Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 6 décembre 2023 à 21h15
Loi de finances pour 2024 — Administration générale et territoriale de l'état

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », le ministère de l’intérieur met en œuvre trois de ses responsabilités fondamentales : garantir l’exercice des droits des citoyens ; assurer la présence et la continuité de l’État sur le territoire ; appliquer localement les politiques publiques décidées nationalement.

De manière générale, le budget de cette mission s’élève pour 2024 à un peu moins de 6 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à un peu moins de 5 milliards d’euros en crédits de paiement, soit des hausses respectives de 15 % et de 2 % par rapport à l’exercice précédent.

Cette hausse, qui est conforme à la Lopmi, masque toutefois une disparité : les crédits du programme 354 « Administration territoriale de l’État », qui est le programme majeur, restent stables ; ceux du programme 232 « Vie politique » augmentent substantiellement, en raison du calendrier électoral ; quant au programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », il se voit doté d’autorisations d’engagement d’un niveau substantiel, ce qui s’explique avant tout par la réalisation de projets immobiliers structurants.

Je me concentrerai sur le programme 354 « Administration territoriale de l’État », qui absorbe un peu plus de la moitié des crédits de la mission.

La doctrine du Gouvernement concernant l’État territorial demeure, pour notre groupe, un sujet d’interrogation. L’examen du programme 354 montre que, d’une certaine façon, la question du retrait de l’État territorial n’est toujours pas tranchée, en dépit de la volonté affirmée, de la part du Gouvernement, d’un « réarmement territorial ».

Dans son rapport de mai 2022, la Cour des comptes soulignait la perte sur dix ans de 14 % des effectifs de l’administration territoriale de l’État, soit environ 2 500 ETP.

La Cour pointait également une baisse parfois disproportionnée des effectifs des préfectures et des DDI par rapport aux autres missions du ministère de l’intérieur. Jugeant cette suppression d’effectifs « irréaliste », elle considérait même que l’exercice par les préfectures de leurs missions prioritaires s’en trouvait fragilisé.

Dans le rapport d’information qu’Agnès Canayer et moi-même avons rédigé au nom de la délégation aux collectivités territoriales, nous relevons, en l’espace de dix ans, une chute des effectifs de 36 % pour les DDI et de 10 % pour les préfectures et les sous-préfectures.

Seules trois préfectures ont vu leurs effectifs augmenter dans cet intervalle, quand trente-cinq d’entre elles perdaient au moins 59 ETP. Cinq sous-préfectures ont enregistré une hausse de leurs effectifs, alors que près de soixante d’entre elles ont connu une baisse d’effectifs allant de 10 à 20 ETP.

Parallèlement, notre collègue Isabelle Briquet, dans son rapport d’information sur les secrétariats généraux communs, a souligné « une perte de compétences importante ». Pourtant, cette administration joue un rôle essentiel au sein de nos territoires. Or l’expertise est la substance de l’État local : la perte de l’une, c’est la perte de l’autre.

Comme la rapporteure spéciale l’a justement relevé, une lente remontée des effectifs est désormais à l’œuvre, ce qui est à saluer. Un tel effort n’est absolument pas en phase, néanmoins, avec le réarmement territorial que prétend porter le Gouvernement.

Sont annoncés, certes, 232 ETP supplémentaires, dont 110 pour les préfectures et les sous-préfectures, 77 emplois nouveaux d’experts de haut niveau pour accompagner le corps préfectoral, et 45 emplois supplémentaires au sein de plateformes régionales des ressources humaines. Il s’agit bel et bien d’une « hausse inédite », mais elle est loin de compenser la baisse passée. À ce rythme, il faudrait vingt-deux ans pour retrouver seulement les effectifs de 2012, alors que la demande locale n’a jamais été aussi forte.

Par ailleurs, nous l’avons déjà indiqué par le passé, le renforcement des effectifs ne saurait se limiter à une question numérique. Il est ainsi indispensable de veiller, dans l’allocation des effectifs, au bon équilibre de la répartition des emplois entre les missions et entre les territoires. Le vieillissement des agents de l’administration territoriale de l’État et le recours massif aux contractuels imposent en tout état de cause une réflexion plus approfondie que celle que propose le Gouvernement.

Une fois encore, si les objectifs affichés par le Gouvernement ne sont pas critiquables, la question de savoir comment la politique territoriale peut garantir un service public de proximité ne fait l’objet d’aucune clarification. Notre rapporteure spéciale a mis en exergue, à juste titre, les difficultés qui se posent en matière de délivrance des titres d’identité et de séjour. Quant au contrôle de légalité, il ne répond plus, selon la Cour des comptes, aux « obligations constitutionnelles de l’État » – rien que ça !

Nous ne pouvons que constater, collectivement, un décalage croissant entre l’affichage initial de la mission et la réalité de ses différents programmes. En l’espèce, la volonté du Gouvernement nous semble en trompe-l’œil.

Ce matin s’est tenu à Matignon un brainstorming gouvernemental pour « donner plus de lisibilité aux services de l’État et plus de marges de manœuvre au niveau local en réponse aux attentes des élus et des collectivités ». Espérons qu’une réponse sera donc enfin trouvée !

J’en viens aux deux autres programmes de la mission budgétaire.

Les crédits du programme 232 « Vie politique » sont en hausse, à l’approche – cela a été dit – d’échéances électorales. Une interrogation demeure néanmoins quant au taux de non-distribution de la propagande électorale, ciblé à 7 % pour les prochaines élections européennes.

Le budget du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur » augmente, quant à lui, à raison de la hausse de ses crédits d’investissement.

Comme l’a souligné la rapporteure spéciale, après l’affaire du fonds Marianne, nous préconisons une évolution du CIPDR vers davantage d’interministérialité et plaidons pour que l’État soutienne financièrement davantage la présence d’intervenants sociaux au sein des commissariats et des unités de gendarmerie ; nous présenterons un amendement relatif à ce dernier point.

Pour conclure, si l’on peut saluer la prise de conscience – tardive – de l’exécutif quant à la nécessité d’un réarmement de l’État territorial, nous déplorons l’inadéquation des moyens aux besoins ; nous voterons contre ces crédits.

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