Intervention de François-Roger Cazala

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 novembre 2023 à 9h00
Marché intérieur économie finances fiscalité — Audition de M. François-Roger Cazala membre de la cour des comptes européenne chambre iv - réglementation des marchés et économie concurrentielle

François-Roger Cazala, membre de la Cour des comptes européenne (chambre IV - Réglementation des marchés et économie concurrentielle) :

J'ai été en charge de la coordination du rapport que vous avez mentionné ; Giuseppe Diana qui en a été le principal maître d'oeuvre participe à distance à la présente audition et je mentionne également mon chef de cabinet Dirk Pauwels qui m'assiste en permanence. Nous avons effectivement rendu la semaine dernière ce rapport qui se rattache à la catégorie des revues ou des analyses. Ce document se proposait d'examiner dans quelle mesure les propositions faites par la Commission en avril dernier pour réformer le système de gouvernance économique - en vue d'une adoption d'ici le 31 décembre 2023 - tenaient compte des observations que la Cour des comptes européenne avait pu faire dans ses rapports d'audit ou ses revues portant sur l'activité de la Commission en matière de gouvernance économique et de surveillance des États membres sur le respect des critères budgétaires et sur la politique budgétaire en général.

Ce rappel permet d'écarter a priori votre suggestion de confier à la Cour des comptes européenne le rôle que joue la Commission à l'égard des États membres. Une telle évolution nous placerait dans une situation qui confinerait à un contrôle d'opportunité ou à une immixtion dans la gestion des États, ce qui est par principe contraire à notre mandat, à notre statut et aux normes généralement applicables par les institutions supérieures de contrôle.

Je précise que nous n'avons pas porté un avis sur les propositions de la Commission mais sur le fait de savoir si elles tenaient compte de nos suggestions antérieures : je reconnais que ces dernières sont nombreuses, ce qui atténue la distinction que je viens de citer. Au final, nous avons considéré que les propositions de la Commission allaient dans la bonne direction en ceci qu'elles ont tenu compte de nos analyses, notamment sur les points que vous avez mentionnés. Je rappelle que le mandat donné à la Commission européenne par le Conseil comportait une série de critères comme celui de la simplification et de l'efficacité de la mise en oeuvre (ou « enforcement »). Je rejoins ici vos propos sur le fait que jusqu'à présent, s'agissant des infractions aux critères de Maastricht, on ne peut pas dire que le processus de sanction ait été d'une violence ou d'une brutalité considérable, ce qui peut s'expliquer par beaucoup de raisons objectives et subjectives auxquelles je me contente ici de faire allusion : rapports de force, procédure insuffisante, ambiguïté des textes et large capacité d'interprétation de la Commission. De ce point de vue, nous considérons que les critères de simplification et de mise en oeuvre seraient remplis grâce au choix de l'indicateur dominant et objectif qu'est le taux d'accroissement des dépenses nettes puisque cette manière de procéder se base sur un critère vérifiable. Or, depuis quelques années, on utilisait une série d'indicateurs dont en particulier celui du solde structurel : l'idée en revient pour beaucoup à la France et j'aurais donc des scrupules à la mettre en cause. Cependant, tout en rendant hommage aux économistes ayant défini ces critères certainement appropriés du point de vue scientifique, je fais observer à titre personnel, que cet indicateur présente l'inconvénient d'être non pas subjectif mais en tout cas non vérifiable de manière aussi objective que le critère des dépenses nettes qui ressort très clairement dans l'évolution des budgets des États membres. De ce point de vue, je crois que le progrès est réel : il n'y pratiquement pas de discussion possible sur cet indicateur alors qu'il y en avait sur la notion de solde structurel ; cela permet à la fois de répondre à la demande de simplification et à l'efficacité dans la mise en oeuvre. Dans le système actuel, les risques encourus par un État membre étaient tels que la Commission et, dans un deuxième temps, le Conseil pouvaient fortement hésiter - comme ils l'ont fait jusqu'à présent - à mettre en cause un État membre puis à prononcer des sanctions qui sont particulièrement pénalisantes.

Je rappelle également que la Commission, dans sa proposition initiale, a suggéré de supprimer l'obligation qui était faite aux États de diminuer leur endettement par vingtième chaque année : nous estimons que cette mission est totalement impossible et irréaliste ; elle n'a d'ailleurs jamais été mise en oeuvre. Ce point est aujourd'hui en discussion et une évolution semble s'amorcer, les États dits frugaux n'y étant a priori pas favorables. La Commission propose des sanctions moins violentes, plus étalées dans le temps et des délais donnés aux États membres sous forme de plans à quatre ans pour se mettre en conformité avec la trajectoire de réduction de leur dette : sortir des cycles purement annuels pour y substituer des cycles pluriannuels nous paraît plus raisonnable et plus réaliste que la situation actuelle, tout en offrant plus de garanties de stabilité.

Je voudrais également mentionner un élément qui est au coeur de la proposition de la Commission et qui nous paraît très juste : l'accent est mis sur la nécessité de réduire l'endettement, plus que les déficits en tant que tels ; cette notion, très simple à comprendre, est assortie d'une demande tendant à mettre en place des plans nationaux. Il est intéressant ici de faire observer que le plan post-covid a un peu inspiré les travaux dans le domaine de la gouvernance économique en conduisant l'État membre mis en cause à s'approprier les mesures à mettre en oeuvre à travers un plan qu'il propose à la Commission et au Conseil pour réduire son endettement. C'est un point important que nous avions signalé dans nos rapports précédents.

Je précise ma réponse à la question de Christine Lavarde en indiquant que confier à la Cour des comptes européenne la mission de se prononcer sur les finances des États membres nécessiterait également de modifier les traités ; or le mandat donné à la Commission européenne excluait une telle hypothèse et la Commission a formulé des propositions en respectant habilement cette contrainte. En revanche, elle a suggéré un renforcement du rôle du Conseil budgétaire européen qui est une instance indépendante d'expertise : je précise d'ailleurs qu'en France, ce n'est pas la Cour des comptes mais le Haut Conseil des Finances Publiques qui est chargé de se prononcer sur l'évolution des finances publiques. Or l'équivalent de cette instance au niveau européen, dans la proposition de la Commission, voit ses pouvoirs et surtout ses moyens renforcés, ce qui va dans le sens d'une meilleure évaluation de la pertinence des mesures proposées par les États membres.

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