Intervention de Evelyne CORBIÈRE NAMINZO

Réunion du 8 décembre 2023 à 16h00
Loi de finances pour 2024 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Evelyne CORBIÈRE NAMINZOEvelyne CORBIÈRE NAMINZO :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » bénéficiera en 2024 d'une augmentation de crédits – c'est indéniable –, mais cela suffira-t-il pour répondre aux enjeux stratégiques propres à notre agriculture ?

Ce secteur fait face à un triple défi : s'adapter et gérer les conséquences du changement climatique, assurer sa transition écologique et organiser le renouvellement générationnel, tout en maintenant la sécurité alimentaire. Le tout dans un contexte de crise alimentaire et énergétique et de concurrence exacerbée par la multiplication des accords de libre-échange.

Nous considérons que ce budget sera insuffisant, faute de vision stratégique pour relever tous ces défis et préserver un modèle d'agriculture familial de plus en plus fragile.

Venons-en aux détails.

D'abord, le soutien accordé aux mesures agroenvironnementales et aux aides à la conversion bio est en baisse. Il manquera 250 millions d'euros, alors qu'il s'agit des instruments de mutation qui nous permettraient d'adapter nos systèmes au changement climatique.

L'État n'est pas en mesure d'honorer ses engagements envers les paysans ayant signé un contrat en 2023. Et, pour 2024, les crédits de paiement sont en baisse par rapport à cette année, ce qui n'est pas acceptable.

Parallèlement, l'agriculture biologique connaît de grandes difficultés, notamment à cause de la baisse de la consommation liée à l'inflation.

Certes, un plan d'urgence a été lancé, mais les critères pour y accéder sont tellement restrictifs que de nombreuses filières ont dû déclasser une partie de leurs productions bio pour les réorienter vers le marché conventionnel, ce qui a entraîné une très forte baisse des prix payés aux producteurs, mettant toutes les filières en tension.

Sans compter que la disparition définitive des aides au maintien de la PAC régionalisée aggravera encore l'effondrement des filières bio.

Dans le même ordre d'idées, en étendant à près de 90 % des exploitations le bénéfice des écorégimes, nous diluons le soutien autrefois apporté à ceux qui investissaient beaucoup pour faire évoluer leurs pratiques. Nous perdons donc un effet de levier qui encourageait vraiment la transition agricole.

Par ailleurs, les crédits alloués à la planification écologique sont en hausse. C'est une bonne chose, même si nous n'en connaissons pas l'affectation. Ces crédits seront-ils fléchés vers des investissements en machines ? Accentueront-ils le « techno-solutionnisme » ?

Nous en connaissons pourtant les limites, surtout pour ce qui est de répondre à l'impératif de changer de modèle pour tendre vers une agriculture respectueuse de la terre et du vivant. Encore une fois, nous faisons face à un manque de traçabilité des fonds publics.

En outre, on nous répète à l'envi qu'il faut aider à l'installation des agriculteurs, mais dans le même temps, le montant de l'aide complémentaire aux revenus pour les jeunes agriculteurs n'est toujours pas connu, alors que leur versement doit intervenir d'ici quinze jours. Pire, le montant de cette aide est en baisse par rapport à ce qui était initialement prévu dans le plan stratégique national.

Aussi, aucun budget n'est réellement prévu pour l'installation des agriculteurs. Comment rester à ce point dans l'inaction, lorsque l'on sait que le nombre d'exploitations est passé d'un million dans les années 1990 à moins de 400 000 aujourd'hui ?

On nous parle de la nécessité de renforcer l'attractivité de la profession agricole, mais aucune mesure de ce budget ne met sérieusement en cause les modalités de fixation des prix et de rémunération des paysans. En effet, rien n'est prévu pour garantir à ceux qui nous nourrissent un prix juste et rémunérateur, tout en offrant aux Français les moyens de se nourrir.

Pire, avec votre réforme du revenu de solidarité active (RSA), vous augmentez le risque financier qui pèse sur de nombreux agriculteurs. Avez-vous pensé à ceux d'entre eux qui, faute de revenus suffisants, sont bénéficiaires du RSA et qui seront contraints d'effectuer, eux aussi, les quinze heures d'activité hebdomadaire obligatoires, alors qu'ils sont actifs sur leur exploitation ?

Enfin, et nous aurons l'occasion de revenir sur ce point durant les débats, comment pouvez-vous parler de souveraineté alimentaire, alors que vous faites la promotion d'une concurrence déloyale dans le cadre des traités de libre-échange ? Ces accords continuent de fragiliser la souveraineté alimentaire que vous prétendez défendre.

De nombreuses organisations syndicales le déplorent : ces conventions internationales anéantissent tout espoir de relocalisation de notre agriculture, ce qui permettrait pourtant de faire vivre nos territoires et de rémunérer le travail paysan.

Toutes les faiblesses de ce budget ont une tonalité tout aussi inquiétante dans les outre-mer. Les affaires liées au glyphosate ou au chlordécone ne sont pas les seuls scandales. Quels moyens mettrez-vous en œuvre pour garantir une véritable autonomie alimentaire dans nos territoires ultramarins qui considèrent la vie chère, l'éloignement et l'insularité comme des abandons de la République ?

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