Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits que nous examinons sont aussi importants que le champ de la mission est vaste.
Celle-ci touche aux usagers, sans doute encore plus encore que la mission précédente, car il s'agit de la presse et des livres que nous lisons, de la télévision que nous regardons, de la musique que nous écoutons ou même des jeux vidéo auxquels nous jouons.
Nous abordons aussi un domaine qui engage la souveraineté de la France, car tous ces outils participent au rayonnement de notre pays. Les enjeux doivent être envisagés à ce niveau, d'où la nécessité d'avoir des politiques publiques, cohérentes, solides et ambitieuses.
Des améliorations ont été apportées par rapport à l'année dernière et la commission de la culture, dont je salue les membres, y a pris sa part. Elle a attiré l'attention sur certaines difficultés et le dialogue constant que nous avons pu mener avec le ministère de la culture a porté ses fruits.
Mais la situation reste préoccupante, malgré quelques lueurs et davantage de visibilité. Il existe encore des insuffisances, notamment en raison de l'absence de réforme d'ensemble dans certains domaines.
La lecture reste une priorité, pas seulement budgétaire, mais aussi humaine. En effet, l'accès à la vie, à la société et à la citoyenneté est conditionné par ce précieux apprentissage. Il s'agit non seulement d'une activité ludique, mais aussi d'un accès au monde des adultes.
S'il faut se réjouir de la hausse des crédits pour la stratégie nationale en faveur de la lecture, cette déclinaison territoriale doit être davantage soutenue. Pour encourager la lecture, il faut poursuivre l'effort d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques, en particulier dans nos communes rurales, où les résultats ont été positifs, voire prometteurs.
Comment soutenir les initiatives locales en faveur de la lecture et, surtout, comment aider nos collectivités, qui sont de précieux appuis pour éviter le décrochage d'une partie de la jeunesse en matière de lecture ?
Le livre connaît une certaine embellie, qui se traduit par une hausse de 3, 7 % du marché de l'édition par rapport à 2019, et c'est heureux.
Mais force est de constater que les relations entre auteurs et éditeurs restent compliquées et tendues, avec, notamment, de vives divergences entre eux sur le partage de la valeur. Nous avons évité une surconcentration, mais il faut tenir compte des inquiétudes et faire en sorte que le marché soit concurrentiel.
Comment continuer à développer une véritable politique du livre dans nos territoires, avec ce cri du cœur : « Comment faire aimer le livre ? »
Dans ce domaine, il faut saluer la place de la BNF, dont le budget, qui occupe une large part du présent programme, s'élève à 242, 6 millions d'euros, en progression de 6, 1 %.
Mais la BNF subit de plein fouet l'explosion des coûts, notamment ceux de l'énergie, et fait face à des charges incompressibles, comme celles de son personnel, qui augmentent de 14 millions d'euros.
Cela étant, la gestion de la BNF est sérieuse et, malgré les difficultés, je veux saluer ses efforts.
Outre l'accueil des lecteurs, je tiens à souligner l'existence de chantiers importants, comme celui du futur Pôle de conservation des collections à Amiens, dont l'ouverture est prévue en 2029. Ce site, qui hébergera le Conservatoire national de la presse, doit accueillir la plus grande collection de la presse francophone.
Madame la ministre, comment garantir les missions de la BNF dans ce contexte de surcoût persistant, qui résume les difficultés que peuvent subir des établissements culturels ?
La situation de la presse, quant à elle, est préoccupante, malgré des aides aussi diversifiées que constantes. Les crédits sont au rendez-vous ; là encore, il faut s'en féliciter.
Nous sommes tous attachés à disposer d'une information objective, documentée, juste et vérifiée. Média classique par excellence, mais confrontée à une crise structurelle, bien antérieure à l'apparition d'internet, la presse fait l'objet de l'attention constante des pouvoirs publics.
Outre la concurrence des plateformes numériques, on constate un effondrement des recettes publicitaires depuis quinze ans. La récente problématique de la hausse des prix, par exemple du papier ou des carburants, aggrave – hélas ! – la situation. Aujourd'hui, la presse cumule les difficultés, dont certaines sont anciennes, d'autres moins. En tout cas, le constat est là : 60 % de recettes en moins ces vingt dernières années.
La question des aides à la presse reste d'actualité, même si l'on constate une faible hausse des crédits qui lui sont consacrés.
Au-delà de l'aide aux journaux, la presse doit surtout permettre un accès à l'information de tous les citoyens sur le territoire.
La question du portage et du colportage se pose aussi depuis la mise en œuvre récente de la nouvelle aide à l'exemplaire à double barème, sans oublier le soutien à France Messagerie, qui est la seule société à couvrir l'ensemble du territoire.
