Commission des affaires européennes

Réunion du 8 novembre 2023 à 13h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui la secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes qui va nous rendre compte du Conseil européen des 26-27 octobre dernier, en amont duquel nous avions débattu très précocement en plénière : c'était il y a déjà presque un mois !... Sur l'organisation de ces débats en séance, j'espère que nous trouverons moyen de les tenir au plus près des dates de réunion du Conseil européen et de les rendre plus dynamiques. Nous avons fait des propositions en ce sens. Je vais échanger cet après-midi à ce sujet avec M. Franck Riester, ministre chargé des relations avec le Parlement.

Je rappelle donc les sujets majeurs qui étaient à l'ordre du jour du Conseil européen : l'Ukraine, la révision du cadre financier pluriannuel, l'économie et les migrations. À ces sujets déjà difficiles, s'est ajouté celui du Proche-Orient, trois semaines après le terrible assaut terroriste du Hamas sur Israël. C'est finalement lui qui aura mobilisé le plus les chefs d'État ou de gouvernement et mis à rude épreuve leur unité. Pourriez-vous à ce propos nous confirmer que le Premier ministre espagnol, malgré sa position théoriquement neutre de président du Conseil, a plaidé pour que l'Union demande un cessez-le-feu, et finalement obtenu que les 27 États membres appellent à l'organisation d'une prochaine conférence internationale sur la paix ? Deux semaines plus tard, les belligérants semblent sourds à cet appel et l'organisation, demain en France, d'une conférence humanitaire brouille un peu plus le message : le Conseil européen est-il finalement en mesure, d'une part, de définir le rôle que devrait jouer l'Union européenne dans le drame qui se joue à Gaza et, d'autre part, de préciser qui est légitime à déployer ce rôle, alors que la présidente de la Commission européenne ne cesse de prendre des initiatives diplomatiques au nom de l'Union, encore une fois il y a 48 heures ? Par ailleurs, sur ce même sujet, j'ai pu lire ce matin un tweet du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, réagissant à l'arrachage d'affiches des otages par une ancienne collaboratrice du ministère. Ces faits sont inquiétants. Une procédure a-t-elle été lancée ?

Concernant la révision du cadre financier pluriannuel, les 27 n'ont pu se mettre d'accord : nombre d'entre eux sont réticents à l'égard de la rallonge budgétaire que la Commission européenne réclame pour elle-même, et deux États, la Hongrie et la Slovaquie, refusent d'accorder à l'Ukraine une nouvelle enveloppe de 50 milliards d'euros. Comment sortir de cette impasse budgétaire d'ici le prochain Conseil européen, dernière échéance envisageable puisque l'aide à l'Ukraine expire à la fin de l'année ? De même, sur la révision des règles de gouvernance économique, les divergences persistantes rendent peu probable un accord avant la fin de l'année, ce qui signifierait un retour dès le 1er janvier prochain aux règles du pacte suspendues depuis la pandémie...

Sur le sujet migratoire, le Conseil européen n'a pas non plus permis de percée décisive. L'Union parviendra-t-elle, selon vous, à conclure le nouveau pacte sur la migration et l'asile avant l'interruption des trilogues dès février prochain ?

Je souhaiterais enfin vous poser deux questions sur l'actualité des deux semaines écoulées depuis la réunion du Conseil européen. J'aimerais d'abord vous entendre sur l'initiative qu'a prise la France d'assigner la Commission européenne devant la Cour de justice pour avoir recruté des fonctionnaires sur des épreuves exclusivement en langue anglaise. Notre commission, qui a déjà réclamé haut et fort un meilleur respect du multilinguisme par la Commission européenne, se félicite de cette démarche qui vise à faire sanctionner une telle discrimination qui favorise les anglophones, en violation des traités. Est-ce à dire que le Gouvernement estime désormais que la pression politique ne suffit plus et que seule la voie contentieuse peut permettre d'enrayer le recul de l'usage du français dans les institutions européennes ?

Enfin, un mot du paquet élargissement qu'a publié ce matin la Commission et sur lequel se fondera le Conseil européen de mi-décembre pour répondre aux attentes des Balkans occidentaux, de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie : quelle appréciation portez-vous sur ce rapport de la Commission, et notamment sur ses préconisations concernant la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine ? Par ailleurs, pouvez-vous nous rendre compte des échanges que vous avez eus jeudi dernier avec vos homologues, conviés à Berlin pour envisager les réformes internes de l'Union qui s'imposent, en parallèle du processus d'élargissement ?

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe

Monsieur le président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, c'est un grand plaisir de retrouver la commission des affaires européennes. C'est aussi un honneur d'être ici comme de coutume, après chaque Conseil européen, afin de vous en narrer les principaux développements. Depuis l'année écoulée, j'ai pu revoir certains d'entre vous, mais je voudrais aussi saluer les nouveaux membres de cette commission que je rencontre avec plaisir et vous dire à toutes et à tous, ma disponibilité et celle de mon équipe.

Lors de la rencontre avec les membres du Bureau de votre commission, Monsieur le président, que vous m'avez permis de faire, vous aviez également insisté sur le fait qu'il fallait essayer autant que possible d'organiser des auditions plus rapprochées de la date des réunions du Conseil européen. Nous pouvons donc nous réjouir que le prochain débat de ce type en séance soit prévu au Sénat le 13 décembre, juste après la réunion du Conseil des affaires générales et avant celle du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023.

Vous avez évoqué les questions qui étaient à l'ordre du jour du dernier Conseil européen, qui a évidemment été marqué par les deux crises géopolitiques majeures auxquelles nous devons faire face. Ainsi que vous l'avez relevé, une grande partie du premier après-midi a été dédiée au conflit au Proche-Orient. Ont été traités également le dossier de la guerre en Ukraine ainsi que d'autres dossiers internationaux tels que celui de la Serbie et du Kosovo, l'élargissement, la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et le Sahel.

