Intervention de François-Roger Cazala

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 novembre 2023 à 9h00
Marché intérieur économie finances fiscalité — Audition de M. François-Roger Cazala membre de la cour des comptes européenne chambre iv - réglementation des marchés et économie concurrentielle

François-Roger Cazala, membre de la Cour des comptes européenne (chambre IV - Réglementation des marchés et économie concurrentielle) :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, j'ai l'honneur, pour la première fois depuis ma nomination à la Cour des comptes européenne - alors que je suis issu de la Cour des comptes française, où j'ai eu le plaisir de travailler avec Christine Lavarde que je salue - de vous présenter les constats et les principaux messages du rapport annuel de la Cour des comptes européenne relatif à l'exercice 2022. Je vous remercie beaucoup de l'occasion que vous m'accordez de rendre ainsi compte des travaux de la Cour, du moins de leur principale composante en « hommes-jours » puisqu'environ la moitié de nos ressources sont affectées à la confection de ce rapport annuel - cela constitue d'ailleurs une de nos préoccupations. Je m'associe aux remerciements que vous avez adressés aux collaborateurs de la Cour qui se sont mobilisés ce matin. Le mandat de la Cour est vaste et, comme vous l'avez mentionné, je travaille à la chambre IV qui s'occupe de la réglementation des marchés, des interventions économiques de l'Union européenne et également des institutions financières européennes. Sur un certain nombre de sujets évoqués dans la préparation de cette audition, les collaborateurs de la Cour en savent beaucoup plus que moi et seront prêts à répondre à vos questions, comme je le suis moi-même.

Avant d'aborder la question du rapport annuel, permettez-moi de saisir l'occasion pour vous apporter quelques informations sur la Cour elle-même. Vous avez dit l'essentiel et j'ajouterai que la Cour contrôle l'ensemble des dépenses et des recettes de l'Union européenne ainsi que les personnes et les organisations qui gèrent des fonds de l'Union européenne : au premier titre, il s'agit effectivement de la Commission mais il faut également citer le Conseil, le Parlement, le Comité économique et social, les différents Comités - comme celui des régions - qui ont été mis en place, la Cour de justice et les institutions associées. S'y ajoutent les agences dont je suis en charge du contrôle et qui ont fleuri au cours des dernières années : certains se demandent si ce phénomène s'explique par la nécessité des problèmes ou éventuellement par la soif de siège ; je n'ai pas la réponse mais cette inflation mériterait d'être analysée.

Nous pratiquons des contrôles aléatoires dans les institutions européennes, principalement la Commission, les États membres et tout autre État recevant des aides de l'Union européenne, par exemple au titre de la coopération ou de l'aide au développement.

À la différence de son homologue française, mais à l'image de la plupart des institutions supérieures de contrôle des finances publiques, la Cour des comptes européenne ne dispose pas de compétences juridictionnelles et ne peut pas engager la responsabilité personnelle ou pécuniaire des comptables qu'elle viendrait à mettre en cause. L'appellation générique « Cour » a néanmoins été conservée et figure dans les traités, à commencer par celui de Maastricht qui l'a élevée au rang d'institution alors qu'elle existait déjà depuis une vingtaine d'années avec un statut moins solennel.

Pour vous donner une idée de notre périmètre d'audit, je vous présente une diapositive avec un graphique assez inspiré de celui que Jean Arthuis - qui présida la commission des budgets du Parlement européen - avait conçu en parlant des « galaxies financières » de l'Union européenne. De façon aussi imagée mais plus nuancée à l'égard des institutions, ce graphique utilise les termes de « paysage financier » mais complexe. Les différentes entités ou personnes morales et les différents budgets - dont certains sont d'ailleurs des fonds extrabudgétaires - qui sont représentés sur ce schéma sont sujets à des modalités de contrôle un peu trop diverses et parfois contradictoires, nous l'avons évoqué dans un rapport récent dont j'étais le rapporteur. Le schéma qui vous est présenté illustre la complexité de notre tâche même si notre compétence est définie de manière très générale par les traités : globalement, nous auditons un vaste ensemble d'organismes selon des modalités variables.

La Cour consigne ses constats et ses recommandations dans des rapports annuels et des rapports spéciaux consacrés à des audits de performance - qui sont à peu près l'équivalent des rapports de la Cour des comptes française que vous avez l'habitude de lire. Après l'examen de ces rapports qui sont présentés au Conseil et au Parlement, ce dernier prend des résolutions. En particulier, le rapport annuel constitue la base de la décision qu'est amené à prendre le Parlement européen dans le cadre de la procédure de décharge de la Commission et des autres institutions européennes chargées de la gestion d'un budget.

