Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la forme organique de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre répond à la prescription formulée par le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 21 janvier 2010 relative à la loi organique du 25 janvier 2010 modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin, et suivant laquelle la convention entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales « devra être approuvée par une loi organique dans la mesure où elle affecte les compétences transférées à cette collectivité par la loi organique prise sur le fondement de l’article 74 de la Constitution ».
Comme vous le savez, le statut de la collectivité de Saint-Martin, créée par la loi organique du 21 février 2007, confère à cette collectivité une compétence en matière de fixation des règles dans le domaine fiscal, clarifiée, en dernier lieu, par la loi organique du 25 janvier 2010.
L’exercice concomitant de leur compétence fiscale, d’une part, par l’État et, d’autre part, par la collectivité, à l’égard de personnes ayant leur domicile dans l’une ou l’autre de ces juridictions et disposant de revenus trouvant leur source dans l’autre, est de nature à susciter des doubles impositions juridiques.
Dès 2007, le législateur organique avait prévu que les modalités d’application des dispositions statutaires prévoyant le transfert à la collectivité de Saint-Martin « sont précisées par une convention conclue entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ».
La proposition de loi organique qui vous est soumise a pour objet, en premier lieu, d’autoriser l’approbation de la convention entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales, signée à Saint-Martin le 21 décembre 2010 par le représentant de l’État et, pour la collectivité, par le président du conseil territorial dûment autorisé par celui-ci.
II se trouve, cependant, que dans le cours de l’élaboration de cette convention, l’État a souhaité que soit conclu, en toute priorité, entre lui-même et la collectivité, un accord concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, comportant notamment des dispositions en matière d’échange de renseignements conformes aux standards définis dans le cadre de l’OCDE.
La collectivité de Saint-Martin n’étant en rien soucieuse de s’ériger en un quelconque « paradis fiscal », ainsi que j’ai eu l’occasion de le rappeler à maintes reprises, n’a pas fait la moindre objection à la conclusion d’un tel accord, signé dès le 23 décembre 2009. Sa mise en œuvre à la meilleure échéance a, en outre, trouvé justification dans les dispositions de l’article 15 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, selon lesquelles les régimes d’aide fiscale aux investissements outre-mer prévus par la loi nationale sont applicables aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2010 à Mayotte, en Polynésie française, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna ainsi qu’en Nouvelle Calédonie « si la collectivité concernée est en mesure d’échanger avec l’État les informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ».
Cependant, l’approbation législative de l’accord concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale n’a pu intervenir à ce jour, le retard constaté ayant évidemment pénalisé ou freiné l’investissement fiscalement aidé à Saint-Martin, alors que les contribuables, particuliers ou entreprises, domiciliés dans la collectivité, se sont trouvés, pour leur part, durablement empêchés de bénéficier des régimes d’aide définis par le conseil territorial de la collectivité, faute pour celle-ci de disposer de l’accord préalable de la Commission européenne, émis finalement, avec effet rétroactif, en septembre 2010.
La proposition de loi organique qui vous est soumise a pour objet, en deuxième lieu, l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, la forme organique étant ici également fondée sur la prescription du Conseil constitutionnel, formulée dans sa décision du 21 janvier 2010, suivant laquelle « il appartient au législateur organique, lorsqu’il répartit entre l’État et les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution la compétence d’établir, de calculer et de percevoir les impositions de toutes natures, de prévoir les dispositions contribuant à la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale qui découle de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
Parallèlement à l’accord relatif à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale conclu avec la collectivité de Saint-Martin, l’État a conclu un accord ayant le même objet avec la Polynésie française, signé le 29 décembre 2009, ainsi qu’avec la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, signé le 14 septembre 2010.
La proposition de loi organique a également pour objet l’approbation de ces deux derniers accords.
S’agissant de la convention contre la double imposition signée entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin, dont l’approbation est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi organique et sur laquelle vous comprendrez que j’attirerai principalement votre attention, sa conclusion a d’abord rencontré l’obstacle des divergences d’interprétation auxquelles ont donné lieu les dispositions de la loi organique du 21 février 2007 relatives au transfert de la compétence fiscale à la collectivité de Saint-Martin.
Comme vous le savez, ces dispositions subordonnent la reconnaissance d’une domiciliation fiscale à Saint-Martin à une condition spécifique de résidence dans la collectivité d’au moins cinq années. L’administration de l’État attribuait à cette condition l’effet d’une règle de compétence, n’admettant pas que la compétence fiscale de la collectivité puisse s’étendre aux personnes autres que celles qui sont domiciliées sur son territoire.
