Intervention de Sonia de La Provôté

Réunion du 7 décembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Culture

Photo de Sonia de La ProvôtéSonia de La Provôté :

Madame la ministre, avant toute chose, je tiens à dire que nous nous réjouissons de l'augmentation sensible du budget de la culture.

Toutefois, une analyse plus fine des répartitions et des choix s'impose. En effet, si l'on peut se féliciter du retour du public aux spectacles, qui sont presque revenus à l'étiage d'avant la covid-19, le contexte inflationniste affecte fortement les structures et les équipes et va jusqu'à perturber les programmations des saisons et des festivals. Tout coûte plus cher et la variable d'ajustement réside dans la marge artistique. Or la compensation incomplète, par ce budget pourtant en hausse, des surcoûts subis colmate difficilement les brèches d'un système dont la résistance s'émousse, sapant les bases d'un réseau culturel construit depuis tant d'années pour assurer la diversité de l'offre, des acteurs et des structures, une diversité vitale, qui apporte un ailleurs et d'autres possibles à tous les publics.

Ce budget est dit « de transformation et de transition », mais il nous semble que l'urgence est surtout à la sécurisation. On ne transforme bien que ce qui est solide, sous peine de perdre plus en efficacité et en efficience que ce l'on gagne par ailleurs.

Ainsi, dans le secteur de la création, l'effort budgétaire de 3, 1 % ne permettra pas aux structures concernées de faire face à l'envolée des dépenses fixes, au détriment des marges artistiques. Tout l'écosystème est touché, car cette alerte vaut aussi pour les collectivités, qui assument majoritairement le financement, dans un contexte pourtant rude. Elle vaut aussi pour les festivals, dont le lien avec ces établissements engendre une émulation culturelle fructueuse sur leur territoire d'attache. Nombre d'entre eux sont compromis par cette situation.

Le nouveau plan Mieux produire, mieux diffuser constituerait la réponse aux difficultés du secteur, car il serait « transformant ». L'État mise sur un effet de levier des crédits, espérant une contribution équivalente des collectivités, dont la situation financière est pourtant, je le répète, peu enviable. Le Gouvernement attend de cette mesure une économie de 10 millions d'euros des établissements. C'est un pari ambitieux, d'autant qu'il reste à engager un important travail de coopération entre État et collectivités. À suivre, donc ; rationaliser, oui, mais pour renforcer les marges artistiques.

Mêmes maux, mêmes effets ; autre point d'alerte : les scènes de musiques actuelles, qui peinent à s'équilibrer, au détriment du soutien à l'émergence des artistes. La commission de la culture propose un amendement visant à garantir un plancher minimal revalorisé de la part de l'État ; nous comptons sur votre soutien.

Enfin, comme tous les ans, nous déplorons la place réduite réservée aux arts visuels dans ce budget. Pourtant, ils sont très présents dans nos territoires, au travers des dispositifs de monstration, des expositions, des résidences et des échanges nombreux entre les artistes et tous les publics. Ce secteur a un besoin vital d'être mieux structuré, avec un observatoire réel des pratiques, mais cela a un coût. Or seulement 10 % des crédits du plan Mieux produire, mieux diffuser leur sont consacrés. Nous soutenons la proposition de la commission visant à augmenter cette aide, en écho à leur rôle majeur, à l'échelon tant local que national.

Pour le programme 361, le Gouvernement propose un accroissement de l'accompagnement des établissements d'enseignement supérieur. En effet, ces derniers, exposés aux mêmes difficultés que les autres structures culturelles, voient leurs moyens être renforcés pour faire face à l'inflation et investir dans la rénovation des équipements.

Les écoles nationales d'architecture sont dotées de 15 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et de 5 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement. C'est une bonne nouvelle, en attendant une future stratégie nationale pour l'architecture.

C'est un premier pas pour accompagner des métiers en pleine évolution et qui sont nécessaires aux élus locaux : les besoins de formation, notamment de formation continue, croissent de manière exponentielle et les pratiques sont transformées radicalement par la transition écologique.