Les échanges ont également porté sur les migrations. Le Conseil est en voie de trouver un accord sur le nouveau pacte portant sur la migration et l'asile, ce qui est positif. Le sort de ce dernier se joue désormais avec le Parlement européen.

Le Conseil européen a également traité des dossiers suivants : les questions économiques sous l'angle de la compétitivité, avec la réponse à l'Inflation Reduction Act (IRA) et son évaluation par la Commission, la politique industrielle et l'énergie, et enfin la politique budgétaire, c'est-à-dire, le cadre financier pluriannuel et la révision des règles de gouvernance économique. À cet égard, puisque vous le mentionnez, se dérouleront cette semaine une réunion de l'Eurogroupe ainsi que du Conseil affaires économiques et financières (ECOFIN). Nous attendons la réalisation d'avancées importantes car les chefs d'État ou de gouvernement ont mandaté leurs ministres afin de conclure un accord avant la fin de l'année pour éviter l'application de règles anciennes qui n'ont plus beaucoup de sens.

En ce qui concerne la situation au Proche-Orient que vous avez évoquée, la priorité était d'afficher une convergence européenne. Nous pouvons nous féliciter d'y être parvenus puisque le Conseil européen a condamné sans équivoque les attaques terroristes du Hamas contre Israël, exigé la libération des otages et demandé le respect par tous du droit international humanitaire, au titre duquel Israël a le droit de se défendre, en appelant à des pauses humanitaires ainsi qu'à l'ouverture urgente d'un accès humanitaire complet, sûr et sans entraves pour les civils de Gaza. Nous allons maintenir notre aide et notre lien avec l'autorité palestinienne et continuons d'oeuvrer pour restaurer un horizon politique qui préserve la solution à deux États. Vous l'avez mentionné, demain à l'initiative du Président de la République, et dans le cadre du forum pour la paix, la France accueille une conférence internationale humanitaire qui permettra de se concentrer sur l'aide humanitaire pour les civils de Gaza.

S'agissant de l'Ukraine qui craint que les événements au Proche-Orient n'occultent ceux qui se déroulent à l'Est de notre continent, le Conseil européen a rappelé que nous la soutiendrions aussi longtemps que nécessaire, en démentant l'effet de fatigue escompté par la Russie. Le Conseil a donc renouvelé son appel à renforcer l'aide à l'Ukraine, dans toutes ses dimensions, économique, politique, militaire, humanitaire ainsi qu'en matière de sécurité alimentaire. Par ailleurs, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, M. Marc Fesneau, se rendra dans une semaine au sommet « Céréales d'Ukraine ». En lien avec le G7, la Commission européenne et les États membres sont en train de préparer un douzième paquet de sanctions qui sera discuté au Conseil des affaires étrangères, lundi prochain. Celui-ci vise à lutter beaucoup plus efficacement contre le contournement des sanctions, en particulier pour les biens à haut risque ainsi qu'à réduire les recettes que la Russie tire des exportations, notamment de diamants. En outre, ainsi que nous l'avons évoqué de nombreuses fois devant votre commission, le Conseil étudie également les voies et moyens d'utiliser les profits tirés des avoirs russes gelés et immobilisés afin de les mettre à la disposition de l'Ukraine, dans un cadre juridique sécurisé.

Parmi les autres sujets, le Conseil européen poursuit ses efforts visant à promouvoir la paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, tout en explorant les pistes d'un renforcement des relations entre l'Union européenne et l'Arménie. Nous plaidons toujours pour la reconnaissance des fondamentaux du droit international, c'est-à-dire la reconnaissance de la souveraineté, l'inviolabilité des frontières, et l'intégrité territoriale. Il est crucial de garantir les droits à la sécurité des Arméniens du Haut Karabakh. La France tient réellement le rôle de pays leader sur ce sujet, en parvenant à mobiliser l'ensemble des acteurs ainsi qu'en travaillant, s'il le faut, à des sanctions contre l'Azerbaïdjan. Je rappelle également que la France n'importe pas de gaz d'Azerbaïdjan.

Quant à la situation entre la Serbie et le Kosovo, le Conseil européen se heurte à l'absence d'efforts de la part des deux parties pour réduire les tensions. Cela aura naturellement des conséquences, notamment dans le cadre de l'élargissement puisque le Conseil a rappelé que la normalisation des relations demeure la priorité. Pour mémoire, cela devrait passer par la création de l'Association des municipalités à majorité serbe au Kosovo, la reconnaissance de facto par la Serbie du Kosovo ainsi que par l'organisation de nouvelles élections dans le Nord du Kosovo, avec la participation des Serbes et leur retour dans les institutions kosovares.

Le Conseil européen a également examiné la situation au Sahel. Il a souligné la nécessité de revoir notre approche en Afrique de l'Ouest, en particulier dans cette région. Le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité devrait proposer des axes d'action concrets, en accord avec la Commission européenne, tels que le renforcement de la coopération avec les États partenaires dans la lutte contre le terrorisme, que sont la Mauritanie, le Tchad, les États du Golfe de Guinée et, bien évidemment, la lutte contre l'influence russe dans la région.

Outre les dossiers relevant de la situation internationale, les échanges ont également porté sur la question des migrations, selon toujours les mêmes principes : des partenariats stratégiques globaux et mutuellement bénéfiques, un dialogue équilibré et exigeant à l'égard des pays partenaires, des contreparties claires ainsi que des objectifs précis mesurables. Le Conseil européen, a appelé, dans ce cadre, à mettre en oeuvre rapidement le partenariat conclu avec la Tunisie ainsi qu'à élargir cette méthode à d'autres pays tiers d'origine et de transit. La Commission européenne travaille ainsi à l'élaboration d'un partenariat global avec l'Égypte, particulièrement nécessaire dans le contexte actuel. D'une manière générale, un vrai consensus se dégage sur la nécessité de lutter contre les entrées irrégulières et de renforcer la politique des retours, en agissant ensemble.