À la différence de la Cour des comptes française, nous publions également des avis obligatoires ou facultatifs et nous pouvons nous saisir nous-mêmes, comme nous l'avons fait récemment. Ces avis portent sur des actes législatifs préparatoires ou sur des questions plus générales au moyen de travaux non pas d'audit à proprement parler, mais plutôt de compilations et de synthèses de rapports ou de documents déjà existants : on les appelle des « reviews » que traduit imparfaitement le mot français de « revue ».

Pour éclairer les indications que je vais à présent vous fournir sur le budget européen de 2022, il est important de noter que depuis le traité de Maastricht, le mandat de la Cour a été étendu pour couvrir non seulement son activité traditionnelle de certification des comptes - je précise que la Cour française ne le fait que depuis la LOLF et que cette tâche s'apparente à celle d'un commissaire aux comptes qui certifie les comptes d'une entreprise - mais aussi la production d'une déclaration d'assurance sur la légalité et la régularité des opérations, recettes et paiements sous-jacents à l'exécution du budget. Je précise que quand un commissaire aux comptes certifie un compte, il ne se prononce pas sur la régularité ou la légalité des opérations d'appels d'offres, par exemple : il se contente de vérifier que le marché a bien été passé et que les montants figurent bien dans le rapport. En effet, l'important pour ces professionnels libéraux qui interviennent dans le cadre d'une mission légale d'audit, c'est in fine d'avoir une image financière correcte de l'activité de l'entité en cause. En revanche, on a demandé à la Cour de fournir en plus une opinion sur la légalité et la régularité de chaque transaction : je fais observer qu'il s'agit là d'une mission quasi impossible dans la réalité, compte tenu des dizaines de milliers de transactions par lesquelles le budget de l'Union européenne s'exécute. Si nous procédions à une telle vérification intégrale, nous en serions encore à travailler sur le budget 2000 et je note que la Cour française est dans la même situation, avec un nombre encore plus élevé d'opérations à surveiller. En pratique, nous procédons selon l'application des normes classiques d'audit en portant une appréciation sur les dispositifs de gestion et de contrôle interne des entités contrôlées qui sont censés garantir la légalité et la régularité des recettes et des dépenses. Nous complétons cette méthode par le recours à des sondages sur les opérations de recettes et de dépenses avec la possibilité, s'agissant des dépenses, de pousser les investigations jusqu'au bénéficiaire final : par exemple, on peut aller dans une ferme des Pouilles pour vérifier que les surfaces déclarées au titre de la politique agricole commune ont bien été mesurées et, à présent, grâce aux satellites, la tâche est d'ailleurs facilitée.

Ce travail nous permet de présenter des niveaux d'erreurs estimés pour les principaux domaines d'intervention de l'Union européenne ainsi que pour le budget dans son ensemble. À ce stade, nous n'envisageons pas de présenter des taux d'erreur par pays.

J'en viens aux principaux enseignements de notre rapport annuel 2022 en commençant par vous citer quelques chiffres. Pendant la période couverte par le cadre financier pluriannuel 2021-2027 à laquelle se rattache le budget 2022, les montants devant être contrôlés par la Cour ont considérablement augmenté par rapport au cadre financier pluriannuel précédent. Au titre budgétaire stricto sensu, l'Union européenne est appelée à dépenser pendant cette période 1 800 milliards d'euros, ce qui englobe non seulement le cadre financier pluriannuel de 1 100 milliards d'euros mais également jusqu'à 750 milliards d'euros au titre de l'instrument de relance post-covid : le fameux programme NextGenerationEU (NGEU). Pour sa part, le budget annuel 2022 s'est élevé à 170 milliards d'euros en crédits de paiement, dont 167 ont été consommés ; s'y rajoutent des paiements supplémentaires et notamment des subventions au titre du programme NGEU pour atteindre un total général de paiements de 243 milliards d'euros audités par la Cour.

