, tandis que la mission « Investir pour la France de 2030 » est celle du long terme, de la préparation de l’avenir et de la transformation de l’économie.
Mais ces deux missions ont un point commun : l’évaluation de leurs dispositifs est très perfectible, alors même que les montants engagés sont très élevés.
J’évoquerai d’abord la mission « Plan de relance ». Alors Premier ministre, Jean Castex a déclaré le 3 juillet 2020, en pleine crise sanitaire : « Je ne suis pas ici pour chercher la lumière, mais pour rechercher les résultats, des résultats de l’action publique énergique dans le cadre du plan de relance vigoureux que nous préparons pour reconstruire notre pays. »
Ainsi, trois ans et demi plus tard, il est temps de faire le bilan de cette « action publique énergique », autrement dit coûteuse. D’ailleurs, M. le rapporteur spécial a qualifié la mission « Plan de relance » de « “budget masqué”, qui s’affranchit des contraintes d’annualité ».
En effet, à force de reporter d’année en année les crédits non consommés, ceux qui restent disponibles sont très supérieurs aux crédits de paiement soumis au vote du Parlement.
Si on pouvait considérer, au moment de la création de la mission, qu’il était nécessaire de se doter d’un outil flexible, autorisant les transferts de crédits entre les dispositifs, voire entre les programmes de ministères distincts, afin de faire face à l’urgence, il n’est désormais plus acceptable de continuer à déroger au principe de spécialité budgétaire. L’intitulé même de la mission – il s’agit d’un plan de « relance » – suggère une durée limitée, provisoire et à effet rapide. En fait, cette mission est un véhicule budgétaire commode pour financer des mesures sans lien avec la relance de l’économie, qui, dès l’origine, auraient dû être inscrites dans le budget ordinaire des ministères concernés.
Monsieur le ministre, comment justifiez-vous l’inscription dans cette mission de crédits finançant la rénovation énergétique des bâtiments ? Il ne s’agit pas d’un enjeu temporaire, malheureusement d’ailleurs. Cela entre en totale contradiction avec l’augmentation des crédits de cette politique sur les programmes 135 et 174 du budget général pour l’année 2024.
Sans transition, j’en viens à présent à la mission « Investir pour la France de 2030 ». Annoncé par le Président de la République en octobre 2021, ce plan d’investissement devait traduire une double ambition : transformer durablement des secteurs clés de notre économie, d’une part ; positionner la France non seulement en tant qu’acteur, mais également en leader de l’économie de demain, d’autre part. Beaucoup d’argent a été mis sur la table, en peu de temps, la promesse ayant été faite d’une forte croissance à moyen terme et d’un fort effet levier sur l’emploi.
Mes chers collègues, cela ne vous étonnera guère, je concentrerai mon propos sur les initiatives visant à construire une France décarbonée et résiliente.
Le plan France 2030 vise notamment à faire émerger des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et assurant une meilleure gestion des déchets, que l’on appelle communément SMR, pour petits réacteurs modulaires.
Je souscris pleinement à cette orientation. Les SMR sont un outil puissant de décarbonation de la production d’énergie, que l’usage soit industriel ou résidentiel.
Plusieurs porteurs de projets de SMR français, soutenus par l’État dans le cadre de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », annoncent vouloir exploiter directement cette chaleur pour décarboner l’industrie, les réseaux de chaleur ou encore la production d’électricité.
Monsieur le ministre, j’avoue ne pas avoir bien compris pourquoi votre collègue chargé des comptes publics a estimé, au cours du débat sur la première partie du projet de loi de finances dans notre hémicycle, qu’il était trop tôt pour définir une fiscalité adaptée à ce secteur.
On sait pourtant qu’un investisseur responsable et raisonnable définit son plan d’affaires avant d’investir. Or, aujourd’hui, sans modification de la loi, la fiscalité applicable aux SMR peut représenter jusqu’à l’intégralité du chiffre d’affaires ; le Sénat, dans sa sagesse, a donc modifié la loi, et j’espère que vous persuaderez M. le ministre de l’économie d’aller dans ce sens !
L’enjeu est de taille puisque quelque 3 300 tranches à charbon devront être remplacées d’ici à 2050 par des solutions décarbonées ! Cela représente un marché important dans les pays ouverts au nucléaire civil.
Ainsi, au-delà du soutien à la recherche, garanti par les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », il est important de définir dès à présent le cadre fiscal applicable à cette technologie, pour qu’elle puisse être déployée dès lors qu’elle sera considérée comme mature.
