Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je remercie le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants d'avoir inscrit l'organisation de ce débat à l'ordre du jour de nos travaux. Il nous permet d'interroger le Gouvernement sur la manière dont il compte appliquer « au plus vite » les mesures du comité interministériel des outre-mer. Le Ciom du 18 juillet 2023 a défini plus de soixante-douze mesures sur lesquelles il nous faut nous interroger aujourd'hui.
Je tiens également à vous remercier, monsieur le ministre. Si nous sommes en désaccord sur nombre de décisions politiques – ce n'est pas une surprise au regard de nos sensibilités différentes –, je salue votre réponse favorable à la participation des associations de consommateurs à la réforme de l'octroi de mer, réforme devenue indispensable pour permettre une pleine compréhension et acceptation de cet outil, dont il est fait un usage dévoyé, éloigné de ses missions premières. Cet outil est devenu complexe pour les entreprises et incompréhensible pour tous. Vous le savez, la transparence est donc nécessaire à la réussite de ces travaux.
La première réunion du comité de pilotage de la prise en charge des cancers dans nos territoires, qui s'est tenue conjointement avec votre collègue Agnès Firmin Le Bodo, mérite également, sans préjuger les résultats des travaux à venir, d'être saluée. Un tel comité gagnerait à être dupliqué pour nombre des mesures définies cet été.
Monsieur le ministre, j'en viens maintenant à la mesure 49 du Ciom, qui vise à « généraliser le “réflexe outre-mer” dans la fabrication de la norme ».
Ce réflexe outre-mer implique la juste considération de nos territoires et de nos populations, de leur singularité – l'éloignement, l'insularité, le surcoût de la vie, le caractère insuffisamment concurrentiel de leur économie et j'en passe –, mais aussi de la diversité qui règne au sein des cinq départements et régions d'outre-mer et des cinq collectivités d'outre-mer, sans oublier bien sûr la Nouvelle-Calédonie.
Ce réflexe est une promesse maintes fois évoquée depuis 2017, mais dont nous attendons toujours la concrétisation.
La plupart des ordonnances ont généralement pour objectif, d'une part, l'évitement démocratique du Parlement au profit de l'exécutif, d'autre part, une limitation des effets dévastateurs et non anticipés de textes souvent préparés sous un prisme hexagonal, ignorant totalement la réalité de nos territoires et de leurs habitants.
Ce qui pourrait passer pour une caricature n'est malheureusement pas vécu ainsi par nombre de parlementaires ultramarins et de corps intermédiaires.
À cet égard, la réforme des aides économiques intervenues au cours du précédent quinquennat dans le cadre de la loi de finances pour 2019 est un exemple symptomatique. Autant dire que beaucoup, qu'il s'agisse des élus ou des dirigeants de TPE ou de PME, craignent que la réforme de la défiscalisation ne soit qu'une pâle copie de la réforme économique de 2019.
Autre exemple, lors des trois réunions dites à tort « de concertation » sur les ordonnances prises au titre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les dizaines d'amendements proposés par les parlementaires des outre-mer ont eu peu de poids face à un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas).
L'oubli du réflexe outre-mer se poursuit, hélas ! dans le présent quinquennat.
À titre d'exemple, j'évoquerai le cas du diagnostic de performance énergétique (DPE). Alors que le Ciom a acté le report en 2028 de l'entrée en vigueur des DPE dans tous nos territoires, afin qu'ils puissent être logiquement adaptés à nos différents climats, l'article 50 du projet de loi de finances pour 2024, relatif notamment à MaPrimeRénov', tel qu'il est actuellement rédigé, exclut nos territoires, sans pour autant anticiper la mise en place de DPE antillais ou de solutions de remplacement dans les autres territoires.
Monsieur le ministre, même si nos propositions ont reçu un avis défavorable du Gouvernement lors de l'examen des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » du projet de loi de finances pour 2024, nous vous saurions gré de modifier cet article avant son adoption finale, ou considérée comme telle, afin que nos territoires puissent également mettre en place ce dispositif dans les prochains mois.
