Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par évoquer la question de la surpopulation carcérale, dont plusieurs de mes collègues ont déjà parlé.
Le taux d'occupation des établissements pénitentiaires en France s'élève aujourd'hui à 123, 2 %, ce qui constitue un nouveau record : 2 336 détenus en France sont obligés de dormir sur un matelas posé à même le sol. Les quartiers pour les détenus mineurs ne sont pas épargnés. À la prison de Remire-Montjoly, en Guyane, des mineurs doivent se partager une cellule individuelle. C'est inacceptable, parce que la surpopulation carcérale entraîne des conditions indignes de détention.
La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs déjà condamné la France à deux reprises pour les conditions de détention inhumaines et dégradantes de ses prisons : une première fois en 2020, une seconde fois en juillet dernier. De plus, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'État pour traitement inhumain et dégradant des détenus dans le centre pénitentiaire de Perpignan, où trois personnes – trois ! – se partagent une cellule de neuf mètres carrés.
Ces conditions inhumaines de détention découlent du fait que la population carcérale ne cesse de croître. Le taux d'incarcération en France est le plus élevé de toute l'Europe, juste après ceux de Bulgarie et de Chypre. Alors que nos voisins européens tendent à réduire le taux d'incarcération, la France emprunte le chemin inverse.
Pourquoi ? Parce que ce gouvernement continue de soutenir le tout-carcéral au détriment des peines de substitution à l'emprisonnement. La mise en place de mécanismes de régulation carcérale est refusée, année après année. À la place, les comparutions immédiates se développent, alors qu'elles empêchent le recours aux peines alternatives. Résultat : les prévenus jugés en comparution immédiate ont huit fois plus de chances d'être condamnés à une peine de prison que les prévenus jugés en correctionnelle.
Faute d'une stratégie de long terme pour lutter contre la surpopulation carcérale, le Gouvernement propose de construire de nouvelles prisons. C'est de l'argent très mal investi, parce que cette politique ne permet ni d'améliorer les conditions de détention ni de lutter, de manière systémique, contre la surpopulation carcérale. Permettez-moi de citer la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : « La construction de nouvelles places de prison ne saurait constituer une réponse efficace aux problèmes aux problèmes de la surpopulation carcérale. » À la place, il faudrait plutôt mettre en place des mécanismes de régulation carcérale et réduire le recours aux comparutions immédiates.
Malheureusement, la course pour créer toujours plus de places ne se limite pas aux centres pénitentiaires. La situation est similaire pour les centres éducatifs fermés. Ces centres visent à accueillir pendant plusieurs mois des jeunes de 13 à 17 ans ayant commis des infractions. L'idée est de sortir ces mineurs de leur environnement habituel, pour leur réapprendre la vie en collectivité. En 2017, Emmanuel Macron avait promis que vingt nouveaux centres seraient construits : ce chantier avance lentement, mais sûrement.
Cette année, à nouveau, le Gouvernement nous demande des crédits pour la construction de nouveaux centres. Or le problème tient non pas à un manque de place, mais à la défaillance de l'encadrement, notamment parce que la rotation des équipes est extrêmement élevée ; un tiers des places dans ces centres sont actuellement vacantes. Alors que les capacités ne sont pas toutes utilisées, la création de nouveaux centres éducatifs fermés paraît insensée… C'est pourquoi je partage l'avis de ma collègue Laurence Harribey, qui rappelle que de nombreuses solutions autres que la construction de nouveaux centres existent, à commencer par la justice restaurative.
J'en viens maintenant à la justice. Notre appareil judiciaire est malade et depuis longtemps. La France compte seulement 11 juges pour 100 000 habitants en France, alors que la médiane européenne se situe à 18. En raison de ce sous-effectif chronique, notre justice est structurellement lente. Certes, et nous nous en félicitons, nous avons enfin acté des recrutements dans les métiers de la justice, mais, si l'on veut attirer des personnes qualifiées, nous devons aussi améliorer les conditions de travail, revaloriser les rémunérations et investir dans les capacités de formation.
Vous vous félicitez, monsieur le garde des sceaux, d'avoir obtenu une hausse importante des crédits budgétaires pour la justice cette année. Nous aussi. Mais gardons en tête qu'il s'agit seulement d'un lent rattrapage, car les dépenses pour le système judiciaire restent, cette année encore, nettement inférieures à celles de nos voisins européens. À titre d'exemple, en Allemagne, les dépenses pour la justice représentent 141 euros par personne et par an ; en France, elles s'élèvent seulement à 73 euros, soit près de deux fois moins.
Au lieu de construire toujours plus de prisons, nous devrions sortir du tout-répressif et mettre un terme à certaines dérives qui favorisent la justice expéditive. C'est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s'abstiendra sur le vote des crédits de cette mission.