Saisi par le Gouvernement, le Conseil d’État devait, par un avis du 27 décembre 2007, reconnaître le droit de la collectivité d’imposer les revenus de source saint-martinoise des contribuables domiciliés hors de son territoire, à l’exception de ceux ayant leur domicile dans un département de métropole ou d’outre-mer, ou de ceux qui sont réputés l’avoir en vertu de la « règle des cinq ans ». C’est seulement par la loi organique du 25 janvier 2010 qu’a été reconnue à la collectivité de Saint-Martin la pleine compétence fiscale l’autorisant, d’une part, à imposer les personnes domiciliées sur son territoire conformément aux règles prévues pour les résidents et, d’autre part, à imposer les revenus ou bénéfices trouvant leur source à Saint-Martin et perçus par des personnes n’y étant pas domiciliées en application des règles fiscales prévues pour les « non domiciliés ».
Dès lors était ouverte la voie conduisant à la conclusion d’une convention équilibrée contre la double imposition entre juridictions fiscales disposant, l’une et l’autre, des compétences fiscales fondées soit sur le domicile du contribuable, soit sur la source du revenu, construite comme il est de pratique générale sur le modèle de l’OCDE.
La situation financière difficile de la collectivité de Saint-Martin a tout naturellement conduit cette dernière à la vigilance dans la répartition des droits d’imposer, en particulier compte tenu des effets de la condition spéciale de domicile fiscal prévue par la loi statutaire relative à la « règle des cinq ans », de nature à limiter les produits financiers qu’une juridiction fiscale peut normalement attendre de l’imposition des contribuables domiciliés chez elle.
Une part importante du produit de l’impôt sur le revenu appliqué par la collectivité de Saint-Martin trouvant ou pouvant trouver son origine dans les revenus des fonctionnaires de l’État en poste à Saint-Martin, la collectivité a en particulier demandé, et l’État a bien voulu l’admettre, que ces revenus soient traités comme l’ensemble des revenus d’emploi, ainsi qu’il est prévu dans les conventions contre la double imposition entre l’État et la Nouvelle-Calédonie et entre l’État et Saint-Pierre-et-Miquelon : le lieu d’exercice de la profession détermine alors un droit d’imposition pour la juridiction de source du revenu, sans préjudice du droit d’imposition de la juridiction de domicile dès lors qu’est assurée l’élimination de la double imposition.
Force est de relever ici la complexité de gestion de l’impôt, tant pour les contribuables que pour l’administration, à laquelle conduit une « règle des cinq ans » qui doit, selon les prescriptions de la loi organique du 25 janvier 2010, donner lieu à un rapport d’évaluation, mais à une échéance qui, fixée à 2017, nous paraît à vrai dire bien éloignée.
Pour ses autres dispositions, la convention est, dans ses grandes lignes, conforme au modèle de convention fiscale de l’OCDE. Elle ne comporte, bien entendu, aucune disposition relative à l’assistance administrative, celle-ci faisant l’objet de l’accord distinct conclu le 23 décembre 2009.
Elle contient de nombreuses clauses « anti-abus », qui sont complétées par une règle anti-abus générale insérée dans le protocole annexé à la convention et que l’on devine inspirées par l’image tenace d’une île de Saint-Martin qui aurait une sorte de vocation à servir de refuge fiscal. La collectivité, qui a d’autres préoccupations et, d’abord, celle de ses ressources, n’est pas autrement inquiétée par ce luxe de précautions.
Il est prévu que la convention signée en 2010 produira ses effets rétroactivement au 1er janvier 2010. Cette disposition, comparable à celles qui sont fréquemment rencontrées dans les conventions contre la double imposition, répond à un objectif d’intérêt général de bonne application de l’impôt au titre de 2010. Cet objectif n’aurait pu en particulier être atteint dans le cas où l’imposition des bénéfices des entreprises aurait dû procéder des dispositions de la seule loi organique du 25 janvier 2010, ni les entreprises ni les administrations n’ayant été alors en mesure de satisfaire au dispositif complexe de double évaluation et de double déclaration de leurs résultats.
Toutes les mesures ont d’ores et déjà été prises, en revanche, pour la gestion des déclarations et impositions des bénéficiaires de revenus d’emploi présents à Saint-Martin sans y être domiciliés. Le dispositif conventionnel de crédit d’impôt y sera substitué au dispositif prévu par la loi organique du 25 janvier 2010, dans des conditions devant notamment assurer aux agents de l’État en fonction à Saint-Martin une meilleure garantie d’élimination sans délai de la surcharge fiscale.
Pour ces contribuables, en effet, le crédit d’impôt accordé par l’État est, selon la convention, dans son article 20, 1, a) i), égal « au montant de l’impôt de l’État correspondant à ces revenus à condition que le bénéficiaire résident de l’État soit soumis à l’impôt de Saint-Martin à raison de ces revenus », plutôt que, aux termes de l’article LO. 6314-4 du code général des collectivités territoriales, égal « à l’impôt effectivement acquitté à raison de ces revenus dans l’autre territoire ».