Il s'agit en effet d'un levier important pour compenser la baisse productive, ou plutôt constructive, de la ligne budgétaire unique (LBU). Monsieur le ministre, si la hausse de la LBU est bienvenue, elle ne permettra malheureusement pas d'accroître la construction de logements sociaux, dont certains territoires ont tant besoin – c'est notamment le cas à La Réunion, où plus de 40 000 dossiers sont en attente. Et nous ne sommes pas le territoire où la dynamique démographique est la plus importante !
Le réflexe outre-mer, c'est aussi ne pas annoncer des mesures ou des dispositifs comme étant spécifiques aux outre-mer quand ils ne sont que la simple déclinaison de plans nationaux.
Il en est ainsi des contrats de convergence et de transformation (CCT) pour 2024-2027, qui sont en phase de finalisation pour un montant de 2, 3 milliards d'euros engagés par l'État. Un bilan sera rapidement nécessaire.
Les précédents CCT, qui devaient initialement représenter un effort de 2, 1 milliards d'euros de la part de l'État entre 2019 et 2022, ressemblaient beaucoup aux contrats de plan État-Région qui les ont précédés. Ils intégraient en grande partie, en tout cas pour La Réunion, de nombreux investissements dans la formation, notamment les plans d'investissement dans les compétences. Plus d'un tiers des investissements contractualisés dans le CCT réunionnais étaient en fait la déclinaison locale d'un plan national de formation pour les années 2018-2022 déjà acté. Le contenu du CCT était donc éloigné de l'esprit initial de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Le réflexe outre-mer ne consiste pas non plus à inclure dans le Ciom des plans nationaux ayant, par nature, vocation à être adaptés à chacun de nos territoires. Il y va de la réussite même de ces plans.
À titre d'exemple, la mesure 31 prévoit, entre autres, que « le soutien aux parents via le plan des 1000 premiers jours de l'enfant sera adapté aux contextes et enjeux des territoires ultramarins ». Encore heureux !
Faut-il craindre pour les autres politiques publiques ? Ne sont-elles pas adaptées dès lors qu'elles ne figurent pas dans les mesures du Ciom ? Soyons sérieux ! Il est urgent d'évaluer ces CCT. J'en ferai d'ailleurs la demande à la présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Monsieur le ministre, j'évoquerai à présent le régime spécifique d'approvisionnement et l'abondement de 8 millions d'euros de ce dispositif, qui tarde à venir.
Ce dispositif a été mis en place au titre de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui reconnaît la situation structurelle, économique et sociale des régions ultrapériphériques, et vise à compenser les surcoûts. Il n'est en aucun cas destiné à être abondé par les collectivités locales. Un tel choix serait un non-sens et reviendrait, une fois de plus, à réduire la solidarité nationale.
Nos territoires devront-ils également financer les prochaines réévaluations de leurs coefficients géographiques ?
Nos éleveurs et nos agriculteurs ne peuvent plus attendre. Le Gouvernement ne peut plus imposer aux collectivités territoriales des responsabilités qui ne relèvent pas d'elles. Il faut débloquer ces 8 millions d'euros, il y va de l'avenir de nos exploitants. À défaut, si les engagements pris n'étaient pas tenus, ces derniers n'auront d'autres choix que de répercuter les surcoûts sur les consommateurs.
C'est une question d'emplois, de compétitivité face aux produits issus d'une importation très carbonée et, bien sûr, de pouvoir d'achat pour nos familles. Les 4 millions d'euros déjà actés par l'État doivent être complétés par 4 millions d'euros supplémentaires, conformément à l'engagement pris par le Président de La République lors de sa visite à La Réunion au mois d'octobre 2019. L'État a déjà réalisé des économies en n'abondant pas le régime spécifique d'approvisionnement les années précédentes.
Sans ce soutien, la mesure 14 du Ciom prévoyant l'accompagnement des plans de souveraineté alimentaire des territoires ne pourra être considérée comme étant mise en œuvre, contrairement à ce qui est indiqué dans le document qui nous a été transmis.
Monsieur le ministre, vous comprenez pourquoi je vous ai interpellé sur le réflexe outre-mer et pourquoi je vous demande d'y inviter inlassablement vos collègues. Nous craignons qu'une simple circulaire soit insuffisante, face à une histoire collective hexagonale qui nous ignore encore beaucoup, y compris dans les ministères.
Ce réflexe outre-mer est une exigence pour nos populations et nos territoires, qui n'aspirent, comme chaque Français, qu'à l'épanouissement.