Ces objectifs nécessitent que nous révisions, en parallèle notre cadre législatif en matière d'asile et de gestion des migrations, d'où l'importance des trilogues que vous souligniez, Monsieur le président et dont l'objectif est évidemment de parvenir à un accord global sur le nouveau pacte sur la migration et l'asile d'ici à la fin de la mandature. Je souhaite rappeler que ce dernier concerne la sécurité des frontières extérieures, compétence de l'Union européenne avec les visas de touristes de moins de 90 jours, le reste relevant des politiques nationales.

Le Conseil européen a également abordé un certain nombre de sujets économiques et industriels, dont l'énergie. Nous pouvons saluer l'accord du Conseil Énergie sur la réforme du marché européen de l'électricité puisque celui-ci vise à assurer à la fois la transition, les investissements pour la transition ainsi que des prix prévisibles, stables et compétitifs.

Le Conseil européen a ensuite rappelé la nécessité d'adopter les textes législatifs en cours de négociation sur l'industrie zéro émission ainsi que sur les matières premières critiques. Dans un contexte géopolitique tendu, il est absolument crucial que nous parvenions à conclure un accord à la fin de l'année.

S'agissant de la réponse européenne à l'IRA, en particulier par la réduction des charges qui pèsent sur nos entreprises, le Conseil européen a étudié ce dossier, mais son évaluation par la Commission européenne ne répond pas à nos attentes. Nous oeuvrons à une amélioration, puisque notre intérêt est de soutenir de matière durable la compétitivité de nos économies.

Enfin, en ce qui concerne la révision du cadre financier pluriannuel, un consensus très clair s'est dégagé au Conseil européen sur la poursuite du soutien à l'Ukraine. Quant aux autres aspects de ce cadre, nous cherchons en priorité des redéploiements. L'enveloppe totale que demande la Commission européenne est trop élevée, notamment les frais administratifs, incluant sa masse salariale. Je crois que votre commission a auditionné deux représentants de la direction du budget et évoqué ces enjeux. J'espère ne pas trop m'avancer sur la convergence de nos vues sur ce sujet.

En matière de révision des règles de gouvernance économique, la France est pleinement engagée dans la recherche d'un compromis, notamment avec l'Allemagne. Le Conseil européen lui a rappelé la nécessité de « conclure le travail législatif en 2023 ». Il est impossible de revenir aux règles qui datent d'avant le Covid, d'avant la guerre en Ukraine, ou d'avant la transition énergétique accélérée.

Je conclurai mon propos par les préparatifs de la Conférence des Parties, COP 28. L'Union européenne a confirmé qu'elle sera le premier continent à atteindre la neutralité climatique d'ici 2050. On peut affirmer que nous sommes un des acteurs les plus ambitieux de toute la COP. Nous reviendrons certainement en détail sur un grand nombre de ces points.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Un mot, Madame la ministre, sur la question du tweet du ministère ?

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État

Absolument. En ce qui concerne l'affaire de l'arrachage des portraits d'otages israéliens, le ministre de l'Europe et des affaires européennes a lancé dès hier après-midi une procédure d'enquête sur la personne, auteur de cet arrachage, avec les possibles responsabilités que vous imaginez. Puis un communiqué de presse très ferme a été publié hier vers 17 heures.

Vous m'avez également interrogée sur l'utilisation de la langue française dans les concours. Nous avions alerté plusieurs commissaires au printemps de l'année dernière et rédigé une lettre demandant que le français soit rétabli dans les concours, conformément aux traités. Devant l'absence de résultat, nous avons effectivement poursuivi la procédure en justice. Une première audience se déroulera au tribunal de l'Union européenne le 23 novembre prochain, dans le cadre d'un recours de la France en annulation d'un avis de concours de l'Office européen de sélection du personnel (EPSO) qui visait à recruter par des épreuves exclusivement an langue anglaise des administrateurs dans les domaines de l'industrie, de la défense et de l'espace, alors même que la France ne manque pas d'experts et de professionnels dans ces domaines. Comme je vous le disais, ce recours en annulation répond à l'ambition de la France de promouvoir le multilinguisme au sein des institutions européennes. Il impossible que nous laissions s'installer, de manière irréversible, un fonctionnement totalement décorrélé des réalités linguistiques de l'Union européenne, par le biais des recrutements de fonctionnaires. Cela serait dommageable pour le sentiment d'appartenance à l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci pour cette fermeté d'action sur la langue française. Notre commission a déjà eu l'occasion d'exprimer cette même position de fermeté dans un avis politique qu'elle a adressé à la Commission européenne en janvier 2020. Toutefois, je suis très surpris, Madame la ministre, qu'on ne puisse imposer les dispositions des traités par la voie diplomatique, et qu'il faille en arriver à un traitement contentieux.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État

Je trouve également cela dommage. Néanmoins, en appeler aux tribunaux rend la pression diplomatique d'autant plus crédible. Il ne s'agit pas que de mots. Nous montrons que nous pouvons agir s'il le faut. Cet effort était nécessaire pour que cela ne se reproduise plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Faut-il en déduire qu'à force, nos fonctionnaires dans les institutions européennes ne sont plus français, et deviennent complètement européens et de là anglicisés ?