Notre travail de commissaire aux comptes et de certification de l'Union européenne toutes institutions confondues nous a conduit à conclure, comme les années précédentes, que les comptes présentent une image fidèle de la situation financière et nous avons par conséquent émis une opinion favorable sur leur fiabilité. Les recettes budgétaires se sont élevées à 245 milliards d'euros et nous avons également émis une opinion favorable sur leur légalité ainsi que leur régularité. Le « hic » se situe au niveau des dépenses, à savoir le paquet budgétaire à long terme de l'Union européenne, composé à la fois du cadre financier pluriannuel et du NextGenerationEU. Les fonds de ce dernier vont à plus de 80 % à ce qu'on appelle en français la Facilité pour la Reprise et la Résilience (FRR ou RRF en anglais) dont le modèle de mise en oeuvre est différent de celui des fonds européens classiques. C'est pourquoi nous avons émis deux opinions distinctes sur les dépenses : l'une sur les dépenses classiques de l'Union européenne - fonds structurels, politique agricole commune, aide au développement et autres dépenses de fonctionnement - et l'autre portant sur la facilité pour la reprise. En effet, pour des raisons de principe et de méthodologie, nous ne sommes pas en mesure, pour cette deuxième composante, d'évaluer un taux d'erreur dans les mêmes termes que nous le faisons pour les dépenses classiques. S'agissant de ces dernières et sur la base de notre échantillon représentatif de 768 transactions, nous avons observé, comme vous l'avez mentionné, une augmentation du taux d'erreur global qui est passé de 3 % en 2021 à 4,2 % en 2022 ; ce taux avait déjà atteint 2,7 % en 2020 et c'est donc la quatrième année consécutive que nous émettons une opinion défavorable pour dépassement du seuil de matérialité ou de signification des irrégularités.

Je me tiens à votre disposition pour rentrer un peu plus dans le détail de ce chiffre global et, à ce stade, je précise que nous calculons également des taux d'erreur au niveau des différentes catégories de dépenses. Nous distinguons, d'une part, ce que nous considérons comme des dépenses à haut risque, pour différentes raisons et compte tenu de leur nature. Il s'agit notamment des remboursements, des procédures complexes ou des procédures nouvelles qui n'ont pas été rodées : ces dépenses à haut risque représentent 66 % du budget et nous estimons leur taux d'erreur à 6 % contre 4,7 % l'année dernière. Je précise que cette catégorie se subdivise entre différentes têtes de chapitres budgétaires et les fonds de cohésion sont le principal domaine de risque : on comprend pourquoi, compte tenu de la nature des bénéficiaires qui ne sont pas nécessairement des spécialistes de la comptabilité, du droit budgétaire ou des marchés, à quoi s'ajoutent des raisons intrinsèques tenant à la complexité des procédures. On trouve également ces dépenses à haut risque dans les têtes de chapitres relatives au marché unique, aux migrations, à la sécurité et au voisinage, ce qui est assez logique, s'agissant de dépenses exécutées dans des pays tiers, notamment en matière d'aide au développement.

D'autre part, les dépenses à faible risque portent bien leur nom puisque nous avons pu constater que leur taux d'erreur restait en deçà du seuil de matérialité de 2 %. Il s'agit essentiellement des dépenses dites de guichet ou automatiques comme par exemple les aides directes aux agriculteurs ou les bourses Erasmus en faveur des étudiants ; s'y ajoutent, bien entendu, les dépenses administratives proprement dites des institutions européennes qui représentent une part non négligeable du budget mais que nous considérons comme totalement bordée avec un taux d'erreur quasi nul en ce qui les concerne.

Nous avons été amenés à faire différents constats à propos des rubriques relatives à la cohésion qui enregistrent un taux d'erreur de 6,4 %, soit un bond de 80 % par rapport à l'année précédente. Comme vous l'avez souligné, c'est préoccupant non seulement pour la politique de cohésion elle-même mais aussi en raison des implications potentielles pour d'autres composantes du budget de l'Union et en particulier la facilité pour la relance et la résilience dont les projets d'investissement fonctionnent d'une manière similaire ou très proche du modèle des dépenses de cohésion. Pour lever toute ambiguïté, je rappelle que le taux d'erreur ne signifie pas fraude ou corruption. Le taux d'erreur signale des irrégularités qui peuvent être matérialisées par des erreurs d'imputation, des dépenses ou des remboursements de coûts qui n'étaient pas éligibles mais ont pourtant été effectués pour des raisons de complexité, d'ambiguïté, de négligence, d'ignorance ou tout simplement d'incompétence des bénéficiaires finaux. Il peut également s'agir d'infractions aux règles des marchés, là aussi pour des raisons qui ne sont pas nécessairement excusables mais qui peuvent être compréhensibles : lorsqu'une urgence est par exemple invoquée mais non avérée, cela ne signifie pas nécessairement que le marché a été entaché de favoritisme ou de corruption. Des manquements graves sont cependant parfois observés mais nous n'avons détecté que 16 cas de fraude potentielle sur 708 transactions irrégulières. Nous avons signalé ces 16 cas à l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) ainsi qu'au procureur européen et ce chiffre se situe à peu près dans la fourchette des signalements annuels aux organismes compétents.

