Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec la fin de la guerre froide, le monde a connu durant une trentaine d'années une parenthèse géopolitique. Au cours de cette période, le relatif apaisement de l'ordre international, assis sur le primat américain, mais aussi sur une certaine prévalence du droit, du multilatéralisme et du commerce, a pu donner à certains l'illusion d'une marche continue vers la paix et la stabilité.
L'invasion de l'Ukraine fut une brutale prise de conscience pour l'Europe et la France, le révélateur d'une nouvelle ère placée sous le signe de l'incertitude, de la polarisation et de la confrontation. Dans celle-ci, les impérialismes se réveillent et les puissances régionales s'affirment. Les recours à la force se multiplient et accélèrent l'effacement, la marginalisation des enceintes internationales. En toile de fond, certains régimes autoritaires tentent de ressusciter à leur profit une logique de blocs destinée à saper l'influence occidentale.
Néanmoins, en cherchant à provoquer un divorce entre ce qu'elles appellent l'Occident collectif et le Sud global, c'est en fait une nouvelle fragmentation du monde que ces puissances font le choix d'attiser. Et c'est dans cet inquiétant climat global que, en Arménie, au Proche-Orient ou en République démocratique du Congo, des conflits naissent ou se réactivent ; que, au Sahel ou en Ukraine, certains s'enlisent ; que, en mer de Chine méridionale, dans le détroit de Taïwan ou dans le golfe de Guinée, d'autres semblent en gestation.
Cette nouvelle donne a incité les Européens à réinvestir d'urgence l'outil militaire qu'ils avaient délaissé. C'est bien sûr fondamental, mais ce n'est pas suffisant. Car s'il est indispensable de se préparer à l'éventualité de la guerre, il est tout aussi nécessaire de se donner les moyens d'en éloigner le spectre.
En d'autres termes, il est évident que, dans le monde tel qu'il se dessine, la diplomatie sera essentielle. Elle le sera d'autant plus pour un pays comme le nôtre, qui jouit d'un statut international particulier et qui entend jouer dans le monde un rôle singulier. Or, depuis plusieurs années, son influence décroît sur la scène internationale. À présent, c'est son image qui est battue en brèche, et pas seulement sur le continent africain.
Aussi, pour tenir son rang de puissance et continuer à peser sur le cours du monde, pour rester en capacité d'y défendre ses intérêts comme ses valeurs, la France aura besoin d'une diplomatie forte.
Soulignons aussi que nos diplomates – je veux ici leur rendre un hommage particulier – jouent un rôle crucial lorsque, dans des situations de crise, nos compatriotes établis à l'étranger sont menacés.
Que ce soit en Afghanistan, en Ukraine, au Soudan, au Niger ou au Proche-Orient, ils ont tenu ces dernières années, aux côtés de nos militaires, une place centrale dans les remarquables opérations d'évacuation qui ont permis la mise en sécurité de nos ressortissants. Ils méritent donc des moyens à la hauteur de la tâche qui leur incombe.
Or la somnolence stratégique qui a frappé les États européens ces dernières décennies s'est aussi accompagnée d'une certaine forme d'indolence diplomatique. Cette tendance a été particulièrement marquée dans notre pays. Car, s'il conserve l'un des réseaux diplomatiques les plus étoffés et les plus compétents au monde, n'oublions pas que, en trente ans, le budget du ministère des affaires étrangères a régressé de manière constante et que ses effectifs ont été réduits de moitié.
Après ces années de profonde érosion, la tendance semble désormais s'inverser. Ainsi, après avoir progressé de 160 millions d'euros en 2023, les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » connaîtront une nouvelle hausse substantielle de 9 % en 2024. Quant aux effectifs du Quai d'Orsay, ils bénéficieront de 165 nouveaux ETP, après la création nette de 106 postes décidée l'année dernière.
Bien sûr, nous n'en sommes pas encore au réarmement de notre diplomatie annoncé par le Président de la République. Cela prendra du temps et dépendra aussi de notre action globale sur nos finances publiques, dont l'état déplorable ne permet pas de dégager des marges de manœuvre budgétaires au niveau que nous souhaiterions.
En outre, notre capacité à renouveler et à renforcer notre politique étrangère ne sera pas seulement fonction de nouveaux moyens. Elle découlera aussi de la manière dont ceux-ci seront employés.
Or, la plupart des lignes budgétaires de la mission augmentant dans des proportions relativement homogènes, les priorités politiques qui se dégagent de ce projet de loi de finances restent difficiles à cerner. Quant à l'affectation des ressources additionnelles, financières ou humaines, elle reste parfois assez obscure.
Naturellement, je salue certains des axes mis en avant lors de la présentation du budget pour 2024. Je pense par exemple aux moyens supplémentaires destinés à notre réseau consulaire, qui a tant souffert au cours des dernières années. Je pense également au renforcement des capacités d'analyse et de communication, en particulier dans nos postes en Afrique et dans l'Indopacifique.
À l'heure de la lutte informationnelle et de la montée du sentiment antifrançais en Afrique, il s'agit en effet d'un levier essentiel pour restaurer et renforcer l'influence de notre pays.
Toutefois, il faut bien avouer que, budgétairement parlant, peu d'éléments ressortent de manière particulièrement saillante. Or, face à ce que nos rapporteurs spéciaux ont identifié à juste titre comme un risque de saupoudrage des moyens supplémentaires octroyés à notre diplomatie, sans doute serait-il plus efficace de concentrer nos efforts sur un nombre restreint d'objectifs clairement identifiés.