Intervention de Evelyne CORBIÈRE NAMINZO

Réunion du 7 décembre 2023 à 10h30
Loi de finances pour 2024 — Demande de priorité

Photo de Evelyne CORBIÈRE NAMINZOEvelyne CORBIÈRE NAMINZO :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite ouvrir mon propos en paraphrasant notre Président de la République : les aéroports sont les lieux où se croisent les gens qui sont tout et ceux qui ne sont rien.

Ceux qui sont tout bénéficient, entre autres, du privilège d'être nés au bon endroit. Ceux qui ne sont rien, nés à des milliers de kilomètres du continent, sont condamnés au chômage, à la vie chère, à la précarité, à l'eau boueuse et à l'exil.

Réussir pour soi, chez soi, est de plus en plus difficile pour nous, chez nous, au nom du fallacieux argument de la rupture d'égalité, que l'on nous ressort à chaque fois que nous tentons d'obtenir une adaptation.

Comme l'année dernière, le budget de la mission « Outre-mer » a fait l'unanimité à l'Assemblée nationale avant de disparaître par la magie d'un 49.3. Le réflexe outre-mer, vague projet, vague ambition que nous avons, ressemble surtout, traduit par vous, monsieur le ministre, à un réflexe paternaliste.

À l'Assemblée nationale, l'examen de l'article 55 de ce PLF a provoqué beaucoup d'animation. Malgré l'annonce de sa suppression, nous nous retrouvons aujourd'hui au Sénat pour continuer d'en débattre.

N'avons-nous donc rien appris de notre histoire ? Votre politique doit-elle constamment être celle du grand bond en arrière ? Alors que l'outre-mer souffre d'un taux de chômage qui est toujours au moins deux fois plus élevé qu'en Hexagone, vous avez eu l'idée – quelle révélation, quelle révolution ! – d'envoyer des travailleurs hexagonaux abonder nos entreprises et nos services publics.

Qui peut croire qu'avec plus de 150 000 chômeurs nous manquons encore de main-d'œuvre à La Réunion ?

Alors que nos fonctionnaires et nos talents peinent à rentrer chez eux, trouvez-vous vraiment nécessaire que les Hexagonaux bénéficient, eux, d'une aide à l'installation sur nos côtes et sur nos terres ?

S'il y a un dossier de mobilité à propos duquel nous avions des attentes, c'est bien celui de la continuité territoriale. Las ! une nouvelle fois, l'enveloppe allouée à l'ensemble des territoires ultramarins reste bien en deçà desdites attentes ! Elle est du reste bien inférieure à l'enveloppe allouée à la Corse, territoire de seulement 340 000 habitants, qui se situe, de surcroît, à moins de 400 kilomètres du continent. Or la France d'outre-mer, elle, est forte de 2, 7 millions d'habitants, qui doivent parcourir des distances allant de 6 000 à 15 000 kilomètres pour rejoindre le continent français.

Pourtant, avec nos 93 millions d'euros, nous faisons bien pâle figure à côté de la dotation annuelle de 187 millions d'euros allouée à l'île de Beauté.

Les dispositifs mis en œuvre sous l'égide de Ladom ne sauraient suffire, puisque l'aide y reste conditionnée. Le Gouvernement doit engager des mesures fortes pour répondre aux problèmes des dessertes aériennes, maritimes et terrestres.

Au-delà de la question traitée à l'article 55, au-delà, donc, de la discontinuité territoriale, ce budget est décevant à bien des égards.

L'investissement de l'État dans nos infrastructures – je pense en particulier à nos réseaux d'eau – reste insuffisant. Vous pourrez toujours nous dire, monsieur le ministre, que cette compétence relève des collectivités ; nous pourrons toujours vous répondre qu'à Mayotte, où vous assurez la gestion partagée de cette même compétence, votre responsabilité a été pointée du doigt par l'Union européenne dans la crise que traverse le département.

Nous pourrions aussi vous répondre qu'en raison des contraintes imposées par les normes nationales chaque chantier que nous engageons outre-mer est soumis à des coûts exorbitants.

Monsieur le ministre, faire des ajustements budgétaires, c'est faire des choix. Comme le disait Thomas Sankara, « il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous ».

Or le Gouvernement a fait son choix : le choix d'accepter qu'en France, pays des droits de l'homme, 2, 7 millions de personnes, habitant trop loin du continent, soient susceptibles de manquer d'eau potable.

La France est donc ce pays de la civilisation et de l'innovation qui ne respecterait pas la résolution du 28 juillet 2010 de l'Assemblée générale de l'ONU, laquelle reconnaît « l'importance que revêt l'accès équitable à une eau potable salubre et propre et à des services d'assainissement, qui fait partie intégrante de la réalisation de tous les droits de l'homme ».

L'outre-mer représente 80 % de la biodiversité française. L'outre-mer est notre puissance maritime. L'outre-mer est la porte d'entrée de la France vers l'espace. L'outre-mer est un berceau du multiculturalisme et de la laïcité. L'outre-mer est un incubateur de nouveaux talents et d'innovation. L'outre-mer porte en partie la jeunesse et le renouveau du pays.

Mais l'outre-mer, ce sont aussi des hôpitaux laissés à l'abandon ; des populations empoisonnées par la pollution des sols et des nappes phréatiques ; des descendants d'esclavagistes s'octroyant le privilège et les bénéfices d'un monopole sur nos économies.

Dans les débats qui vont suivre, nous verrons que l'outre-mer, c'est aussi la France des inégalités.

La Réunion souffre d'une fracture sociale qui se répercute dans tous les pans de notre vie…

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