Intervention de Philippe Vigier

Réunion du 7 décembre 2023 à 10h30
Loi de finances pour 2024 — Demande de priorité

Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer :

Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, je suis très heureux d'être parmi vous pour vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2024 – c'est une première pour moi au Sénat.

En préambule, je reprendrai les mots de Mme Girardin : il y a non pas un mais des outre-mer, tous dotés de leurs spécificités – vous les connaissez parfaitement.

Je veux vous adresser un premier message : le Gouvernement est extrêmement attentif à tous les territoires ultramarins. Les outre-mer sont une chance pour la France ; aussi exigent-ils un regard et un soutien particuliers.

Vous avez été très nombreux à souligner, à cette même tribune, que les efforts financiers étaient au rendez-vous de ce PLF – les anciens ministres des outre-mer qui siègent dans cet hémicycle sauront le confirmer, et je leur laisse le loisir de la comparaison des budgets… –, même si l'on est toujours tenté de demander beaucoup plus, car nous ne devons pas nous arrêter là.

Les crédits de cette mission augmentent de 7 %, ou, hors inflation, de 4, 4 %, pour un total de 3 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Tous périmètres ministériels confondus, le total des crédits mobilisés pour les outre-mer s'élève à 22 milliards d'euros.

Je donne sans attendre un exemple parlant de cet engagement : le soutien aux collectivités territoriales, via le fameux FEI – sujet auquel le Sénat est naturellement très attentif –, passe de 110 millions d'euros en 2023 à 160 millions d'euros en 2024, contre 40 millions voilà cinq ans ; d'un simple calcul, chacun peut constater l'effort financier que nous consentons.

Le Ciom n'est pas un catalogue de bonnes intentions : c'est un grand rendez-vous et une feuille de route interministérielle exigeante, qui lie chaque acteur et l'oblige à répondre présent. Auditionné par votre délégation aux outre-mer, j'ai pris l'engagement de conduire avec vous ce travail de coconstruction. Nous serons au rendez-vous : nous l'avons été les 23 et 24 novembre dernier et nous le serons au printemps prochain, lorsque se réunira le prochain comité.

Pour ce qui est du logement, le sénateur Patient en a parlé, les difficultés sont bien sûr immenses en outre-mer. Mais l'effort que j'ai évoqué est visible sur la LBU, qui se voit dotée de 50 millions d'euros supplémentaires. Reste à mobiliser des opérateurs, car le Gouvernement, lui, ne construit pas : il donne les moyens ; à charge ensuite pour Action Logement et pour les autres opérateurs de concrétiser le signe très fort que ces 50 millions supplémentaires permettent d'envoyer. Dans le même sens, 20 millions d'euros supplémentaires sont alloués à la construction de logements sociaux hors quartiers prioritaires de la politique de la ville, et le taux de prise en charge par l'Anah des dépenses de travaux du parc locatif privé passe, sous conditions, de 35 % à 50 %. Il devient par là même possible pour les collectivités de cofinancer ces travaux, et je les y encourage.

Les questions du logement précaire ou indigne ne sont pas réglées pour autant, je le sais, mais l'augmentation des crédits marque une belle inflexion ; et nous irons plus loin.

J'en viens au sujet de l'eau.

Concernant Mayotte, j'ai été un peu surpris de la position adoptée par la Commission européenne ; j'imagine qu'elle rendra un avis favorable à l'utilisation du Fonds européen d'aide aux plus démunis (Fead) pour apporter une aide d'urgence. La Commission doit être au rendez-vous !

Au 31 décembre 2023, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons mis sur la table 100 millions d'euros pour aider Mayotte, alors que par définition – vous le savez mieux que moi, en tant que sénateurs – la compétence de l'eau est exercée par les élus locaux. Nous n'abandonnons donc pas Mayotte, tant s'en faut !

Nous prenons nos responsabilités, comme nous l'avons fait en Guadeloupe, où nous avons signé un contrat de 320 millions d'euros avec le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG). La région se mobilise puissamment, à hauteur de 80 millions d'euros, tout comme le conseil départemental, qui alloue 20 millions d'euros. Outre sa participation financière directe, le ministère, quant à lui, fournit des cadres et des bras : ses crédits financent 11 emplois directement affectés au SMGEAG. Quant à l'Office français de la biodiversité (OFB), il augmente significativement sa participation au titre des cinq prochaines années.

Je vous remercie, madame la sénatrice Nadille, d'avoir rappelé que je m'étais rendu à Dubaï pour y lancer une initiative internationale de lutte contre les sargasses, avec le soutien de la République dominicaine et du Costa Rica notamment. Sur ce sujet important, nous allons plus loin et plus fort ; l'argent mobilisé doit servir à mieux comprendre les causes de la prolifération, à trouver des solutions de valorisation des algues et à tenter d'éradiquer ce fléau.

Personne n'a évoqué le volet outre-mer du pacte des solidarités, qui est un bel engagement du Ciom. Près de 50 millions d'euros financeront des choses simples – manuels scolaires, petits déjeuners servis gratuitement à l'école. La contractualisation est en cours entre l'État et les collectivités. Je rappelle que, derechef, il s'agit de compétences exercées par les collectivités. Sur ces sujets aussi, nous répondrons présents.

