Intervention de Laurence Boone

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 novembre 2023 à 13h30
Institutions européennes — Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023 - Audition de Mme Laurence Boone secrétaire d'état auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée de l'europe

Laurence Boone, secrétaire d'État :

S'agissant de l'autonomie stratégique et des principes de libre concurrence, Monsieur le sénateur Pellevat, l'enjeu consiste à assurer la compétitivité de l'économie européenne pour ses 440 millions de citoyens. Pour y parvenir, nous ne pouvons pas vivre en autarcie ainsi que vous l'avez souligné. C'est pourquoi nous avons conclu des accords commerciaux stratégiques avec notamment le Chili, pour nous fournir en lithium, élément nécessaire pour la transition énergétique. Si la dépendance au gaz, qu'il soit russe ou azerbaïdjanais, varie d'un pays à l'autre, on ne peut que saluer les efforts de l'ensemble des États membres qui ont réduit leur dépendance au gaz russe de 50 % cette année. Il existe également un processus pour que les pays échangent entre eux à ce sujet et identifient ensemble leurs dépendances.

En outre, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a demandé à l'ancien président du Conseil des ministres italien, M. Mario Draghi, de regarder effectivement comment rendre l'Union européenne plus compétitive et d'identifier ses dépendances critiques ainsi que les voies pour s'en détacher et diversifier ses intrants. Le rapport de M. Mario Draghi est prévu pour le mois de juin.

En ce qui concerne le cloud, Madame la sénatrice Blatrix Contat, soyez assurée que nous agissons pour que les données européennes soient hébergées dans un cloud localisé en Europe et que le transfert de données avec les États-Unis soit encadré. Nous l'avions évoqué avant le Conseil européen. Deux de nos priorités les plus importantes consistent à assurer la compétitivité du marché européen des données, tout en protégeant la souveraineté de l'Union européenne, en particulier les données des citoyens. Nous souhaitons donc faire émerger un service européen en ce domaine. À ce stade, aucune offre n'a été certifiée SecNumCloud par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Cela signifie que l'exigence française en la matière reste forte et que nous allons être très vigilants sur ce point. J'ai de nombreuses fois abordé ce sujet avec le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé du numérique, M. Jean-Noël Barrot.

Chaque État dispose aujourd'hui d'un cloud. Notre objectif est de converger vers la notion française de cloud souverain qui apparaît être la plus protectrice de toutes celles qui existent. J'aimerais également ajouter que nous discutons de manière continuelle avec l'Allemagne sur ce sujet. Le numérique et l'intelligence artificielle étaient au programme du séminaire gouvernemental franco-allemand qui s'est tenu à Hambourg, début octobre. Ces sujets ont aussi été abordés la semaine dernière lors du premier sommet britannique, sur les risques associés à l'intelligence artificielle. Il convient de souligner qu'en matière de développement numérique et de cloud, la France se situe en tête des États de l'Union européenne et donc, notamment, devant l'Allemagne.

En réponse à vos interrogations sur le cadre financier pluriannuel, plusieurs observations doivent être rappelées. Tout d'abord, certains fonds n'ont pas été utilisés, notamment, ceux qui étaient dédiés à la migration. Ensuite, la hausse demandée par la Commission européenne n'était qu'imparfaitement documentée. Enfin, nous pensons qu'à l'heure où les fonctionnaires nationaux ne connaissent que des hausses de traitement restreintes, compte tenu de la situation actuelle, il n'est pas envisageable de permettre à la Commission européenne d'augmenter beaucoup plus ses employés qui bénéficient déjà d'un niveau de rémunération plus élevé que celui des fonctionnaires nationaux. Les 27 États membres étaient unanimes sur ce constat. En conséquence, ce que nous demandons, comme l'ensemble des États membres, c'est d'identifier les montants qui n'ont pas été utilisés et de les redéployer quand cela est possible et nécessaire. Bien évidemment il existe des programmes et dossiers prioritaires, tels que l'Ukraine, la migration, Erasmus, le programme Horizon Europe, ou encore le numérique. Plus nous serons sélectifs, plus nous devrons être stratégiques. Les trois programmes que vous avez cités figurent parmi les plus stratégiques pour l'Europe, notamment en matière de souveraineté et d'autonomie. C'est pourquoi nous sommes dans l'exercice de l'analyse afin de formuler des propositions de redéploiement comme les autres États membres.

Monsieur le sénateur Reichardt, je partage votre constat sur la nécessité de mettre en oeuvre le multilinguisme. En conséquence, la publication de postes prévoyant l'usage de seulement deux langues, la langue maternelle et en toute probabilité l'anglais, n'était absolument pas acceptable. À la suite de discussions informelles, puis formelles, puis d'une lettre, nous poursuivons nos efforts pour faire appliquer le multilinguisme, en utilisant toutes les procédures à notre disposition, et nous sommes largement soutenus par les États membres. À titre d'illustration, mon collègue irlandais s'exprime parfois en gaélique. Il serait ironique qu'au moment où les Espagnols demandent l'usage de leurs langues régionales, non prévues par les traités, le multilinguisme soit délaissé.

En matière de migration et d'asile, le nouveau pacte devrait être conclu avant la fin de l'année, tant pour des raisons politiques que de fond. Nous ne ménagerons pas nos efforts afin d'aboutir à sa conclusion avant la fin de la mandature européenne car il est extrêmement important de montrer effectivement que l'Union est efficace et agit pour la protection des frontières extérieures.