Contrairement à ce que certains des promoteurs de la déclaration d'assurance prétendaient il y a maintenant une vingtaine d'années, l'exécution du budget européen n'est pas un foyer de fraude et de corruption. Certes on en trouve un certain nombre et les risques potentiels ne sont pas négligeables - j'y reviendrai à propos des fonds post-covid - mais ce n'est pas de façon aussi péjorative que je caractériserai les principaux éléments qui composent le taux d'erreur.

En revanche, je mentionne un autre souci : comme vous le savez, nous nous appuyons beaucoup sur les travaux de contrôle des États membres qui ont leurs propres dispositifs de contrôle répondant aux normes édictées par la réglementation applicable. En France, on peut citer la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) qui audite les fonds européens en France et qui a été rebaptisée « Autorité nationale d'audit pour les fonds européens » (ANAFE). En révisant les dossiers de ces organismes dans l'ensemble des États membres, nous avons constaté que plus de 60 % de ces travaux de contrôle présentaient à tort un niveau d'erreur inférieur au seuil de 2 % que nous retenons. Une telle proportion, qui se limitait à 39 % en 2021, nous paraît atteindre aujourd'hui un niveau élevé : il y a donc une préoccupation sur la qualité des contrôles auxquels procèdent les États membres à l'égard de l'exécution des dépenses et cela révèle certaines lacunes auxquelles il nous paraît important de remédier.

Au total, nos travaux liés à la conformité des dépenses budgétaires de 2022 montrent donc une hausse de leur niveau d'erreur estimatif global, particulièrement dans le domaine de la cohésion qui représente 40 % du montant total des dépenses sur cet exercice. Je précise qu'une partie des dépenses en cause correspond à des « queues de comète » - si je puis dire - du cadre financier précédent : comme vous le savez, il y a toujours un risque de désengagement des fonds européens et il est probable qu'un effet d'accélération dans la consommation de ces crédits amène les bénéficiaires ou les autorités de gestion à être moins sensibles à la nécessité de respecter les règles. Cette augmentation préoccupante du taux d'erreur peut donc s'expliquer par un empressement à absorber les fonds qui s'accompagne d'un moindre zèle dans la conformité aux procédures.

Un mot sur l'opinion avec réserve que nous avons formulée de façon séparée sur les dépenses de la facilité pour la reprise et la résilience. Pourquoi une opinion séparée ? Je rappelle que le modèle de mise en oeuvre de ce fonds diffère de celui des dépenses budgétaires de l'Union européenne au titre du cadre financier pluriannuel car cet instrument a été conçu pour être temporaire et pour réagir rapidement à une situation de crise. À ce stade, onze États membres ont reçu, en 2022, 13 paiements de subventions d'une valeur totale de 47 milliards d'euros ; en 2021, qui était la première année de mise en oeuvre de cette facilité, seule l'Espagne avait reçu un paiement. Nous avons examiné la quasi-totalité des indicateurs justifiant le versement de ces subventions : nous avons ainsi vérifié en 2022, d'une part, les 274 « jalons » qui correspondent aux étapes de mise en oeuvre des réformes structurelles que cette facilité est censée financer et, d'autre part, les 37 « cibles » qui correspondent aux étapes de réalisation des investissements. Nous constatons qu'au titre de ce plan qui a été présenté et conçu comme un instrument d'urgence, cinq pays - Irlande, Hongrie, Pays-Bas, Pologne et Suède - n'ont toujours pas reçu de paiement en septembre 2023 tandis que quatre autres - Allemagne, Belgique, Finlande et Estonie - n'ont reçu que des préfinancements, c'est-à-dire des sommes forfaitaires censées préfinancer, sans lien avec la réalisation de jalons proprement dits ou de cibles, les opérations retenues au titre des plans nationaux de reprise et de résilience. Après examen, nous avons conclu que 15 de ces jalons et cibles présentaient des problèmes de régularité. Certains n'avaient pas été atteints de manière satisfaisante : un exemple de jalons - qui correspondent par exemple aux décrets d'application d'une réforme législative - non atteints concerne la Grèce où une réforme du marché du travail nécessitait 15 décrets d'application ; or les fonds européens ont été libérés alors que trois décrets d'application étaient encore en attente de publication. Les irrégularités peuvent aussi concerner les conditions d'éligibilité des allocations : comme vous le savez, les fonds du FRR étaient rétroactifs puisqu'ils permettaient de couvrir une partie des dépenses exposées par la quasi-totalité États avant l'adoption du programme NextGenerationEU ; par exemple, tel a été le cas de la France avec le plan d'urgence. Or on a trouvé un certain nombre de dépenses qui correspondaient à des versements très antérieurs à la date d'adoption du programme et dont il est clair qu'elles ne devaient pas être financées par la FRR. Nos travaux nous ont permis, par ailleurs, de relever des faiblesses dans le système de contrôle de la FRR. Ces faiblesses sont inhérentes au dispositif car les opérations financées par la FRR doivent respecter les critères de légalité des dépenses de l'Union européenne en termes de réglementation des marchés ou d'aides d'État, par exemple. Or, la Commission considère qu'il revient aux États membres de faire ce travail de vérification : la qualité de celui-ci reste à démontrer et nous n'avons pas, à l'heure actuelle, réellement les moyens de vérifier que ces clauses de régularité sont bien respectées. Nous avons très explicitement dénoncé ces lacunes dans les premiers audits de système que nous avons réalisés pour tester la pertinence des procédures mises en place pour contrôler les opérations financées au titre du FRR.