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État

Si vous posez cette question aux différents fonctionnaires des institutions européennes, tous vous répondront que les fonctionnaires français sont toujours aisés à reconnaître.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Fernique

Monsieur le Président, Madame la ministre, ma question porte sur la capacité de l'Union européenne à agir pour la paix, dans le cadre de cette guerre effroyable, provoquée par les crimes terroristes d'ampleur abominable du Hamas. Force est de constater que l'Union européenne, et globalement les pays occidentaux, semblent de plus en plus incompris, voire déconsidérés par les pays du Sud, en raison notamment de traitements différenciés des violations du droit international. Je fais référence à la condamnation de la violation du droit international par la Russie, comparée à notre attitude face aux violations de ce même droit dont sont victimes des milliers de civils et d'enfants à Gaza. Certes, le haut représentant de l'Union a adopté une position équilibrée, en rappelant l'obligation pour Israël de respecter le droit humanitaire. Néanmoins quelle en a été la portée effective après le signal désastreux donné par le commissaire à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage, M. Olivér Várhelyi, qui a annoncé trop vite une suspension de l'aide européenne aux Palestiniens, ainsi que par l'attitude de la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, lors de son déplacement en Israël, semblant donner carte blanche à M. Benyamin Netanyahou, premier ministre d'Israël. Certains appuis inconditionnels soutiennent Israël comme la corde soutient le pendu. Les vrais amis d'Israël ne peuvent l'encourager à reproduire les erreurs dramatiques des États-Unis, au lendemain du 11 septembre. Par ailleurs, la difficulté du Conseil européen à adopter des termes communs sur ce point tend à fragiliser la ligne finalement adoptée.

Madame la ministre, l'Europe peut agir pour le droit humanitaire et au-delà, afin de contribuer à dessiner un horizon politique, tant pour les droits des Palestiniens et la paix que pour la sécurité des Israéliens. Comment consolider les capacités de l'Union européenne à agir pleinement en ce sens et être comprise comme telle, au-delà du périmètre occidental ?

Debut de section - PermalienPhoto de Audrey LINKENHELD

Madame la ministre, ma question se situe dans le prolongement de la précédente. Tout d'abord, j'émettrais des réserves sur la position de l'Union européenne dans le conflit du Proche-Orient. Une position convergente ne constitue pas une position commune, comme en témoigne le vote de la résolution du 27 octobre dernier aux Nations-Unies. En appui à mon propos, je citerai M. Josep Borrell, haut représentant de l'Union européenne, qui reconnaissait que pour avoir une politique étrangère commune, il fallait avoir une vision du monde commune. Or selon lui, nous ne l'avons pas. Le Moyen-Orient illustre nos divisions.

L'un des enjeux que nous défendons, me semble-t-il, collectivement en France consiste à affirmer nos positions dans ce conflit au Proche-Orient, tout en évitant que ce dernier ne soit importé en France et en Europe. Malheureusement, nous avons connu, dans ma région à Arras, l'assassinat épouvantable de M. Dominique Bernard ainsi que d'autres drames, notamment à Bruxelles, qui démontrent que la complexité de ce défi.

Ma question est la suivante : que pensez-vous de la manière dont l'Europe juge la recrudescence des actes antisémites, forme d'importation du conflit actuel, dans notre pays, comme en Allemagne, et dans le monde entier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Devesa

À la suite des attaques du 7 octobre dernier en Israël et de l'exportation du conflit dans nos démocraties, la régulation des plateformes par le règlement européen sur les services numériques ou Digital Services Act a-t-elle atteint un niveau de performance et d'efficacité suffisant ? Nous savons que les moyens financiers et humains ne suffisent pas à lutter contre l'apologie du terrorisme et à censurer les propos haineux sur les plateformes et les réseaux sociaux.

L'arsenal juridique doit-il être renforcé ? Quel bilan, Madame la ministre, dressez-vous en matière de protection de nos démocraties et des valeurs européennes dans cette guerre de la communication, sur ces trente derniers jours, écoulés depuis le 7 octobre ? ?

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État

Je répondrai tout d'abord à M. le sénateur Jacques Fernique et à Mme la sénatrice Audrey Linkenheld, dont les questions se rejoignent. Il existe une parfaite convergence de vues ou un parfait accord de l'ensemble des Européens, sur trois piliers. Le premier pilier traite de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme et corrélativement du droit d'Israël à se défendre dans le respect du droit humanitaire international. Le deuxième pilier concerne la question de la protection des populations civiles et de l'aide humanitaire. Sur ce point, nous voulons une trêve humanitaire et à terme un cessez-le-feu. Le Conseil européen en est d'accord. Quant au troisième pilier, il porte sur la reprise d'un processus politique.

S'agissant des Nations Unies, chacun a pu comprendre que les votes n'étaient pas tous les mêmes. Ces votes reflètent profondément l'histoire et les origines des votants. Ce qui demeure essentiel est de continuer à s'entendre sur les fondamentaux relevant des trois piliers, au Conseil européen, et au G7.

Toutefois, vous semblez soulever, à moyen terme, la question de la réforme de l'Union européenne et des actions à mener en matière d'affaires étrangères. En effet, nous disposons aujourd'hui, d'une part, d'un Conseil des affaires étrangères qui a pour objet la coordination et d'autre part, d'une boussole stratégique qui n'est pas encore opérationnelle. Lors du prochain élargissement de l'Union européenne, se dérouleront parallèlement la réforme de l'Union et celle de ses politiques. Dans cette perspective, la mise en oeuvre de la boussole stratégique ainsi que la détermination de ce que nous voulons faire ensemble en matière d'affaires étrangères, au-delà de la coordination, constitueront des sujets importants de la prochaine mandature de la Commission et du Parlement. Si vous avez des suggestions en ce domaine, je me tiens à votre disposition pour en discuter.

Je complèterai mon propos par deux autres points en réponse à vos questions. Je préciserais d'abord que Mme Ursula von der Leyen s'est exprimée en son nom propre. Quant aux propos du commissaire M. Olivér Várhelyi, je tiens à souligner que, malgré cela, nous avons augmenté l'aide humanitaire au profit des civils de Gaza tant au niveau français qu'européen, tout en nous assurant que cette aide parvienne à ses véritables destinataires.

