Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut bien reconnaître que les enjeux portés par la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et par le compte d'affectation spéciale qui y est rattaché sont particulièrement transversaux et que le ministre de l'agriculture fait face, plus encore que certains de ses collègues, à des obstacles objectivement difficiles.
Entre la concurrence économique, les conséquences de la situation géopolitique mondiale, le réchauffement climatique, le manque d'attractivité d'une partie des professions agricoles, les crises sanitaires successives, les handicaps propres à la ruralité, le recul de notre souveraineté alimentaire, un secteur de la recherche qui se désintéresse de l'innovation agricole et j'en passe, c'est peu dire qu'il faudrait un volontarisme politique fort pour contribuer au renouvellement de l'agriculture française.
Or, ces dernières années, ce volontarisme politique a fait défaut, au moins sur le plan budgétaire.
Alors que, régulièrement, le Sénat tirait la sonnette d'alarme sur la situation du monde agricole, les gouvernements successifs se sont entêtés à sous-dimensionner le budget de l'agriculture, ce qui a probablement conduit notre assemblée à rejeter les crédits de la mission l'an dernier.
En 2024, le total des concours publics consacrés à l'agriculture, l'alimentation et la forêt atteindra 25, 5 milliards d'euros, un montant qui comprend 9, 4 milliards d'euros de cofinancements européens auxquels la France contribue, 8, 5 milliards d'euros de dispositifs fiscaux et sociaux, ainsi que les crédits de la présente mission, qui progressent de 38 % par rapport à cette année et s'élèvent à 5, 3 milliards d'euros en autorisations d'engagement.
Présenté ainsi, ce budget pourrait donner le sentiment d'un « quoi qu'il en coûte » agricole, mais soyons objectifs : en dehors des crédits destinés à verdir le budget, que je ne minimise pas, mais qui, à court terme, ne répondent pas aux attentes du secteur, et si l'on fait abstraction des compétences transférées, le Gouvernement présente finalement un projet assez proche de l'exécution moyenne des derniers exercices.
Dans une certaine mesure, il s'agit déjà là d'un progrès. En effet, au lieu de vous entêter, monsieur le ministre, à sous-évaluer dans un premier temps les besoins et d'être contraint, comme chaque année, de solliciter des crédits supplémentaires en cours d'exercice, vous avez fait l'effort de présenter un budget initial plus près des besoins réels, tenant compte notamment des aléas, dont vous reconnaissez enfin qu'ils n'ont rien d'aléatoire budgétairement parlant.
En réalité, au vu du sous-dimensionnement antérieur, l'effort financier annoncé constitue un rattrapage utile. Mais la diversité des amendements que nous aurons à examiner le prouve : tous les acteurs de l'agriculture attendent que vous répondiez présent.
Or le fait d'annoncer une revalorisation du budget initial sans répondre aux principales attentes des professionnels risque de susciter des déceptions : alors que nous vous attendons sur le foncier agricole, la rémunération des exploitants, la lutte contre les distorsions de concurrence ou encore la souveraineté alimentaire, vous nous répondez plutôt : haies, protéines et décarbonation.
Cela étant, l'objectivité commande de reconnaître que vous avez consenti un réel effort budgétaire s'agissant du verdissement. Nous y sommes favorables, puisque la commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits de la mission.
Certes, toute l'agriculture ne peut pas s'organiser en fonction de la transition écologique, mais nous ne pouvons plus faire l'économie de politiques adaptées aux nouvelles réalités. Je ne détaillerai pas toutes les facettes de ce verdissement : je sais, monsieur le ministre, que vous le ferez.
Je le répète, cette nécessité conduira bon nombre d'entre nous à voter ce budget. Mais ce vote ne constitue en rien un quitus. Nous comptons bien exercer notre double mission : celle de porter la parole des territoires et celle d'examiner et de voter les textes en séance publique – d'autant que nous sommes, dans les faits, la seule assemblée à le faire…
Puisque le temps m'est compté, je terminerai en évoquant deux points – parmi tant d'autres – auxquels le Sénat est attentif, et qui, me semble-t-il, reflètent cette parole des territoires.
Le premier point, qui aurait mérité d'être davantage mis en exergue dans ce budget, constitue un sujet de préoccupation majeur pour le Sénat : dans moins de dix ans – je sais que vous connaissez très bien ces statistiques, monsieur le ministre –, une petite moitié des agriculteurs actuels sera partie à la retraite. Notre premier devoir est d'améliorer les conditions de leur remplacement. Or, vous le savez parfaitement, les modalités de transmission des installations ne sont, pour l'instant, pas du tout à la hauteur du défi à relever.
Alors, monsieur le ministre, je vous pose la question très directement : dans ce projet de loi de finances pour 2024, parmi ces millions d'euros de crédits « verts », dans le cadre de ce pacte « haies » et de ce plan « protéines végétales », qui sont certes utiles, mais qui ne répondent pas aux attentes immédiates des exploitants qui arrivent ou qui partent, qu'est-ce qui pourrait aider ceux qui hésitent à devenir agriculteurs ? Qu'est-ce qui pourrait motiver ceux qui constatent que le foncier est toujours plus cher, que les rémunérations sont toujours plus faibles et que les débouchés sont toujours plus réduits ?
Le second point qui, à mon avis, aurait mérité d'être davantage mis en évidence dans le cadre de cette mission a trait au nécessaire rétablissement de notre souveraineté alimentaire. Je le reconnais, vous défendez quelques mesures de long terme qui vont dans ce sens. Mais quelles seront les dispositions qui, en 2024, mettront concrètement un terme aux distorsions de concurrence et favoriseront massivement le local ?
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, notre enthousiasme, lui, n'est pas en hausse de 38 %, même si nous voterons les crédits de la mission. Nous aurions souhaité que ces crédits soient mieux répartis entre les mesures en faveur du verdissement et d'autres attentes parfois plus immédiates et matérielles.
Le nombre d'amendements déposés – une centaine – traduit bien ce goût d'inachevé. Croyez bien que, si votre majorité avait présenté un équilibre budgétaire plus satisfaisant, la commission des finances aurait soutenu davantage d'initiatives de nos collègues.
En tant que rapporteurs spéciaux, nous ne serons donc favorables qu'à quelques amendements choisis avec parcimonie en raison du contexte financier.
Pour le reste, nous nous en remettrons à la sagesse de nos collègues pour ne pas déséquilibrer davantage les comptes publics, même s'il faut reconnaître que bien des situations mériteraient que nous nous mobilisions davantage. §