Intervention de Corinne Feret

Réunion du 5 décembre 2023 à 14h00
Loi de finances pour 2024 — Travail et emploi

Photo de Corinne FeretCorinne Feret :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le budget de la mission « Travail et emploi », dont les crédits pour 2024 s’élèvent à 22, 6 milliards d’euros. Ils sont en hausse, certes, mais cela ne suffit pas à masquer le recul de l’accompagnement des plus précaires.

Centré sur ce que vous appelez le plein emploi, vous ne voyez pas, monsieur le ministre, la réalité du « mal emploi » en France, c’est-à-dire l’explosion des contrats courts et la stagnation des salaires.

Pour justifier la réduction de 350 millions d’euros des crédits alloués aux politiques de l’emploi, vous invoquez la baisse du taux de chômage… Or celui-ci repart à la hausse, malheureusement, la Dares ayant annoncé une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, donc n’ayant aucune activité, de 0, 6 % au troisième trimestre de 2023.

Cela mériterait que vous admettiez que vous êtes dans l’erreur, tant sur la méthode que sur le fond. Écoutez davantage les partenaires sociaux et l’opposition parlementaire !

Sur la forme, comme chaque année désormais, les débats budgétaires ont été réduits comme une peau de chagrin à l’Assemblée nationale. Les recours au 49.3 soulignent votre incapacité à coconstruire les politiques publiques de l’emploi et de la formation, comme le reste…

Pis encore, vous méprisez le dialogue social. Une nouvelle illustration nous en a été donnée ces derniers jours : alors que les organisations représentatives des salariés et des employeurs ont signé une nouvelle convention d’assurance chômage, le Gouvernement a fait savoir qu’il n’agréerait pas cette dernière, sous prétexte qu’elle ne traite pas des conséquences de sa réforme des retraites. Et le ministre de l’économie, M. Le Maire, d’en rajouter en réclamant que les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans perdent le bénéfice de leur durée d’indemnisation rallongée !

Il n’est pas question de toucher à l’indemnisation des seniors tant que l’on n’a pas d’engagement de la part des employeurs : voilà ce que l’on aurait aimé vous entendre dire !

L’idée selon laquelle une baisse des droits des demandeurs d’emploi améliorerait leur entrée sur le marché du travail est un leurre. Le chômage n’est pas un choix ! Les difficultés de recrutement actuelles viennent d’un déficit de compétences pour répondre aux besoins des entreprises, mais aussi des conditions de travail proposées.

On a appris également, ces derniers jours, que le Gouvernement réfléchissait à limiter le recours aux ruptures conventionnelles. C’est oublier que ces dernières permettent aux salariés en souffrance de quitter un emploi la tête haute, sans avoir à attendre un licenciement pour inaptitude et en évitant une démission qui ne permet pas de bénéficier de l’accompagnement de Pôle emploi.

Au lieu de traiter le mal, en l’espèce la souffrance au travail, le Gouvernement semble vouloir contraindre les salariés à démissionner. Et comme si cela ne suffisait pas, il envisage de réduire le délai de prescription pour contester un licenciement, afin de le ramener de douze à deux mois, ce qui anéantirait le droit pour le salarié d’agir en justice. Que de belles avancées sociales !

Sur la forme, donc, rien ne va. Et sur le fond, ce n’est pas beaucoup mieux ! Cela appelle de notre part la plus grande vigilance.

C’est le cas sur un dispositif phare, porté par le programme 102 de la mission : l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, qui vise à favoriser le recrutement de chômeurs de longue durée par des entreprises à but d’emploi (EBE), partiellement financées par l’État et les départements.

À l’origine, en 2016, l’expérimentation concernait dix territoires, dont celui de Colombelles, que je connais particulièrement bien, puisqu’il est situé dans mon département, le Calvados.

Malgré la progression des moyens alloués, nous avons été alertés sur le fait que cette dernière n’était pas suffisante. Aussi, afin que l’expérimentation puisse se poursuivre, nous proposerons par voie d’amendement de prolonger l’effort, en dotant le dispositif de 9 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre le montant total de 89 millions d’euros.

De même, notre inquiétude est vive concernant France Travail. Derrière la promesse d’un service public de l’emploi renouvelé, accompagnant les usagers au plus près de leurs besoins, se cache en réalité la volonté de piloter le marché du travail pour faire coïncider, à marche forcée, l’offre et la demande, quels qu’ils soient.

Cet été encore, lors de l’examen du projet de loi sur le plein emploi, nous vous interrogions, monsieur le ministre, sur les moyens qui seraient débloqués pour déployer la mise en place de l’accompagnement intensif des demandeurs d’emploi dont vous nous parlez tant. Vos réponses étaient pour le moins évasives…

On comprend mieux pourquoi aujourd’hui : seuls 300 ETP supplémentaires pour Pôle emploi sont actés pour 2024, alors que l’organisme compte 53 000 postes, tandis que France Travail devrait être financée par le biais d’une ponction de l’Unédic. Ce n’est pas admissible !