C'est donc sur la base de ces considérations qualitatives et quantitatives que nous avons émis une opinion avec réserve sur les dépenses au titre de la facilité pour l'exercice 2022. Je souligne à nouveau que nous ne sommes pas en mesure, et ne le serons probablement jamais, de calculer un taux d'erreur dans ce secteur : cela me paraît d'ailleurs préférable car il en résulterait une évaluation assez artificielle comparée à ce que l'on fait pour les dépenses budgétaires classiques.

Je souhaite aussi attirer votre attention sur le fait que nos travaux d'audit ont mis en évidence l'existence de jalons ou de cibles dont la définition n'est pas claire en soi, si bien qu'il est difficile de déterminer s'ils sont vraiment atteints. La régularité est un défi constant, compte tenu de la difficulté de contrôler la manière dont les États la vérifient à leur niveau. Aujourd'hui, globalement, seuls 35 % des fonds ont été déboursés et le chiffre est de 33 % pour la France. De plus le taux de décaissement n'est que de 24 % en tenant compte de la partie allouée sous forme de prêts. Nous ne sommes donc pas encore en mesure de procéder à une évaluation globale et d'émettre un avis d'ensemble sur le programme très novateur que constituent NextGenerationEU et la FRR : cela ne sera possible qu'en combinant les résultats de ces travaux annuels avec nos audits de performance en cours de réalisation.

J'ajoute que les dépenses ont un coût : en particulier, ce fonds est financé par emprunt contracté par l'Union européenne sur les marchés, avec principalement des obligations à long terme garanties par le budget de l'Union. Ces emprunts servent essentiellement à financer le programme NextGenerationEU mais aussi l'assistance financière aux États membres et aux pays tiers. Or, la dette de l'Union européenne a augmenté de manière significative en 2022 pour atteindre 344 milliards d'euros contre 237 en 2021, principalement en raison des besoins générés par NextGenerationEU. Le remboursement de cette dette doit débuter en 2028 et s'achever à la fin de 2058 : il incombera donc à la prochaine génération de citoyens d'autant que la question des ressources additionnelles nécessaires pour assurer ce remboursement reste ouverte. Deux facteurs doivent être ici pris en compte : d'une part, il s'agit de savoir si les États membres ayant bénéficié de prêts seront capables de les rembourser ou non et dans quelle mesure cela influencera leur propre endettement car ce sont des États déjà très endettés qui ont eu recours à NextGenerationEU. D'autre part, la question des ressources additionnelles fait l'objet de discussions en cours dont l'une a abouti à la taxe sur les déchets plastiques. Cependant, l'évaluation de ces ressources additionnelles montre qu'elles ne sont clairement pas suffisantes pour financer le coût de ces emprunts, lesquels risquent d'augmenter si l'Union européenne est appelée - même si ce n'est pas le cas pour l'instant - à refinancer cette dette, comme le font ses États membres, en recourant de nouveau à l'emprunt compte tenu de l'augmentation des taux : ce n'est pas une perspective très souriante.

J'aurais pu vous parler de l'Ukraine mais le temps imparti incite à réserver ce sujet pour la suite de notre discussion. Je conclurai simplement en vous appelant d'abord à jeter un oeil non pas sur notre rapport qui est assez volumineux mais sur sa synthèse « Audit en bref ». J'indique également qu'il est clair que le budget de l'Union s'inscrit dans un contexte toujours plus vaste et plus complexe, comme en témoignent les demandes supplémentaires de la Commission au titre du budget 2024 que vous avez mentionnées.

Aujourd'hui, je me suis contenté de soulever certains points dans le but de démontrer que si de nombreux éléments fonctionnent bien - il n'y a pas lieu d'être catastrophiste -, certaines difficultés importantes subsistent et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, ainsi que les collaborateurs de la Cour spécialisés dans certains domaines.

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