En matière d'antisémitisme, la stratégie de l'Union européenne date de 2021. Nous tentons de peser diplomatiquement sur la Commission européenne afin de faire progresser l'état d'avancement de cette stratégie dont un des volets consiste à recenser les actes antisémites dans chaque État. Sauf élément contraire, 13 États n'ont pas fourni de données sur ce point. Or résoudre un problème requiert de le nommer et de le documenter. Vous pouvez donc compter sur nous pour suivre ce dossier et je suis à votre disposition pour échanger à ce sujet également.

En réponse à votre question complexe, Madame la sénatrice Brigitte Devésa, je tiens à préciser que nous disposons d'un arsenal assez complet permettant de lutter effectivement contre les discours de haine en ligne et sur les réseaux sociaux ainsi que contre les incitations à des actes terribles, en particulier depuis la Présidence française de l'Union européenne et l'entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA). Avant de procéder à tout renforcement de cet arsenal, il convient de le mettre en oeuvre. J'illustrerai mon propos par l'obligation faite à chaque État membre de désigner au plus tard dans les trois mois, un coordinateur pour les services numériques, qui doit recenser et superviser les entités relevant du champ d'application de la législation sur les services numériques, notamment les grandes plateformes en ligne. Or l'ensemble des États n'a pas encore procédé à cette nomination. Dans l'attente de ces désignations au plus tard le 17 février 2024, la Commission européenne, le commissaire européen au marché intérieur, M. Thierry Breton, ainsi que la France, demeurent extrêmement vigilants et poursuivent leurs dialogues avec les plateformes.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Madame la ministre, lors du Conseil européen, il a été rappelé la volonté de parvenir à une autonomie stratégique, tout en préservant une économie ouverte et respectueuse des principes de libre concurrence. Le Conseil européen a insisté sur la nécessité d'accélérer les travaux portant notamment sur la réduction des principales dépendances critiques ainsi que sur la diversification des chaînes d'approvisionnement dans le cadre de partenariats stratégiques.

Ces derniers, conclus avec des pays tiers pour la fourniture de ressources stratégiques, présentent, en effet, un double enjeu diplomatique et économique. D'une part, la dépendance de l'Union européenne envers un pays tiers tend à affaiblir sa politique étrangère. D'autre part, les différences de politiques entre nos partenaires de l'Union engendrent des répercussions directes sur toute l'économie européenne comme nous l'avons vu lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Bien que la rupture des relations commerciales concernant le gaz ait été effectuée, cette décision fut beaucoup plus difficile à prendre pour certains pays européens, fortement dépendants du gaz russe. Les conséquences économiques de l'embargo sur le gaz russe, jusqu'ici la principale source d'approvisionnement de l'Union européenne, ont été massives. Afin de pallier la rupture des relations énergétiques avec la Russie, l'Union s'est tournée vers d'autres partenaires comme l'Azerbaïdjan pour se fournir en gaz. Or, cela a fortement limité la réponse diplomatique de l'Union lors de l'offensive de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie en septembre dernier.

Il apparaît donc nécessaire que soient instaurées des mesures de sélection de nos partenaires stratégiques afin d'éviter toute aliénation et tous contre-coûts économiques dus à un partenariat mal choisi. Aussi je souhaiterais savoir si le Conseil européen envisage des mesures qui pourraient être mises en place lors du processus de sélection des partenaires économiques étrangers des États membres afin de s'assurer de leur fiabilité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Madame la ministre, je souhaiterais vous poser deux questions dont la première n'est qu'indirectement en lien avec le Conseil européen car portant sur notre souveraineté économique et plus précisément sur notre souveraineté numérique. Amazon Web Services (AWS) a annoncé une nouvelle offre de cloud souverain dédiée à ses clients européens, promettant une séparation physique d'avec les autres régions. L'Office fédéral de la sécurité des technologies de l'information allemand ou BSI (Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik) a adoubé cette offre. Or force est de craindre que les Allemands n'exercent une pression sur la France, dirigée contre la certification française SecNumCloud, qui est la plus aboutie au niveau européen. Nous avions déjà eu des divergences avec l'Allemagne sur la définition d'un cloud souverain. L'absence de vision commune du cloud souverain avait pénalisé le projet Gaia-X.

À la suite de l'annonce de AWS sur ce cloud souverain qui suscite des interrogations quant à l'extraterritorialité des lois américaines, FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) et Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act), comment le gouvernement prévoit-il de réagir à la position unilatérale de l'Allemagne, qui cherche à prendre l'initiative en ce domaine ? Comment envisagez-vous de préserver la souveraineté numérique française et notamment la certification SecNumCloud ?

Ma seconde question concerne la révision du cadre financier pluriannuel. Les 27 États membres ont réaffirmé leur opposition au projet d'augmentation de 66 milliards d'euros du budget européen pluriannuel. Nous avons entendu les déclarations de la directrice générale du budget sur de potentiels redéploiements qui pourraient conduire à des réductions budgétaires drastiques pouvant atteindre 30 % dans des domaines cruciaux, tels qu'Horizon Europe, Erasmus, et Digital Europe. Quelle est la position du gouvernement sur ces éventuels redéploiements qui pourraient pénaliser des politiques européennes importantes ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

À titre liminaire, je souhaite saluer l'action contentieuse engagée par la France concernant le plurilinguisme, indispensable au bon fonctionnement de l'Union européenne. J'illustrerai mon propos par ma récente expérience lors d'une réunion en Moldavie, organisée par le gouvernement moldave, afin de présenter aux différentes délégations des parlements européens, les progrès réalisés par ce pays depuis son accession au statut de candidat à l'entrée à l'Union européenne. J'ai été choqué par le fait que la seule langue de travail utilisée pour cette rencontre était l'anglais, avec l'accord des participants, à l'exception des italiens qui se sont exprimés dans leur langue et sont venus accompagnés de deux interprètes italiens. Le recours à la langue anglaise constitue, selon moi, un mauvais signal donné à la fois par la Moldavie qui aspire à devenir un État membre mais également par les délégations autres que celle italienne, qui y ont consenti. Un pays candidat, surtout aussi francophone que la Moldavie, devrait fournir un effort particulier en ce domaine, d'autant plus que l'Union européenne, vous le savez bien, procure des financements importants aux pays candidats pour les accompagner vers l'adhésion. Ce n'était qu'une observation, importante toutefois.

