Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une période où les guerres frappent dans l'est de l'Europe, au Caucase, au Soudan – sans oublier le conflit entre Israël et Palestine, qui cornait une escalade meurtrière dramatique depuis deux mois –, il me paraît évident d'affirmer avec gravité que la France doit disposer d'une action extérieure forte, d'une politique ambitieuse en matière de solidarité internationale, ainsi que d'un réseau diplomatique à la hauteur de ses ambitions.
Naturellement, nous accueillions favorablement l'augmentation des crédits alloués à la mission « Action extérieure de l'État », ainsi que la hausse des effectifs, avec 146 ETP supplémentaires.
Toutefois, nous n'oublions pas que cette hausse intervient après des années de coupes budgétaires particulièrement virulentes. D'ailleurs, en examinant ces crédits de plus près, nous nous rendons compte que l'augmentation des effectifs repose en grande partie sur l'utilisation de contrats locaux, et non de contrats français, aux salaires souvent très faibles. Il est urgent que le Quai d'Orsay garantisse aux agents en poste à l'étranger des conditions correctes de rémunération.
En outre, la priorité de ce PLF, indiquée à la page 8 du bleu budgétaire, est « la sécurité et la stabilité par la préservation de la paix et le règlement des crises à l'extérieur de nos frontières. » Les 3, 5 milliards d'euros consacrés à la diplomatie représentent 13, 5 fois moins que les 47, 2 milliards d'euros du budget des armées. Il est donc évident que les ambitions de l'exécutif sont tout autres…
Cette asymétrie budgétaire relève à nos yeux d'une lecture faussée des enjeux géostratégiques actuels. Dans un monde plein d'insécurités globales, alimentaires, sanitaires, migratoires, sociales et énergétiques, se contenter de préparer la guerre est une erreur grave, et lourde de conséquences face à l'impérieuse nécessité d'élaborer une stratégie de sécurité humaine globale, dont la diplomatie devrait être la pièce maîtresse. Cette stratégie diplomatique audacieuse, au service de la paix, notre pays s'en éloigne un peu plus chaque jour.
Le cas du conflit colonial en Palestine est frappant et marque une singulière dérive française. Le décalage entre l'image de la position française qui persistait encore dans les pays arabes et la réaction présidentielle au conflit à Gaza a profondément choqué. Les improvisations du Président de la République ont eu le même effet, et notamment sa proposition d'une coalition internationale visant à éradiquer le Hamas. Le journal Libération nous apprend que celle-ci lui aurait été soufflée par Bernard-Henri Lévy, le même qui a suggéré au président Sarkozy, il y a douze ans, de bombarder la Lybie où, depuis lors, règnent la faim et le chaos !
Le malaise a gagné jusqu'aux rangs de notre appareil diplomatique, car une dizaine de diplomates vous ont exprimé leur incompréhension face aux positions du Président de la République sur la situation dramatique au Moyen-Orient.
Face à tant d'acharnement des promoteurs de guerre, la France se serait particulièrement singularisée en lançant une initiative diplomatique inédite pour obtenir un cessez-le-feu immédiat et relancer un processus de paix. Seulement, notre diplomatie, à force d'user de deux poids et de deux mesures, a rendu la voix de notre pays inaudible au sein des instances internationales.
À cette même tribune, madame la ministre, vous demandiez il y a un peu plus d'un an – et vous aviez raison – le retrait des troupes russes d'Ukraine. Vous semblez beaucoup plus réservée aujourd'hui pour vous exprimer de la même façon, s'agissant du retrait des troupes israéliennes de Gaza ou des colons israéliens en Cisjordanie.
Or le droit international doit être respecté partout. Pourquoi ces hésitations ? Parce que, à cette faillite morale et à cet échec politique qui caractérisent la position française sur la situation au Moyen-Orient, s'ajoute le poids d'une culture coloniale dont notre politique étrangère a du mal à se défaire.
Cette même culture, en Afrique, à coups d'interventions militaires ou encore par notre domination monétaire, a conduit à un fiasco politique et diplomatique au Sahel. Il faut changer de logiciel, sans quoi nous ne parviendrons jamais à construire quoi que ce soit de sérieux en matière de sécurité collective. Nous devons sortir du « deux poids, deux mesures » en matière de respect du droit international et nous détacher d'une logique binaire, fondée sur l'affrontement de blocs, dans notre vision du monde, afin de privilégier les solutions politiques aux conflits, mais aussi d'en éradiquer les racines.
Il nous faut aussi promouvoir un nouvel ordre économique et une transition climatique à la hauteur des enjeux, développer une aide publique au développement juste et ambitieuse, exiger le respect des droits des femmes et éradiquer la faim.
Nous nous abstiendrons sur ce budget, car nous jugeons que les crédits prévus sont bien trop faibles : il aurait dû constituer la priorité stratégique de notre politique de sécurité mondiale.