Au plan politique, force est de constater qu'un large consensus existe au Conseil européen sur le fait que la protection des frontières de l'Union européenne passe par l'Union. J'en prendrai pour preuve le revirement de position de Mme Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien, qui, pendant six mois, a déclaré vouloir faire un blocus naval, et qui, finalement, a demandé à Mme Ursula von der Leyen ainsi qu'à l'ensemble des États membres, de faire pression sur certains pays, considérés comme des pays dit de transit, ou d'origine. Je le répète donc, quelle que soit la couleur politique, tous s'accordent sur le fait que la protection des frontières de l'Union passe par l'Union. Le changement de stratégie de l'Italie a envoyé un signal très fort à l'ensemble du spectre politique. Il est de l'intérêt du Parlement européen de parvenir à un accord avec le Conseil. Tout échec serait perçu comme un terrible signal de faiblesse, sept mois avant les élections européennes.

S'agissant des raisons de fond, ce pacte constituerait une véritable avancée en matière de maîtrise des flux. Concrètement, sans le pacte, les migrants arrivant par le pays de première entrée se font enregistrer dans ce pays, puisqu'on ne connaît pas leur statut. Or tout pays de première entrée, doté de côtes méditerranéennes, accueille un plus grand nombre de demandeurs que tout autre État de l'Union. En l'absence de solidarité, grande est la tentation de ne pas traiter l'ensemble des demandeurs. Les flux ne sont donc pas totalement maîtrisés. Désormais, le pacte prévoit un mécanisme de solidarité impliquant tous les autres États puisque chacun traitera des demandes ou aidera à la réalisation des tests sanitaires et sécuritaires. Dans ces conditions, les États faisant face à une pression migratoire auront intérêt à enregistrer les demandes. Quant à l'ensemble des États, ils sont favorables à ces nouvelles procédures qui améliorent l'efficacité du traitement des demandeurs d'asile. Bref, la maîtrise des flux migratoires devrait être considérablement accrue par ce pacte sur la migration et l'asile. C'est pourquoi, il serait incompréhensible que l'on ne parvienne pas à un accord.

En réponse à vos questions d'ordre international, notamment sur le Sahel, sur notre insistance, le Conseil européen a mis ce sujet à son ordre du jour. La France y tenait particulièrement. L'ensemble des États membres ont conscience de l'importance de cette région, ne serait-ce que pour la stabilité du continent mais aussi pour celle de nos nations. Le Président de la République française fait figure de leader sur le sujet et tient un langage de fermeté. En conséquence, le Haut représentant de l'Union a été mandaté afin d'élaborer une position commune.

Vous m'avez interrogée sur le partenariat oriental. Malgré les multiples réunions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ce dernier a manqué à sa parole. Près de 100 000 personnes ont été déplacées du fait de son agression au Haut Karabagh, 25 000 avaient déjà quitté cette région où elles habitaient. Cette agression porte atteinte à la souveraineté et à la protection territoriale. Force est de constater qu'il n'y avait pas de représentant de l'Azerbaïdjan lors de la réunion de Communauté politique européenne qui s'est tenue début octobre. De nombreuses discussions ont eu lieu. La France qui a pris le leadership en la matière, demande à faire pression sur l'Azerbaïdjan, au cas où ce dernier poursuivrait ses opérations militaires, et à préparer des sanctions ainsi qu'un soutien militaire. Ces différents points seront abordés lors du Conseil des affaires étrangères, la semaine prochaine.

Quant à l'élargissement, avant de répondre précisément à vos questions, je pense qu'il est important de déterminer si l'on veut que les pays des Balkans, l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie soient avec nous, du côté des pays démocratiques, en mettant en oeuvre le respect de l'État de droit, des valeurs communes, notamment humanitaires, de la protection des minorités, de l'anticorruption, de l'impartialité et de l'indépendance de la justice, de l'indépendance et de la pluralité des médias, ou si on les laisse dériver vers la Russie et la Chine.

Notre réponse politique est qu'il est de notre intérêt sécuritaire que ces pays soient avec nous et que nous n'ayons pas, à nos frontières, des pays risquant d'être déstabilisés à tout moment par une ingérence russe ou chinoise. Bien évidemment, il convient de pouvoir les aider sur le chemin d'adhésion à l'Union européenne, pas à n'importe quel prix car ils doivent disposer d'institutions qui garantissent un État de droit. C'est pourquoi nous avons demandé un processus d'intégration graduel, qui accompagne les efforts et progrès en matière d'État de droit d'une aide financière et administrative pour avancer plus vite. En revanche, tout recul implique une régression sur le chemin de l'adhésion. L'enjeu est d'être suffisamment incitatif et de faire rêver ces pays pour les ancrer dans nos systèmes démocratiques. C'est bien tout l'objet de ce paquet Élargissement.

Si on regarde la situation précisément, tout d'abord, la résolution des conflits doit être une condition de l'adhésion. À titre d'illustration, la Serbie et le Kosovo disposent des moyens pour résoudre leur conflit. C'est vraiment entre leurs mains. Ils sont aidés de toutes parts pour le faire. Si nous y constatons un recul de l'État de droit, nous en prendrons acte.

Quant à la Géorgie, n'ayant satisfait que trois priorités sur douze, elle obtiendra le statut de candidat dès que les neuf autres conditions seront satisfaites. Nous avons procédé de la même façon pour l'Albanie et la Macédoine du Nord, en ouvrant automatiquement ce statut, dès lors que les conditions étaient remplies. On lance ainsi un signal politique, tout en restant très ferme sur la conditionnalité en termes d'État de droit.

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