Se pose enfin la question de l'accès à la presse des différents publics, dont certains sont réputés être réticents. Je pense surtout aux jeunes, qui non seulement constituent le public qui lit le moins les journaux, mais sont aussi attirés par de vrais concurrents, de faux amis de la lecture et de l'information : les réseaux sociaux.
À cet égard, comment encourager les jeunes à se tourner vers la presse ? L'extension du pass Culture aux abonnements pour 2024 permettra-t-elle d'améliorer la situation ?
Enfin, la presse quotidienne régionale (PQR) doit être accompagnée dans sa transition numérique, puisque, pour compenser la perte d'un abonné papier, trois à quatre abonnés numériques sont nécessaires.
Madame la ministre, comment avoir une information fiable qui nourrit le citoyen et sa réflexion et qui renforce son esprit critique, et non une information biaisée qui désinforme et abaisse ? Une politique ne sera efficace que si elle est en mesure d'éclairer le citoyen.
Je veux aussi aborder la situation de l'Agence France Presse (AFP), vitrine de notre pays. On observe une hausse de ses crédits, qui accompagne le redressement financier de l'agence. Des économies ont même été réalisées, ce dont je me réjouis.
L'AFP a commencé à exercer de nouvelles missions, comme le fact checking – pardonnez-moi cet anglicisme –, mais encore faut-il que la réorganisation de ses services lui permette de mieux les mener.
Nous resterons vigilants à ce sujet, madame la ministre. Nous souhaiterions d'ailleurs que vous nous apportiez davantage de précisions, car l'AFP est un organisme sous le contrôle de l'État, et non un acteur privé. Sa parole engage, et toute polémique sur l'AFP prend toujours de l'ampleur.
La question de l'identité de l'audiovisuel public se pose également. Nous avons besoin d'un service public fort ayant sa propre identité, d'une véritable marque « France », capable de relever la concurrence des grands noms étrangers, et non d'un décalque des chaînes privées.
Pourquoi parle-t-on de la BBC, mais pas de France Télévisions à l'étranger ? Il y a comme un retard.
On peut aussi s'interroger sur les achats par France Télévisions de certaines productions. Peut-être faudra-t-il que la société se concentre sur ce qui atteste la spécificité d'un grand groupe public à dimension internationale capable de relever le défi de la concurrence étrangère.
Certes, on note aussi un certain nombre d'améliorations, comme le financement de l'audiovisuel public par un prélèvement sur les recettes de TVA. Mais cette ressource n'est pas pérenne. Il reste un an pour trouver une solution durable.
Je tiens à saluer les évolutions constatées sur le CNM, dont certaines sont nées d'initiatives sénatoriales.
Une solution sérieuse a émergé avec une éventuelle « taxe streaming ». À cet égard, je salue la démarche du président de notre commission, Laurent Lafon. C'est une forme d'aboutissement par rapport aux craintes que nous avions exprimées. Cela a porté leurs ses fruits. Je me réjouis que nous passions enfin du brouillard à la clarté.
C'est bien la preuve que le Sénat, sur la délicate question du financement de nos établissements culturels, est force de proposition et qu'il sait prendre des décisions après avoir dressé un certain nombre de constats, comme l'échec des contributions volontaires.
Mais comment surmonter les réticences des plateformes, alors que le secteur est dynamique ? Un dialogue confiant devra s'engager pour rassurer les acteurs du streaming.
La levée des inquiétudes concernant le financement du Centre national de la musique doit aussi être l'occasion de nous interroger sur ses missions. Comment mieux mettre en œuvre la politique publique en faveur de la musique ?
La pluralité de nos créations musicales et de nos musiques est un véritable sujet. Je vous l'avoue, les attaques et les dénigrements malveillants contre les musiques classiques m'inquiètent, tout comme la fragilité des musiques de nos terroirs, qui risquent véritablement de disparaître.
En commission, nous avons fait part de notre attachement au patrimoine immatériel, dont les traditions musicales de nos territoires font partie. Leur défense s'impose.
Notre vigilance n'a d'égale que notre espérance, car nous croyons en l'avenir et au potentiel de la culture dans un pays dont la réputation n'est plus à faire.
Je veux être optimiste : je ne suis pas une adepte du déclin et de la déploration systématique et résignée. Et comme Joachim du Bellay, je veux rappeler que la France est « mère des arts, des armes et des lois ». Chez ce grand poète, c'est bien notre culture qui apparaît en premier.
Sous toutes ces réserves, nous émettons un avis favorable sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » pour 2024. §