Ma première question reviendra sur le nouveau pacte sur la migration et l'asile. Si les résultats des négociations vous semblent plutôt positifs, j'émets quelques doutes. Rappelez-vous, nous vous avions déjà interrogée en séance, avant ce Conseil européen, sur la probabilité d'aboutir à un consensus. Je vous pose aujourd'hui la question suivante : existe-t-il un véritable consensus ou est-ce un consensus de façade, venant notamment des pays que certains qualifient de « seconde ligne » ? Ce dossier progresse-t-il réellement ou n'est-il question que d'efforts pour faire valoir une avancée en vue des élections européennes prochaines ? L'Union européenne a une compétence très forte sur la maîtrise de ses frontières extérieures : mes chers collègues, toutes nos actions franco-françaises seront sans portée si, d'une part, il n'existe pas de frontières à l'extérieur aussi étanches que possible et si, d'autre part, ceux qui méritent véritablement d'invoquer le droit d'asile ne l'obtiennent pas. Où en sommes-nous ?

Concernant le Sahel, vous avez mentionné que des actions concrètes étaient à l'étude. Peut-on en savoir un peu plus ? Le silence sur ce dossier m'inquiète beaucoup. En qualité de président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest, j'observe que l'entreprise de démolition de l'Afrique de l'Ouest se poursuit. L'Union européenne se sent-elle concernée ?

S'agissant du conflit Arménie-Azerbaïdjan, ces deux pays sont partie prenante du Partenariat oriental avec l'Union européenne. Cet accord, qui comporte un volet financier, représente, en réalité, un sas d'entrée dans l'Union européenne, et facilite la préparation pour déposer un dossier de candidature. L'Union européenne ne pourrait-elle pas utiliser cet instrument comme levier afin d'obtenir des avancées concrètes, notamment de la part de l'Azerbaïdjan ?

Enfin, et j'en aurai complètement terminé, en matière d'élargissement, la Commission européenne publie, ce jour, un rapport sur la suite à donner en la matière. Êtes-vous informée de ses recommandations et plus précisément de la progression des processus d'adhésion des candidats qui ont été reconnus comme tels ainsi que du sort de la Géorgie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Je vais aller, Madame la ministre, dans le même sens que mon collègue, M. André Reichardt, sur l'élargissement, puisque j'ai pu consulter le rapport - en anglais - que la Commission européenne a présenté ce matin et qui concerne notamment l'élargissement de l'Union à la Géorgie. Ce rapport mentionne que cette dernière déploie de réels efforts pour satisfaire les douze priorités qui avaient été fixées en juin 2022. De nombreux progrès sont relevés, notamment en matière de réforme de l'administration publique, de lutte contre la corruption et le crime organisé, de droits fondamentaux, de libertés d'expression et de liberté de la presse, d'égalité des genres, de protection de la femme, etc.

Néanmoins, une question très sensible et essentielle demeure qui a été vaguement évoquée dans ce rapport : celle de la réforme globale du système judiciaire. En ma qualité de rapporteur pour la commission de suivi du Conseil de l'Europe sur la Géorgie, j'ai noté de nombreuses failles dans le système judiciaire géorgien. Mon constat a été corroboré par la Commission de Venise qui a émis exactement les mêmes réserves.

Au-delà du dossier géorgien, certaines questions demeurent non résolues, par exemple dans les Balkans, notamment entre le Kosovo et la Serbie, véritable « poudrière ». Comment se positionne la France source sujet?

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État

S'agissant de l'autonomie stratégique et des principes de libre concurrence, Monsieur le sénateur Pellevat, l'enjeu consiste à assurer la compétitivité de l'économie européenne pour ses 440 millions de citoyens. Pour y parvenir, nous ne pouvons pas vivre en autarcie ainsi que vous l'avez souligné. C'est pourquoi nous avons conclu des accords commerciaux stratégiques avec notamment le Chili, pour nous fournir en lithium, élément nécessaire pour la transition énergétique. Si la dépendance au gaz, qu'il soit russe ou azerbaïdjanais, varie d'un pays à l'autre, on ne peut que saluer les efforts de l'ensemble des États membres qui ont réduit leur dépendance au gaz russe de 50 % cette année. Il existe également un processus pour que les pays échangent entre eux à ce sujet et identifient ensemble leurs dépendances.

En outre, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a demandé à l'ancien président du Conseil des ministres italien, M. Mario Draghi, de regarder effectivement comment rendre l'Union européenne plus compétitive et d'identifier ses dépendances critiques ainsi que les voies pour s'en détacher et diversifier ses intrants. Le rapport de M. Mario Draghi est prévu pour le mois de juin.

En ce qui concerne le cloud, Madame la sénatrice Blatrix Contat, soyez assurée que nous agissons pour que les données européennes soient hébergées dans un cloud localisé en Europe et que le transfert de données avec les États-Unis soit encadré. Nous l'avions évoqué avant le Conseil européen. Deux de nos priorités les plus importantes consistent à assurer la compétitivité du marché européen des données, tout en protégeant la souveraineté de l'Union européenne, en particulier les données des citoyens. Nous souhaitons donc faire émerger un service européen en ce domaine. À ce stade, aucune offre n'a été certifiée SecNumCloud par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Cela signifie que l'exigence française en la matière reste forte et que nous allons être très vigilants sur ce point. J'ai de nombreuses fois abordé ce sujet avec le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé du numérique, M. Jean-Noël Barrot.