Commet accompagnons-nous les collectivités territoriales ? À l'instar du sénateur Patient, vous êtes nombreux à avoir parlé des Corom, qui sont, me semble-t-il, une belle création : ces contrats nourrissent une relation « gagnant-gagnant » entre l'État et les collectivités – en contrepartie de leurs efforts de redressement budgétaire, nous leur octroyons davantage de moyens. Quarante-deux communes sont d'ores et déjà éligibles ; nous augmentons les financements.

Monsieur le sénateur Patient, vous souhaitez que nous allions plus loin dans l'effort, et c'est précisément ce que nous allons faire, car il faut aider les collectivités territoriales ultramarines, qui ne disposent pas toujours des mêmes compétences techniques que leurs homologues hexagonales. Encore faut-il rester très prudent : nombre de collectivités de l'Hexagone, partout sur le territoire, manquent aussi de ces compétences. Quoi qu'il en soit, je poursuivrai cette politique.

Le soutien à l'investissement des collectivités, je l'ai dit en préambule, passe par le fameux FEI, le fonds exceptionnel d'investissement, qui est un outil à la main de l'État pour aider les communes et toutes les collectivités. Ce fonds augmente très significativement.

Le soutien à l'ingénierie passe de 10 millions d'euros à 20 millions d'euros, ce qui me permet de rectifier les chiffres que certains d'entre vous ont avancés. Nous allons innover en installant au sein de chaque préfecture des pools qui seront spécifiquement chargés d'accompagner les collectivités territoriales dans l'élaboration et la finalisation de leurs dossiers, qu'il s'agisse d'analyse financière, de montage des projets ou encore de suivi des travaux.

La continuité territoriale a fait l'objet de beaucoup de discussions, et je salue l'engagement de tous à ce sujet. Mme la présidente de la délégation aux outre-mer, je le sais, y est très sensible, de même que Mme la sénatrice Conconne, qui a écrit un rapport sur cette question absolument majeure, ou que M. le sénateur Théophile.

Vous avez tous relevé que nous mettions 40 % de plus sur la table : nous élargissons les publics concernés et nous y consacrons une enveloppe globale de 93 millions d'euros.

Nous allons débattre de l'article 55, qui introduit de nouveaux dispositifs. Je remercie les uns et les autres de leur participation. Gérald Darmanin et moi-même avons la volonté de trouver une solution, dans la mesure où la rédaction initiale du Gouvernement n'a pas été comprise. Je salue vos propositions, grâce auxquelles nous pourrons dégager une synthèse répondant aux attentes de tous.

Ainsi, une expérimentation présenterait un avantage : si l'option choisie ne convenait pas, nous pourrions rectifier la ligne.

Ensuite, nous devons mieux cibler les bénéficiaires, car la mesure, dans sa rédaction actuelle, n'a pas la portée que nous souhaitons lui donner. À ce titre, la prise en compte des centres d'intérêt matériels et moraux paraît essentielle.

Fort de mon expérience de député, je me permets toutefois de vous avertir des risques d'inconstitutionnalité ; je ne voudrais pas que votre analyse s'en trouve mise à mal et que nous nous soyons privés de cet outil. Nous lui avons consacré des crédits que, faute de véhicule législatif alternatif, je ne pourrais dès lors pas restaurer. Or ce dispositif répond à une forte attente sur le terrain.

Une synthèse à caractère expérimental issue de vos propositions serait donc pertinente ; le Gouvernement, après que j'ai rencontré les députés concernés avec Gérald Darmanin, après que mon équipe et moi-même avons échangé avec nombre d'entre vous, vous suivra sur un chemin tracé par une écoute réciproque.

Concernant le développement économique et la création d'emplois en outre-mer, les puissants dispositifs d'aide fiscale créés par la ministre Annick Girardin, ici présente, sont maintenus. Pour autant, les productions locales restent insuffisantes, entraînant une trop grande dépendance. C'est une des raisons de la cherté de la vie : les importations sont soumises à des taxations diverses – je reviendrai sur la question de l'octroi de mer.

Nous avons travaillé sur les niches fiscales. Un sénateur évoquait trois niches pour lesquelles l'harmonisation a été difficile, mais le travail de coconstruction mené avec le Gouvernement et la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) a permis de rassurer les acteurs. Nous avons fait en sorte de favoriser l'efficacité économique en révisant ces dispositions, de manière à apporter les meilleures réponses possible.

Une nouvelle méthode sera privilégiée dès 2024, avec une évaluation opérée plus en amont, afin que les propositions que nous aurons construites soient plus solides.

Les contrats de convergence et de transformation (CCT) voient leurs moyens augmenter de 400 millions d'euros par rapport à la période précédente, nous sommes donc bien au rendez-vous en la matière.

Un mot sur la sécurité, au-delà de la seule question de l'immigration : les effectifs de police et de gendarmerie ont augmenté de 17 % durant les trois dernières années. Des efforts considérables ont été faits, sous l'impulsion de Gérald Darmanin. Pour autant, l'insécurité reste un sujet important, je le déplore, mais nous n'abandonnerons pas : notre effort se poursuivra.

