Intervention de Colombe BROSSEL

Réunion du 7 décembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Culture

Photo de Colombe BROSSELColombe BROSSEL :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la culture est toujours l’un des premiers secteurs à pâtir des crises.

Si le plan de relance avait permis de préserver un grand nombre d’acteurs culturels des effets de la crise sanitaire, sa suppression a engendré, dès 2022, une précarisation des artistes, des compagnies et des institutions culturelles. En outre, ces difficultés ont été renforcées par l’inflation et par la crise énergétique.

Toutes ces crises ne sont pas encore derrière nous ; l’ensemble des acteurs culturels et de la création artistique en subissent toujours les conséquences.

Le budget qui nous est présenté aujourd’hui par le Gouvernement est certes en hausse, mais seulement de 4, 9 %, soit un niveau à peine supérieur à celui de l’inflation. C’est pourquoi nous craignons que cette augmentation peine à financer, dans la durée, les nombreux projets annoncés par le Gouvernement.

Animés par la passion commune de la culture, véritable lien social fédérateur et émancipateur et secteur créateur d’emplois, les acteurs culturels ont besoin d’être soutenus et revalorisés.

Ils font – et sont – la fierté de nos territoires, ruraux et urbains, ont une importance vitale dans la vie culturelle et associative et concourent non seulement à rassembler les publics de tous âges, mais aussi à créer du « commun » dans un pays qui en a bien besoin et à faire émerger des talents.

Les sénateurs et les sénatrices du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaitent pouvoir voter ce budget. Toutefois, je tiens à vous alerter sur plusieurs points de fragilité.

Je pense tout d’abord à la situation des acteurs de la création, qui sont en difficulté depuis la crise sanitaire.

Alors que le Gouvernement appelle le spectacle vivant à « mieux produire, mieux diffuser », il restreint son soutien avec un budget en infime hausse et des baisses de crédits annoncées pour les années 2025 et 2026. Les artistes, les compagnies et les structures culturelles devront encore faire face à la baisse du soutien de l’État.

Je pense, en particulier, aux scènes de musiques actuelles, qui doivent être aidées bien au-delà de ce que le Gouvernement prévoit, comme le soulignait Mme la rapporteure, si nous souhaitons qu’elles continuent à la fois d’entretenir le dynamisme culturel et de favoriser l’émergence de jeunes artistes.

Je pense également aux festivals, et notamment aux petits festivals. Déjà fragilisés par la hausse globale des coûts, ils pourraient avoir à supporter, en 2024, des frais supplémentaires de sécurité, liés à la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques.

Madame la ministre, vous avez assuré que les festivals ne seraient pas annulés, mais les plus petits d’entre eux doivent être soutenus pour pouvoir se maintenir. Il y va de leur survie et, avec elle, de la richesse et de la diversité culturelles qu’ils représentent.

Les arts visuels, enfin, demeurent le parent pauvre du budget de la création. Ils sont dotés d’une part toujours plus faible de crédits : 10 % cette année, ce qui est insuffisant pour élargir le soutien à d’autres artistes, petites structures ou projets variés.

Nous nourrissons des inquiétudes quant au soutien, dans la durée, à la création artistique. Il y va pourtant de la préservation de la diversité culturelle.

De la même façon, le budget en faveur de la transmission des savoirs, ô combien essentielle pour favoriser l’accès à la culture de tous, pour lutter contre les inégalités, mais aussi pour assurer le renouvellement artistique, nous inquiète.

Madame la ministre, vous érigez l’éducation artistique et culturelle en « priorité absolue ». Or, à l’exception du pass Culture, qui bénéficie d’une augmentation de 2 millions d’euros – seulement – pour assurer sa généralisation à tous les élèves de sixième et de cinquième, le budget peine à traduire cette priorité.

Rien de plus n’est prévu en faveur des pratiques artistiques et culturelles que suivent les élèves, à la fois, pendant le temps scolaire et en dehors.

Rien de plus n’est prévu, non plus, en faveur des actions des conservatoires, de la lecture ou encore de l’éducation aux médias, qui est une priorité impérative à l’heure où se propagent les fake news.

Le pass Culture, sévèrement évalué par la Cour des comptes, est seulement un outil au service d’une politique globale de démocratisation culturelle. Il ne peut, à lui seul, en constituer le fondement.

Madame la ministre, vous lancez la Cité internationale de la langue française. Néanmoins, au-delà de ce projet, le budget de l’action « Langue française et langues de France » stagne.

Après de nombreuses alertes et une forte mobilisation des étudiants et des personnels, vous avez enfin débloqué une aide pour les écoles supérieures d’art territoriales, qui jouent un rôle essentiel, comme l’ont souligné mes collègues.

Toutefois, cet engagement est ponctuel et ne règle en rien les questions de fond, qu’elles soient de gouvernance, de statut, d’égalité de traitement des enseignants ou qu’elles concernent les élèves boursiers.

Ces questions, que nous avons encore abordées cette semaine avec les commissaires à la culture, trouveront réponse non pas dans le statu quo, mais dans des modifications législatives et réglementaires.

Enfin, comment ne pas évoquer la place des collectivités territoriales en matière de politiques culturelles ? Or les baisses des dotations de l’État aux collectivités territoriales fragilisent les politiques de proximité, ainsi que le maillage incroyable qui fait notre force collective.

Alors que les censures et les entraves à nos libertés fondamentales de création, d’expression et de diffusion ne cessent de croître, nous devons plus que jamais défendre la culture et réaffirmer sa place centrale dans notre société.

Depuis plusieurs années, nos libertés fondamentales sont attaquées par l’extrême droite et les extrémismes religieux.

En avril, un concert de Bilal Hassani, qui devait se dérouler dans une église désacralisée de Metz, a été annulé à la suite de menaces. À Nantes, un spectacle, intitulé Fille ou Garçon ?, a été saboté. En mai, une pièce de théâtre évoquant un Jean Moulin homosexuel a été déprogrammée par le maire de Béziers. Récemment, le livre Triste tigre, de Neige Sinno, a été retiré du centre de documentation et d’information (CDI) d’un lycée privé sous contrat de Ploërmel dans le Morbihan… Et les exemples sont légion.

Nous devons continuer de défendre la culture comme force émancipatrice, défendre ces actrices et ces acteurs essentiels à notre société. Ce budget doit nous le permettre, très concrètement.

Les sénateurs et les sénatrices socialistes voteront ce budget et les amendements présentés par notre collègue Karine Daniel, afin de protéger et de soutenir la vitalité, la diversité et le dynamisme créatif de l’exception culturelle artistique française. Ce vote, vous l’aurez compris, est également un appel à la vigilance.

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