En revanche, la situation des trente-trois écoles territoriales supérieures d'art est, pour le coup, inquiétante : près d'un tiers d'entre elles finiront l'exercice 2023 en déficit. Bien que financées en moyenne à 80 % par les collectivités territoriales, elles remplissent des fonctions nationales. Comme cela est indiqué dans le rapport de Pierre Oudart, elles « n'ont jamais été, depuis près de quinze ans, vraiment défendues sur le plan budgétaire au sein de l'appareil d'État ». Ce budget doit traduire le renforcement du soutien apporté à ces écoles ; tel est l'objet d'un amendement de la rapporteure pour avis, qui est soutenu par le groupe Union Centriste.

J'en viens à la démocratisation culturelle, dont le budget est dominé – le mot est faible – par le pass Culture. Si ce dispositif évolue dans le bon sens, avec l'élargissement de sa part collective dans le cadre scolaire, il n'en reste pas moins un outil de l'éducation artistique et culturelle et ne saurait constituer une politique en soi.

Pour tous les acteurs de la culture, il est le symbole du fait que là où il y a une volonté politique, il y a un budget… En effet, depuis sa création, son budget croît de façon audacieuse, pour ne pas dire insolente, alors qu'il peine encore à faire ses preuves : dans sa dimension individuelle, le pass reste une plateforme d'achat, une offre sans médiation. Quant à sa part collective, elle bouleverse l'éducation artistique et culturelle, sans la remplacer. Entre difficultés de référencement pour les acteurs historiques et vision consumériste de cette éducation, ce projet ne bénéficie pas pour le moment d'une véritable construction s'inscrivant dans le temps long. Bref, le compte n'y est pas…

Pour terminer, abordons le budget du programme « Patrimoines », qui connaît une croissance substantielle. Pourtant, il creuse, en quelque sorte, les failles des budgets précédents. Nous attendons encore un ministère stratège en matière de patrimoine. Le fait d'orienter presque tout sur les opérateurs et le patrimoine classé ou inscrit de l'État n'exonère pas d'avoir une vision globale et d'accompagner le reste.

Prenons en exemple l'un des objectifs phares du ministère : les églises et les bâtiments cultuels présents dans toutes nos communes. Dans leur excellent rapport, nos collègues Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias avaient identifié ces bâtiments comme prioritaires et nécessitant un plan global d'accompagnement. Qu'en est-il ressorti ? Le loto du patrimoine, la collecte de dons par la Fondation du patrimoine et, en cas de besoins complémentaires pour un édifice communal, la DETR (dotation d'équipement des territoires ruraux) et la DSIL (dotation de soutien à l'investissement local), bref des crédits d'un autre ministère. La réponse se trouve donc largement en dehors du ministère de la culture…

En ce qui concerne la dimension paysagère du patrimoine et la politique de sites patrimoniaux remarquables, on n'observe pas d'évolution. Je rappelle pourtant le sujet des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, qui peuvent nuire à la préservation des paysages. Il appartient au ministre d'être vigilant à cet égard.

J'en viens au DPE. On peine à voir ses critères évoluer en faveur du patrimoine. Notre rapporteur pour avis, Sabine Drexler, en a fait un combat sans relâche ; nous la soutenons. C'est bien au ministre de la culture de remporter cette bataille et d'alerter sur la perte irréparable que constitue la disparition d'huisseries anciennes et de boiseries au profit de matériaux modernes plus isolants.

Je termine par les crédits d'entretien, essentiels pour éviter les atteintes graves au bâti. Les crédits dans ce domaine ne bougent pas, malgré nos alertes répétées des dernières années. Pis, il y a une forte sous-consommation des crédits destinés aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État. Madame la ministre, il faut suivre attentivement ces crédits et renforcer les effectifs des Udap et des Drac, afin que la veille soit assurée et que les conseils utiles soient donnés aux maires.

Ce budget en hausse si manifeste dans un contexte de disette budgétaire mérite évidemment notre soutien. Pour autant, il devrait également être le support du combat en faveur de la diversité culturelle et de son expression large et incontournable dans tous les territoires. Ce combat passe par le renforcement du soutien apporté à la politique culturelle des collectivités locales, soutien quasi absent de ce budget. Rappelons tout de même que la décentralisation de la culture est aussi un enjeu de sobriété énergétique. Il s'agit de coconstruire, de « cochoisir », de codécider, de faire mieux ensemble !

Il n'y a pas de futur dans une société sans culture. C'est pourquoi le groupe UC votera pour ce budget. Néanmoins, j'y insiste, il appelle également de ses vœux un projet commun entre nos territoires et un ministère qui oserait enfin grandir, franchir les frontières et évoluer hors de ses murs.

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