Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans sa lettre aux instituteurs et institutrices, Jean Jaurès déclarait : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. »
C’est un lourd fardeau que nous faisons peser sur les épaules de ceux qui sont chargés d’éduquer au quotidien les élèves de notre pays, et il l’est d’autant plus à l’heure où reste présente dans tous les esprits la mort tragique de Dominique Bernard, frappé dans sa chair, comme Samuel Paty, par la terreur islamiste.
Chaque année s’égrènent les chiffres des milliers de postes non pourvus aux concours du professorat, révélateurs d’une crise d’attractivité sans précédent, crise qui conduit mécaniquement à des classes sans professeur et au recrutement de contractuels insuffisamment formés pour répondre aux défis qui les attendent.
Face à cette spirale vertigineuse, nous ne devons pas nous résoudre à l’impuissance, mais plutôt partir des constats qui s’offrent à nous pour proposer les bonnes solutions.
Ces constats, nous les connaissons : perte de 15 % à 20 % de pouvoir d’achat des enseignants français en vingt ans, manque de reconnaissance de la part de l’institution et de la société dans son ensemble, fatigue et malaise croissants dans l’exercice de leurs missions.
Or le budget qui nous est soumis ne répond pas à ces problématiques.
Sur le plan salarial, si des efforts ont été faits concernant les professeurs débutants, la France reste en queue de peloton au sein des pays d’Europe de l’Ouest s’agissant de la suite de leur carrière. Les enseignants sont confrontés à un nouveau plafond, que le Gouvernement entend combattre principalement par le pacte enseignant et la logique du « travailler plus pour gagner plus ».
Le déploiement du pacte renforce la défiance entre les personnels de l’éducation nationale et le ministère, alors même que cette relation a déjà été dégradée lors du précédent quinquennat ; cette mesure conduit, par ailleurs, à des inégalités entre les territoires et les établissements, d’autant plus que de nombreuses annonces éducatives de cette rentrée scolaire reposent uniquement sur son succès.
Il s’agit d’une suite logique, après la mise en place du dispositif « Notre école, faisons-la ensemble », lui aussi source d’inégalités territoriales par l’attribution de moyens aux seuls établissements souhaitant soumettre des projets, sans que les raisons pour lesquels d’autres ne le peuvent pas fassent l’objet d’une réflexion.
Vous créez ainsi une rupture d’égalité et vous entretenez les disparités existantes. Pas à pas, vous vous enfoncez toujours plus profondément sur le chemin d’une libéralisation de l’école.
De notre côté, nous restons convaincus que nous ne pouvons pas, et que nous ne devons pas, compter sur la main invisible pour faire fonctionner, améliorer et protéger l’école publique et laïque de la République.
En ce qui concerne les conditions d’apprentissage, ce budget acte de nouvelles suppressions de postes, 1 709 dans le premier degré et 481 dans le second.
Celles-ci ne relèvent pas d’une fatalité, mais bien d’un choix politique, qui doit s’apprécier au regard du fait que la France est l’un des pays de l’Union européenne dont les effectifs par classe sont les plus élevés, dans le premier comme dans le second degrés.
Lors de la dernière rentrée scolaire, plus de 1 600 classes ont été fermées ; nous connaissons les conséquences que de telles fermetures emportent dans nos territoires ruraux. La mobilisation locale pour empêcher ces suppressions n’a de sens que si nous nous battons au moment du budget – c’est-à-dire maintenant – pour maintenir le nombre de postes nécessaires.
Ce budget est également défaillant sur le plan de l’inclusion scolaire.
Loin de concrétiser la bascule d’une logique quantitative vers une logique qualitative en matière d’école inclusive, il semble aller encore plus loin dans la volonté de rationaliser à l’extrême l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap, cristallisée dans l’article 53 de ce PLF, lequel n’a pas sa place dans un texte financier. Vous avez pu constater, monsieur le ministre, combien d’amendements ont été déposés en vue de le supprimer.
En quelques années, les AESH sont devenus la deuxième catégorie de personnels de l’éducation nationale, conséquence directe de la hausse de 220 % des effectifs d’élèves en situation de handicap scolarisé en milieu ordinaire depuis 2004.
Nous devons poursuivre le recrutement d’AESH et aller plus loin dans l’amélioration de leurs conditions de travail, mais aussi de leurs rémunérations.
Je conclurai en évoquant l’enseignement agricole, vecteur d’innovation et de richesse pour les territoires ruraux, auxquels nous sommes nombreux à être attachés sur les travées de cet hémicycle.
Si le budget de l’enseignement agricole est effectivement en hausse, l’absence de créations de postes d’enseignants suscite des interrogations. Rappelons que 316 emplois avaient été supprimés entre 2017 et 2022, au détriment des conditions d’apprentissage.
Nous aspirons tous à une hausse du nombre d’apprenants dans l’enseignement agricole pour répondre au défi du renouvellement des générations d’agriculteurs et de la nécessaire transition agroécologique. Comment l’accompagner sans effectifs suffisants d’enseignants ? Sur ce sujet non plus, nous ne pourrons nous satisfaire du pacte enseignant comme réponse.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre ce budget.