Intervention de Marion CANALÈS

Réunion du 13 décembre 2023 à 15h00
Allocation autonomie universelle d'études — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Marion CANALÈSMarion CANALÈS :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu'ils sont jeunes, les étudiants sont-ils condamnés à éprouver nécessairement « l'insoutenable légèreté de l'être » ?

Madame la ministre, vous savez que le sujet est important et je forme le vœu que nous parvenions à vous convaincre que cette proposition du groupe écologiste mérite une attention particulière.

On pourrait inverser l'adage bien connu : si jeunesse pouvait, si vieillesse savait ! En effet, cette proposition de loi concerne les moyens à mobiliser pour accompagner durablement les étudiants. Nous qui sommes désormais éloignés de cette étape de la vie, comment pouvons-nous prendre la mesure de leurs besoins et y répondre ?

La petite enfance, la jeunesse, la dépendance sont des périodes précieuses de l'existence, durant lesquelles les humains sont en situation de grande fragilité.

Fort de ce constat, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait défendu, il y a plusieurs mois, une proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans. Nous rappelions à l'époque que la France était l'un des deux derniers pays de l'OCDE à ne pas ouvrir ses minima sociaux aux jeunes de moins de 25 ans.

Il est aujourd'hui question des étudiants, des forces vivres ; notre groupe soutiendra évidemment sans réserve cette proposition de loi de nos collègues écologistes.

« La gravité d'une question se mesure à la façon dont elle affecte la jeunesse », disait Pierre Mendès France – et non Jean Jaurès. §Or personne ne peut feindre d'ignorer l'aggravation structurelle de la précarité des jeunes, et plus spécifiquement des étudiants : 27 % de ces derniers vivent sous le seuil de pauvreté.

Je ne prendrai qu'un exemple : le logement, qui est le plus puissant vecteur des inégalités et de leur reproduction. Pour la moitié des étudiants, une fois le loyer payé, il ne reste plus qu'entre 50 et 200 euros dans le budget mensuel ; pour un quart des étudiants, cette somme est inférieure à 50 euros.

À ce jour, le logement étudiant ne répond qu'à 7 % des besoins et la promesse de 60 000 logements étudiants reste lointaine : seuls 35 000 sont sortis de terre. Toute la filière sonne l'alerte : le logement étudiant est grippé et cela illustre le défi énorme qui se dresse devant nous.

Notre réponse à l'aggravation de la situation globale de ceux qui sont et qui feront la France de demain est le soutien à la création de cette allocation ou, à tout le moins, à son expérimentation, et ce, quoi qu'il en coûte !

Une telle mesure existe d'ailleurs déjà en France : les étudiants des écoles normales supérieures ou de l'école polytechnique en bénéficient. Cela devrait nous pousser à la réflexion : pourquoi sont-ils les seuls à la percevoir ?

« L'égalité élève en élargissant à tous des droits et des libertés réservés à certains », peut-on lire dans Murmure à la jeunesse. C'est toute la question qui nous occupe. Il ne s'agit pas de dire « il faut que jeunesse se passe », mais bien de faire en sorte que jeunesse se fasse !

Nous devons donner à nos étudiants, universellement, la capacité de se réaliser dans cette étape importante de leur intégration à la communauté nationale, sans subir le poids d'un héritage social, sans porter le fardeau de ne pas être tout à fait au bon endroit, au bon moment, et en en finissant avec le non-recours aux droits.

La vie est parfois injuste et ne récompense pas tous les mérites. Au-delà de ces aléas, les injustices insupportables sont celles qui émanent des inégalités d'accès, notamment à l'éducation ; elles poussent sur les désordres nés d'une solidarité défaillante, ainsi que d'une inéquitable répartition des sacrifices comme des richesses, et elles doivent être combattues sans répit. Or l'addition de mesure-rustines n'apporte pas de réponse à cet objectif et ne fait pas une ambition pour notre jeunesse étudiante.

Le morcellement des aides octroyées, parfois invisibles, car reliées aux déclarations d'impôts des parents, s'apparente, à mon sens, à une forme de paternalisme reproduit à l'infini sur lequel la proposition de loi de nos collègues écologistes nous invite à nous interroger profondément.

La disparition de la demi-part de quotient familial ou encore la réduction d'impôt de l'enfant scolarisé étudiant permettrait de dégager une part du financement, mais cela implique – j'en conviens – un vrai changement de paradigme, auquel nous appelons.

L'aggravation de la précarité des jeunes, plus spécifiquement des étudiants, est une réalité que ceux-ci vivent, eux, dans leur quotidien. Leurs ressources se fondent sur un triptyque qui a déjà été décrit : la famille, en premier lieu, pour 42 %, l'emploi pour 25 % et, enfin, les aides publiques pour le solde.

La solidarité nationale doit prendre le relais de la solidarité familiale, qui s'épuise et qui reproduit les inégalités. Dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les restes à charge sont supportés par les familles des pensionnaires ; est-il souhaitable de perpétuer ce modèle pour les étudiants, alors que nous savons qu'il va droit dans le mur ?

Nous devons repenser la manière de traiter nos aînés ; pourquoi ne pas prendre autant au sérieux la nécessité de repenser également la manière de traiter notre jeunesse ? Allons-nous attendre le sacrifice de toute une génération, et donc de l'avenir de notre pays, pour nous y résoudre ?

La solidarité nationale doit aussi prendre le relais de l'implication dans l'emploi, qui pénalise une certaine catégorie d'étudiants : 40 % d'entre eux sont contraints de travailler pendant leurs études. Or il ne s'agit plus des emplois de pion que notre génération a connus et qui offraient la possibilité de concilier travail et études. La mission sénatoriale de 2021 soulignait déjà le risque de concurrence entre ces deux activités.

Il est important de prendre très au sérieux le temps de la jeunesse, dans une société qui bascule vers le grand âge ; c'est précisément ce que vise cette proposition de loi, que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra.

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