Chaque État dispose aujourd'hui d'un cloud. Notre objectif est de converger vers la notion française de cloud souverain qui apparaît être la plus protectrice de toutes celles qui existent. J'aimerais également ajouter que nous discutons de manière continuelle avec l'Allemagne sur ce sujet. Le numérique et l'intelligence artificielle étaient au programme du séminaire gouvernemental franco-allemand qui s'est tenu à Hambourg, début octobre. Ces sujets ont aussi été abordés la semaine dernière lors du premier sommet britannique, sur les risques associés à l'intelligence artificielle. Il convient de souligner qu'en matière de développement numérique et de cloud, la France se situe en tête des États de l'Union européenne et donc, notamment, devant l'Allemagne.

En réponse à vos interrogations sur le cadre financier pluriannuel, plusieurs observations doivent être rappelées. Tout d'abord, certains fonds n'ont pas été utilisés, notamment, ceux qui étaient dédiés à la migration. Ensuite, la hausse demandée par la Commission européenne n'était qu'imparfaitement documentée. Enfin, nous pensons qu'à l'heure où les fonctionnaires nationaux ne connaissent que des hausses de traitement restreintes, compte tenu de la situation actuelle, il n'est pas envisageable de permettre à la Commission européenne d'augmenter beaucoup plus ses employés qui bénéficient déjà d'un niveau de rémunération plus élevé que celui des fonctionnaires nationaux. Les 27 États membres étaient unanimes sur ce constat. En conséquence, ce que nous demandons, comme l'ensemble des États membres, c'est d'identifier les montants qui n'ont pas été utilisés et de les redéployer quand cela est possible et nécessaire. Bien évidemment il existe des programmes et dossiers prioritaires, tels que l'Ukraine, la migration, Erasmus, le programme Horizon Europe, ou encore le numérique. Plus nous serons sélectifs, plus nous devrons être stratégiques. Les trois programmes que vous avez cités figurent parmi les plus stratégiques pour l'Europe, notamment en matière de souveraineté et d'autonomie. C'est pourquoi nous sommes dans l'exercice de l'analyse afin de formuler des propositions de redéploiement comme les autres États membres.

Monsieur le sénateur Reichardt, je partage votre constat sur la nécessité de mettre en oeuvre le multilinguisme. En conséquence, la publication de postes prévoyant l'usage de seulement deux langues, la langue maternelle et en toute probabilité l'anglais, n'était absolument pas acceptable. À la suite de discussions informelles, puis formelles, puis d'une lettre, nous poursuivons nos efforts pour faire appliquer le multilinguisme, en utilisant toutes les procédures à notre disposition, et nous sommes largement soutenus par les États membres. À titre d'illustration, mon collègue irlandais s'exprime parfois en gaélique. Il serait ironique qu'au moment où les Espagnols demandent l'usage de leurs langues régionales, non prévues par les traités, le multilinguisme soit délaissé.

En matière de migration et d'asile, le nouveau pacte devrait être conclu avant la fin de l'année, tant pour des raisons politiques que de fond. Nous ne ménagerons pas nos efforts afin d'aboutir à sa conclusion avant la fin de la mandature européenne car il est extrêmement important de montrer effectivement que l'Union est efficace et agit pour la protection des frontières extérieures.

Au plan politique, force est de constater qu'un large consensus existe au Conseil européen sur le fait que la protection des frontières de l'Union européenne passe par l'Union. J'en prendrai pour preuve le revirement de position de Mme Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien, qui, pendant six mois, a déclaré vouloir faire un blocus naval, et qui, finalement, a demandé à Mme Ursula von der Leyen ainsi qu'à l'ensemble des États membres, de faire pression sur certains pays, considérés comme des pays dit de transit, ou d'origine. Je le répète donc, quelle que soit la couleur politique, tous s'accordent sur le fait que la protection des frontières de l'Union passe par l'Union. Le changement de stratégie de l'Italie a envoyé un signal très fort à l'ensemble du spectre politique. Il est de l'intérêt du Parlement européen de parvenir à un accord avec le Conseil. Tout échec serait perçu comme un terrible signal de faiblesse, sept mois avant les élections européennes.

S'agissant des raisons de fond, ce pacte constituerait une véritable avancée en matière de maîtrise des flux. Concrètement, sans le pacte, les migrants arrivant par le pays de première entrée se font enregistrer dans ce pays, puisqu'on ne connaît pas leur statut. Or tout pays de première entrée, doté de côtes méditerranéennes, accueille un plus grand nombre de demandeurs que tout autre État de l'Union. En l'absence de solidarité, grande est la tentation de ne pas traiter l'ensemble des demandeurs. Les flux ne sont donc pas totalement maîtrisés. Désormais, le pacte prévoit un mécanisme de solidarité impliquant tous les autres États puisque chacun traitera des demandes ou aidera à la réalisation des tests sanitaires et sécuritaires. Dans ces conditions, les États faisant face à une pression migratoire auront intérêt à enregistrer les demandes. Quant à l'ensemble des États, ils sont favorables à ces nouvelles procédures qui améliorent l'efficacité du traitement des demandeurs d'asile. Bref, la maîtrise des flux migratoires devrait être considérablement accrue par ce pacte sur la migration et l'asile. C'est pourquoi, il serait incompréhensible que l'on ne parvienne pas à un accord.