Concernant le domaine de la santé, qui fait partie de nos préoccupations, le coefficient géographique a été revalorisé à La Réunion et nous avons répondu aux attentes s'agissant du centre hospitalier universitaire (CHU) en Guadeloupe. Des projets émergent partout et, ainsi que je l'annonçais hier avec Agnès Firmin Le Bodo, un plan santé important visera l'outre-mer. Soyez assuré qu'il n'y a pas deux France, mais bien une seule et que nous saurons répondre avec exigence aux besoins.

La coopération régionale mérite d'être renforcée, tant il est vrai que nous ne travaillons pas suffisamment avec les régions qui nous entourent. Relevons tout de même de belles avancées, comme la norme RUP (régions ultrapériphériques) qui s'appliquera dès le printemps prochain, permettant de baisser les prix des matériaux et ainsi d'accroître la compétitivité.

Vous l'indiquiez, les différences de normes au sein des bassins de vie interrogent, entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada, par exemple, mais aussi dans l'océan Indien ou dans les Antilles.

Je n'oublie pas Saint-Martin : Action Logement pourra y intervenir rapidement.

Le rapporteur spécial Georges Patient a abordé la question des quorums, je lui ai répondu ; sur les normes, Micheline Jacques a pu constater que nous avancions ; concernant le logement, j'ai rappelé que nous avions fait un effort particulier.

Audrey Bélim a évoqué la singularité des territoires, les problèmes de développement économique, ainsi que l'habitat indigne et l'insularité. Sachez que ces questions sont centrales à nos yeux. S'agissant, par exemple, de l'habitat indigne, nous irons plus loin en 2024, afin de préparer une nouvelle étape.

Solanges Nadille est intervenue fortement sur l'eau en Guadeloupe. Le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) a été aidé à hauteur de 20 millions d'euros en 2023, il recevra 27 millions d'euros en 2024, au-delà du plan pluriannuel d'investissement (PPI) de 320 millions d'euros. J'ai, en outre, déjà répondu concernant les sargasses.

Monsieur Thani Mohamed Soilihi, merci d'avoir rappelé le rôle majeur du service militaire adapté (SMA) et de la continuité territoriale. Vous connaissez notre investissement à Mayotte, où nous nous rendrons ensemble en fin d'après-midi. Je vous l'assure : ce rattrapage pour Mayotte s'inscrira dans la durée. Nous bâtirons ensemble la loi consacrée à ce territoire, je sais pouvoir compter sur vous et sur votre collègue sénateur.

Viviane Malet a évoqué le vieillissement en outre-mer, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et le plan handicap. Ma collègue en charge de ce dernier dossier s'est rendue à La Réunion il y a quelques semaines et a mis sur la table 47 millions d'euros dans ce cadre.

Mme Malet a également attiré notre attention sur les violences intrafamiliales et a déposé un amendement très important à ce sujet : il s'agit d'une avancée que le Gouvernement soutiendra.

Le sénateur Christopher Szczurek a parlé d'immigration. Je l'ai dit : le débat a eu lieu ici, il se poursuivra à l'Assemblée nationale, chacun prendra ses responsabilités, nous verrons quelles mesures seront adoptées à la faveur des nouvelles lectures et d'une commission mixte paritaire que je souhaite conclusive. Il s'agit, à nos yeux, d'une avancée, nos propositions sont sur la table et je sais pouvoir compter sur l'engagement des sénateurs.

Corinne Bourcier a évoqué la biodiversité, la création d'activités, la continuité territoriale et le coût de la vie, beaucoup plus élevé en outre-mer, c'est vrai.

Je dirais un mot à ce sujet sur la réforme de l'octroi de mer, qui est devant nous. Il ne s'agira pas d'un texte que le Gouvernement aurait écrit et que vous découvririez un jour sur le coin d'une table. La méthode que nous avons définie durant le comité interministériel des outre-mer (Ciom) sera respectée et des courriers partiront après que nous en aurons terminé avec cette séance, car je souhaite respecter le temps sénatorial. Ils seront adressés aux élus – parlementaires, grands élus, présidents de collectivités, maires –, aux acteurs économiques et aux consommateurs concernés.

Lana Tetuanui a abordé le sujet de l'indemnité temporaire de retraite (ITR), dispositif dont nous avons, pour ainsi dire, sauvé le stock : le contrat, tel qu'il était rédigé à sa signature, sera respecté, grâce à ce que l'on appelle la clause du grand-père. Un dispositif incitatif s'adresse aux nouveaux entrants ; vous souhaitez qu'il soit plus efficace, mais il garantit tout de même 4 000 euros à vie.

Monsieur Akli Mellouli, merci de ce propos vibrant ; je fais en sorte de porter une réponse républicaine, avec beaucoup d'ambition, même si elle est insuffisante aux yeux de certains d'entre vous, comme l'a dit Evelyne Corbière Naminzo. Soyez assurée, madame la sénatrice, que nous évoquerons bien le sujet de la continuité territoriale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons l'occasion de poursuivre ce débat à l'occasion de l'examen des amendements.

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