Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 11 décembre 2023 à 10h30
Loi de finances pour 2024 — Justice

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le constat dressé l'année dernière par le comité des États généraux de la justice est accablant : c'est celui d'un service public et d'une institution en crise majeure.

La loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 s'inscrit dans ce contexte et c'est bien à l'aune de ce constat que nous devons apprécier la trajectoire des crédits alloués à la justice.

Les hausses budgétaires significatives constatées depuis 2021 me paraissent absolument essentielles pour commencer à combler les retards accumulés par le ministère.

L'année 2024 se place dans cette tendance : les autorisations d'engagement s'élèveraient à 14, 8 milliards d'euros, en hausse de près de 14 %, tandis que les crédits de paiement atteindraient 12, 2 milliards d'euros, en hausse de plus de 5 %.

En dix ans, le budget de la justice aura progressé de plus de 54 % et connu une accélération très nette depuis 2021. Il a ainsi augmenté deux fois plus vite entre 2021 et 2024 qu'au cours de la période 2015-2020.

Surtout, le niveau des crédits de la mission « Justice » serait conforme à la trajectoire que nous avons votée voilà quelques semaines, dans le cadre de ladite loi de programmation.

Certes – vous en conviendrez sans doute, monsieur le garde des sceaux –, il n'est pas difficile de tenir la première année de programmation et il aurait été difficile de concevoir le budget autrement.

Nous verrons, bien entendu, ce qu'il en sera dans les prochaines années, d'autant que l'inflation doit être maintenant pleinement intégrée à la prévision.

Pour ce qui concerne les effectifs, 10 000 postes devraient être créés d'ici à 2027, dont 1 500 postes de magistrats et 1 800 postes de greffiers.

C'est d'ailleurs sur l'initiative du Sénat que la cible de recrutement a été portée à 1 800 emplois pour les greffiers, quand le projet initial du Gouvernement n'en prévoyait que 1500.

Je m'en félicite, tout comme je me félicite que le projet de loi de finances pour 2024 comprenne des crédits alloués à des mesures de revalorisation de l'ensemble des personnels de la justice.

Je pense notamment aux magistrats et à l'extension en année pleine de la hausse de leur rémunération de 1 000 euros par mois, à la signature d'un protocole d'accord avec les greffiers au mois d'octobre ou encore à la reclassification en catégorie B des surveillants pénitentiaires et en catégorie A des officiers pénitentiaires.

Ce serait toutefois se méprendre que de considérer que l'augmentation soutenue des moyens budgétaires a résolu l'ensemble des difficultés rencontrées par le ministère de la justice dans l'exercice de ses missions fondamentales.

Sur le terrain, les magistrats, les surveillants pénitentiaires et les éducateurs peinent à voir les résultats concrets de cette trajectoire budgétaire sur leur quotidien. Ils nous le disent.

Or, monsieur le garde des sceaux, tant qu'ils n'en verront pas les effets, nous continuerons de déplorer des vacances de poste, des situations d'épuisement professionnel, des lacunes dans la réinsertion des anciens détenus ou encore des insuffisances dans la prise en charge des mineurs ou des justiciables. Ces derniers ne comprennent pas que les délais de traitement de leurs dossiers soient aussi longs.

Je l'ai souligné à plusieurs reprises : soutenir la hausse des crédits octroyés à la justice, ce n'est pas donner un blanc-seing au Gouvernement.

L'effort en dépenses doit s'accompagner d'un meilleur suivi des crédits en gestion et, surtout, d'une meilleure évaluation des politiques publiques conduites avec ces moyens supplémentaires.

Néanmoins, la culture de l'évaluation fait souvent défaut au ministère de la justice.

J'ai pu le constater lors de mes travaux de contrôle sur le « plan 15 000 » et sur le plan de création des vingt centres éducatifs fermés (CEF) : nous ne disposons pas, par exemple, d'études qualitatives sur l'impact des différentes mesures de placement des mineurs sur leur parcours de vie et sur leur probabilité de récidive ou de réitération. Je rejoins ici le constat de la mission commune d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés, qui a appelé, elle aussi, au développement de ces évaluations.

J'ai d'ailleurs défendu l'idée d'installer un comité d'audit auprès de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij).

Il s'agit non pas de remettre en cause le travail de cette agence – il doit au contraire être salué –, mais de souligner la nécessité d'affiner bien davantage le suivi des crédits engagés sur des investissements de grande ampleur.

On ne peut pas autoriser l'allocation de 3, 5 milliards d'euros au titre des dépenses immobilières du ministère de la justice sur la période 2023-2025 sans se soucier de leur exécution.

J'ai en tête, bien entendu, le plan de construction des 15 000 places de détention supplémentaires, mais aussi les projets immobiliers judiciaires.

Dans ce domaine, les constats sont sans appel. Au 1er juillet 2023, seulement 2 771 places nettes ont été ouvertes, pour quatorze opérations achevées. D'ici à la fin de l'année 2023, cinq nouveaux établissements devraient ouvrir, pour 1 328 places.

Au total, 4 099 places devraient avoir été créées, cinq ans après le lancement du « plan 15 000 » à l'automne 2018. C'est près de 3 000 places de moins que l'objectif initialement fixé par le Gouvernement.

Quant aux coûts, ils ont augmenté sous le double effet de l'inflation et des multiples changements apportés au cahier des charges des projets.

Un comité d'audit doit permettre de disposer d'un suivi de ces évolutions.

Les constats sont les mêmes pour l'immobilier judiciaire, qui connaît, lui aussi, d'importants décalages calendaires et budgétaires.

En moyenne, le coût actualisé des projets immobiliers judiciaires serait supérieur de 36 % au coût initial et les délais de livraison supérieurs de 24 % à ceux qui avaient été envisagés au départ.

Bien entendu, monsieur le garde des sceaux, nous ne remettons nullement en cause ces programmes immobiliers. Ils sont absolument nécessaires pour améliorer les conditions de travail des magistrats et des agents pénitentiaires, ainsi que les conditions de prise en charge des détenus.

Nous voulons simplement que cet argent public soit bien employé.

Sur ce point, et dans un tout autre domaine, je tiens à saluer la mise en place des techniciens informatiques de proximité. Sans nous attarder sur cette appellation, apprécions le fond : dans chaque juridiction, les magistrats auront un référent auquel s'adresser pour résoudre les difficultés informatiques qu'ils rencontrent au quotidien.

Si l'évolution dynamique des crédits alloués à l'informatique est positive au regard des besoins, encore faut-il que les projets soient bien menés – et cela vaut pour le budget du ministère de la justice en général.

Les personnels ont trop souvent critiqué des applications vétustes, complexes ou sources de nouvelles contraintes. Je le répète, l'usager doit être placé au centre des développements numériques.

Monsieur le garde des sceaux, c'est sur le constat de la place centrale des usagers, professionnels comme justiciables, que j'en termine avec mes observations sur le projet de budget du ministère de la justice.

La commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits prévus en loi de finances pour 2024. §

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