En réponse à vos questions d'ordre international, notamment sur le Sahel, sur notre insistance, le Conseil européen a mis ce sujet à son ordre du jour. La France y tenait particulièrement. L'ensemble des États membres ont conscience de l'importance de cette région, ne serait-ce que pour la stabilité du continent mais aussi pour celle de nos nations. Le Président de la République française fait figure de leader sur le sujet et tient un langage de fermeté. En conséquence, le Haut représentant de l'Union a été mandaté afin d'élaborer une position commune.

Vous m'avez interrogée sur le partenariat oriental. Malgré les multiples réunions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ce dernier a manqué à sa parole. Près de 100 000 personnes ont été déplacées du fait de son agression au Haut Karabagh, 25 000 avaient déjà quitté cette région où elles habitaient. Cette agression porte atteinte à la souveraineté et à la protection territoriale. Force est de constater qu'il n'y avait pas de représentant de l'Azerbaïdjan lors de la réunion de Communauté politique européenne qui s'est tenue début octobre. De nombreuses discussions ont eu lieu. La France qui a pris le leadership en la matière, demande à faire pression sur l'Azerbaïdjan, au cas où ce dernier poursuivrait ses opérations militaires, et à préparer des sanctions ainsi qu'un soutien militaire. Ces différents points seront abordés lors du Conseil des affaires étrangères, la semaine prochaine.

Quant à l'élargissement, avant de répondre précisément à vos questions, je pense qu'il est important de déterminer si l'on veut que les pays des Balkans, l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie soient avec nous, du côté des pays démocratiques, en mettant en oeuvre le respect de l'État de droit, des valeurs communes, notamment humanitaires, de la protection des minorités, de l'anticorruption, de l'impartialité et de l'indépendance de la justice, de l'indépendance et de la pluralité des médias, ou si on les laisse dériver vers la Russie et la Chine.

Notre réponse politique est qu'il est de notre intérêt sécuritaire que ces pays soient avec nous et que nous n'ayons pas, à nos frontières, des pays risquant d'être déstabilisés à tout moment par une ingérence russe ou chinoise. Bien évidemment, il convient de pouvoir les aider sur le chemin d'adhésion à l'Union européenne, pas à n'importe quel prix car ils doivent disposer d'institutions qui garantissent un État de droit. C'est pourquoi nous avons demandé un processus d'intégration graduel, qui accompagne les efforts et progrès en matière d'État de droit d'une aide financière et administrative pour avancer plus vite. En revanche, tout recul implique une régression sur le chemin de l'adhésion. L'enjeu est d'être suffisamment incitatif et de faire rêver ces pays pour les ancrer dans nos systèmes démocratiques. C'est bien tout l'objet de ce paquet Élargissement.

Si on regarde la situation précisément, tout d'abord, la résolution des conflits doit être une condition de l'adhésion. À titre d'illustration, la Serbie et le Kosovo disposent des moyens pour résoudre leur conflit. C'est vraiment entre leurs mains. Ils sont aidés de toutes parts pour le faire. Si nous y constatons un recul de l'État de droit, nous en prendrons acte.

Quant à la Géorgie, n'ayant satisfait que trois priorités sur douze, elle obtiendra le statut de candidat dès que les neuf autres conditions seront satisfaites. Nous avons procédé de la même façon pour l'Albanie et la Macédoine du Nord, en ouvrant automatiquement ce statut, dès lors que les conditions étaient remplies. On lance ainsi un signal politique, tout en restant très ferme sur la conditionnalité en termes d'État de droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathilde OLLIVIER

Madame la ministre, je souhaiterais revenir sur le sujet des négociations du cadre financier pluriannuel. Un certain nombre de priorités ont été évoquées lors du dernier Conseil européen. Vous en avez mentionnées, aujourd'hui, quelques-unes françaises. Or, nous vous avons peu entendu parler du pacte vert ou Green deal, et il est plutôt évoqué la gestion de la crise climatique que sa prévention.

Le Président de la République a envoyé un signal assez négatif, il y a quelques mois, en parlant de pause dans la réglementation européenne en matière environnementale. Quelles sont les priorités de la France dans le cadre financier pluriannuel, en matière de lutte contre le changement climatique et contre la perte de la biodiversité?

Debut de section - Permalien
Laurence Boone, secrétaire d'État

En ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, au risque de vous surprendre, je rappelle que l'Europe est la région la plus avancée au monde en matière de transition écologique. J'ose même dire que c'est le Président de la République qui est le plus audacieux et ambitieux de tous les leaders au Conseil européen. Ceci est un fait. Nous serons probablement le premier pays à être le plus décarboné. Je vous rappelle que l'Allemagne est loin derrière nous en matière de décarbonation et de transition écologique.

Vous mentionnez une pause réglementaire. L'idée n'est pas du tout d'interrompre la démarche de transition énergétique et de biodiversité, mais plutôt de regarder tout ce qui a été réalisé, d'en évaluer l'impact afin d'ajuster dans un sens ou dans un autre, en fonction des résultats attendus de ces politiques. Être très ambitieux et afficher des cibles, tout le monde peut le faire. Il est aisé de parler, et beaucoup plus difficile, en revanche, de le faire. La prochaine étape concernera les interconnexions énergétiques, notamment pour pouvoir optimiser la production et la consommation d'énergie, objectif qui sera probablement intégré dans le mandat de la Banque européenne d'investissement et de son ou sa prochaine présidente. Il en sera de même sur les autres volets écologiques, avant d'ajuster éventuellement certaines normes si besoin. Comme vous le savez, le commissaire européen aux relations interinstitutionnelles, M. Maro efèoviè, se déplace dans les capitales européennes afin de discuter avec les entreprises et la société civile pour déterminer comment ajuster ce qui a été fait, de manière à ce que ces dernières puissent effectivement mettre en oeuvre les normes de la façon la plus efficace et la moins coûteuse possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je vous remercie Madame la ministre. Nous nous reverrons donc au prochain débat préalable au Conseil européen de décembre, dans l'hémicycle.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 40

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