Par ailleurs, la décarbonation de l’aviation, soutenue à hauteur de 435 millions d’euros, rend nécessaire la coordination des différents leviers de l’action publique. Les biocarburants de première génération sont produits à partir de la valorisation de cultures végétales spécifiques, mais cette catégorie pose un certain nombre de problèmes, car sa production implique un changement d’utilisation des sols. En outre, la production des biocarburants de première génération entre en concurrence avec les cultures alimentaires.
Aussi, seuls les biocarburants de deuxième et de troisième génération, ainsi que les électrocarburants, peuvent être considérés comme des carburants durables d’aviation. Malgré la volonté du secteur aéronautique d’alimenter les moteurs des avions au moyen de carburants d’aviation durables, il n’existe pas actuellement en France de filière de production structurée, allant de la collecte de la biomasse jusqu’à la production finale de biocarburants.
Or vous souhaitez également, monsieur le ministre, que les crédits du plan France 2030 soutiennent l’agriculture durable.
Ce sont là deux orientations contradictoires ! Il sera donc nécessaire de les coordonner, et c’est d’ailleurs ce qui aurait dû être fait dans la mission « Investir pour la France de 2030 ».
Au-delà de l’intérêt des projets soutenus par les crédits de cette mission, au regard des montants engagés, soit 54 milliards d’euros, il est indispensable que le Parlement puisse effectuer son travail de contrôle et vérifier l’efficacité de la dépense.
À cet égard, je ne puis que souligner la pertinence de la fusion du PIA 4 et du fonds pour l’innovation et l’industrie. Alors rapporteur spécial des crédits de la mission « Investissements d’avenir », je m’étais interrogée sur l’articulation entre ces deux dispositifs, lors de la présentation des crédits pour 2020.
Le plan France 2030 doit poursuivre la simplification et les améliorations déjà engagées dans le PIA 4 quant aux modalités de gouvernance et aux procédures de sélection.
Alors que des budgets considérables ont été mis sur la table, il serait de bonne politique de procéder à un retour d’expérience, de présenter une évaluation cohérente et de s’assurer de l’efficacité de la recherche tout au long du processus. Il est indispensable de savoir arrêter des programmes inopérants et de donner plus de moyens à des projets prometteurs. En une phrase, il s’agit de s’ancrer dans une culture de la performance !
Malheureusement, et c’est là que le bât blesse, monsieur le ministre, le plan France 2030 rencontre au bout de trois ans et demi de grandes difficultés, auxquelles il faut ajouter une absence criante d’évaluation, compte tenu de la multiplicité des programmes, ou tout simplement de l’absence de grilles et de méthodes d’évaluation.
S’il appartient au politique de fixer un cap, de fédérer la créativité, d’encourager à la réalisation des projets et de participer à leur coordination, il lui appartient tout autant de procéder au contrôle du bon usage des fonds publics et d’imposer une évaluation systématique, allant jusqu’à la correction efficace des points considérés comme défaillants.
En l’espèce, la lecture des documents publiés par le comité de surveillance des investissements d’avenir s’est révélée fort instructive, puisqu’ils montrent combien la multiplication des plans rend leur évaluation particulièrement difficile.
Ainsi, le comité dénonce, notamment, un nombre trop important de lauréats. De plus, à cause de la multiplicité de petits projets, il est difficile, pour ne pas dire impossible, pour les administrations publiques et pour leurs partenaires d’apporter un accompagnement sur mesure, qu’il soit financier ou extrafinancier, afin de maximiser les bénéfices attendus des investissements.
On peut s’interroger, monsieur le ministre, sur la capacité des porteurs de projets de petite taille à affronter la compétition internationale. L’appel à projets « La grande fabrique de l’image » a conduit à identifier onze studios de tournage, douze studios d’animation et six studios de jeux vidéo. À force de ne pas sélectionner, on risque de ne voir émerger aucun leader mondial.
Je rejoins aussi les constats du comité de surveillance suggérant un changement de méthode dans l’intervention du plan France 2030. La mobilisation interministérielle doit davantage répondre à une logique de transformation profonde des écosystèmes et conduire à une intervention plus complète sur la chaîne de valeur, de l’aval des filières jusqu’à leur amont.
L’allocation de crédits budgétaires doit aussi s’accompagner de mesures protégeant notre industrie naissante, ou renaissante, pour assurer la viabilité de la filière.
Monsieur le ministre, on ne peut pas soutenir les véhicules du futur via le plan France 2030 tout en finançant l’industrie automobile chinoise, à hauteur de 1, 9 milliard d’euros, au travers du bonus et de la prime à la conversion !