Avec l’entrée en vigueur de la convention fiscale entre l’État et la collectivité de Saint-Martin, madame la ministre, la partie française de l’île de Saint-Martin disposera pour la première fois de son histoire, au terme de quatre années d’efforts menés dans un contexte difficile, d’un système fiscal complet, au fondement juridique clair, répondant au double souci d’assurer à la collectivité les moyens de son financement et de favoriser le développement de ses entreprises.
Face à certains commentaires visant à faire croire que Saint-Martin est un paradis fiscal ou en voie de le devenir, je tiens à insister sur le fait que Saint-Martin n’en a jamais été un, et n’en a pas la vocation. Cette image fausse vient probablement du fait que le régime fiscal national n’a jamais pu être appliqué à Saint-Martin du fait de sa totale inadaptation à la particularité de l’île, dont le territoire est partagé avec une partie hollandaise qui bénéficie d’un statut fiscal différent et relève, au regard de l’Europe, du statut de « pays et territoires d’outre-mer ». C’est la raison pour laquelle il était impératif de permettre à Saint-Martin de mettre en place un système fiscal adapté, et c’est ce que nous venons de réussir à faire aujourd’hui.
Si je me réjouis de cet heureux résultat, il me faut, malgré tout, madame la ministre, attirer votre attention sur le fait que l’État doit maintenant s’attacher à ce que la collectivité de Saint-Martin soit mise en mesure matériellement de mettre en application le système fiscal ainsi édifié.
Le projet de réaliser un véritable centre regroupant la trésorerie, les services fiscaux et les services financiers de la collectivité vient d’être mis à l’ordre du jour de la collectivité de Saint-Martin. La réalisation de ce centre constituera la concrétisation matérielle de la volonté des Saint-Martinois de ne pas être pris dans des amalgames, des clichés et des interprétations politiques éculés.
La proposition de loi organique, en son article 2, autorise l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé le 23 décembre 2009. Cet accord s’inscrit dans le cadre du dispositif contractuel prévu entre l’État et la collectivité par le paragraphe 1 bis de l’article LO 6314-4 du code général des collectivités territoriales.
Le préambule de l’accord exprime la volonté commune des parties de collaborer pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, notamment au travers d’un échange de renseignements efficace pour prévenir toute utilisation abusive des règles fiscales.
Les articles de l’accord définissent l’objet et le champ d’application de l’accord, précisent les modalités de l’échange de renseignement et organisent un échange d’informations sans restriction, conforme aux standards les plus exigeants du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
Le paragraphe 5 de l’article 4 de l’accord permet d’échanger les informations visées par la directive 2003/48/CE relative aux revenus de l’épargne et par les conventions internationales conclues par la France.
Le paragraphe 9 du même article permet aux agents compétents de la direction générale des finances publiques agissant au nom de l’État de se rendre à Saint-Martin pour les opérations de contrôle fiscal des personnes dont le domicile, la résidence, le siège de direction effective, ou tout autre élément analogue, est situé dans un département métropolitain ou d’outre-mer.
L’article 5 de l’accord précise les modalités d’assistance des parties en matière de recouvrement de l’impôt.
La proposition de loi organique, dans son article 3, autorise l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Polynésie française concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé le 29 décembre 2009.
Cet accord est proche de celui qui est conclu avec la collectivité de Saint-Martin. Il comporte un même préambule et, pareillement, un dispositif organisant l’échange de renseignements conforme aux standards les plus exigeants du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
L’article 4 de l’accord stipule, comme dans l’accord conclu avec la collectivité de Saint-Martin, qu’aux fins d’application de l’article L. 45F du Livre des procédures fiscales, les agents placés sous l’autorité du directeur général des finances publiques et mandatés par lui sont autorisés à contrôler directement sur le lieu d’exploitation le respect des conditions liées à la réalisation, à l’affectation et à la conservation des investissements productifs ayant ouvert droit au bénéfice des aides fiscales à l’investissement outre-mer.
La proposition de loi organique, dans son article 4, autorise l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé le 14 septembre 2010.
Cet accord s’inscrit dans le cadre du dispositif contractuel prévu entre l’État et la collectivité par le 1 bis de l’article LO. 6214-4 du code général des collectivités territoriales et comporte des dispositions analogues à celles qui sont prévues dans l’accord d’assistance mutuelle entre l’État et la collectivité de Saint-Martin.
Mes chers collègues, l’ensemble d’accords fiscaux soumis à l’approbation du législateur organique dans le cadre de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre établit que l’autonomie fiscale des collectivités d’outre-mer, régies par l’article 74 de la Constitution, est parfaitement compatible avec une pleine coopération de chacune d’elles avec l’État, en vue d’une action commune, librement consentie, au service d’objectifs de transparence et de lutte contre la fraude fiscale, indispensables dans les relations internationales, mais plus encore au sein même de la République française.