La nouvelle structure aura effectivement besoin de moyens supplémentaires pour assurer l’accompagnement de près de 2 millions d’allocataires du RSA dont elle aura la charge, en plus des chômeurs.

Cependant, prélever une partie des recettes de l’Unédic, qui est déjà lourdement endettée, obligera cette dernière à emprunter à court terme sur les marchés pour honorer ses échéances de remboursement, ce qui lui coûtera 800 millions d’euros sur quatre ans. Avec cette trajectoire financière objectivement contestable, c’est tout l’équilibre économique du régime que vous allez fragiliser à terme.

Votre réforme, à laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) s’est fermement opposé et qui prévoit notamment l’inscription systématique des allocataires du RSA à France Travail, ainsi que leur accompagnement obligatoire par le biais du « contrat d’engagements réciproques », nécessite d’importants moyens.

Au printemps, dans son rapport présentant les contours du futur opérateur, Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi, estimait que sa mise en œuvre impliquait de mobiliser entre 2, 3 et 2, 7 milliards d’euros sur la période 2024-2026. Immédiatement, les départements s’étaient mobilisés, soulignant que le projet exigeait des financements sans commune mesure, notamment pour la phase pilote. On a beau chercher, on ne retrouve toujours pas de financements à la hauteur dans cette mission « Travail et emploi » pour 2024.

L’occasion vous est donnée aujourd’hui, monsieur le ministre, de nous dire clairement comment vous souhaitez financer la transformation structurelle de Pôle emploi en France Travail, pour assurer l’ensemble des nouvelles missions qui lui seront dévolues, mais aussi la mise en place du réseau et la formation des agents.

Comme si cela ne suffisait pas, vous poursuivez votre offensive contre les contrats aidés. Dès cet été, le Gouvernement annonçait la suppression de 15 000 d’entre eux en 2024. Comme il semble loin l’objectif, annoncé il y a deux ans, de financer 100 000 nouvelles entrées en parcours emploi compétences (PEC) et 45 000 en contrats initiative emploi (CIE) pour les jeunes !

Comme l’an dernier, les objectifs sont une nouvelle fois revus à la baisse. Une telle politique aura de graves conséquences, non seulement sur l’activité et les finances d’un certain nombre d’entreprises de l’économie sociale et solidaire, qui interviennent auprès de publics fragiles, mais aussi, bien sûr, sur l’employabilité et l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi.

En somme, les masques tombent et le manque de moyens dévoile au grand jour la réalité des intentions de ce gouvernement : toujours plus de contraintes et de pression, toujours moins d’accompagnement et de solidarité !

S’agissant de France Compétences, je rappelle que la commission des affaires sociales du Sénat a adopté, l’an dernier, un rapport très complet, intitulé France compétences face à une crise de croissance, dont j’étais corapporteur, avec Frédérique Puissat, notamment. Nous avons formulé quarante propositions pour mieux réguler tant le compte personnel de formation (CPF) que l’apprentissage.

Personne ne peut ignorer que, dès 2020, France Compétences s’est trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, qui a entraîné un important déficit. Ce déséquilibre a des causes structurelles, dont les conséquences auraient dû être mieux anticipées.

Le PLF pour 2024 prévoit d’allouer 2, 5 milliards d’euros à l’établissement. Avec cette enveloppe, France Compétences estime que l’exercice pourrait se solder par un déficit de moins de 1 milliard d’euros, alors que, dans le même temps, on déplore une nouvelle baisse des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage – les coûts-contrats –, ce qui ne sera pas sans conséquence dans nos territoires, au risque de mettre en péril certaines formations, voire l’existence de centres de formation d’apprentis.

J’entends le Gouvernement, comme la droite parlementaire, nous expliquer qu’il faudrait faire des économies… Nous leur répondons qu’un budget, ce sont des dépenses, mais aussi des recettes, et que les choix opérés aujourd’hui sont avant tout politiques.

Depuis l’ouverture des débats sur le PLF 2024, le groupe socialiste a formulé de nombreuses propositions en matière de recettes, que le Gouvernement ne veut pas entendre. Finalement, qui sera touché ? Toujours les mêmes : les plus fragiles, ceux qui subissent les contrats précaires et les périodes d’inactivité.

Une part importante des crédits de la mission se résume à des compensations d’exonérations de cotisations sociales. Nous pensons que leur impact mériterait d’être mieux évalué, d’autant plus que ces politiques s’inscrivent dans la durée. Tout cela, en effet, coûte finalement très cher, soit à la sécurité sociale, soit au budget de l’État… Ce désarmement fiscal n’est pas sans conséquence.

Dans la mesure où ce PLF acte une fragilisation du service public de l’emploi, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain prendront leurs responsabilités en ne votant pas les crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2024.

Nous réaffirmons, avec force, que nous sommes opposés à vos réformes, celle de l’assurance chômage comme celle des retraites, car elles concourent à créer plus de précarité et à stigmatiser tantôt les demandeurs d’emploi, tantôt les allocataires du RSA, tantôt la jeunesse, et maintenant les plus de 55 ans.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion