Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que faire de l’Europe dans un monde qui devient chaotique et qui se désoccidentalise ? La Communauté politique européenne, lors de sa dernière réunion, a répondu à cette question par l’un de ses habituels trépieds conceptuels : rendre l’Europe plus prospère, plus résiliente et plus géostratégique. Voilà qui ne saurait nuire, mais, les fâcheux ne se déplaçant pas, les désaccords continuent d’être purgés ailleurs.
Le Conseil européen peut-il accomplir davantage ?
Au chapitre des relations extérieures, tout d’abord, lors du sommet Union européenne-Chine du 7 décembre, Pékin a opposé une fin de non-recevoir aux exigences européennes. Comment s’en étonner ? La politique étrangère de l’Union, en effet, c’est la politique commerciale de la Commission ; or sa présidente cosigne avec le président américain des déclarations qualifiant la Chine de rival stratégique – elle l’est, certes, mais elle n’est pas que cela. Je veux rappeler à cet égard quel était le titre du rapport d’information de notre commission sur la politique étrangère des États-Unis, publié en juillet 2022 : Amis, alliés, mais pas alignés.
Pour ce qui est ensuite des questions de sécurité et de défense, le président de notre commission, Cédric Perrin, lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil, a rappelé l’engouement de nos voisins pour le matériel américain. En 2030, plus de la moitié de la flotte de chasse en Europe devrait être composée d’avions américains ; cela ne devrait-il pas nous inquiéter quant à l’indépendance technologique et stratégique de notre continent ?
J’en viens à l’élargissement de l’Union et à la révision du cadre financier pluriannuel. Même si l’élargissement n’aura pas lieu demain, les deux sujets ne sont pas sans liens.
Le 8 novembre dernier, la Commission a recommandé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec un certain nombre de pays – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État. Vous-même estimiez fin novembre, dans la revue Le Grand Continent, que la question est moins de savoir quand élargir que de savoir comment le faire.
Comment, en effet ? Une étude dévoilée par le Financial Times la veille du dernier sommet chiffrait à 186 milliards d’euros sur sept ans le coût de l’adhésion de la seule Ukraine à l’Union européenne.
À un moment où les Européens ne semblent pas capables de fournir à l’Ukraine les moyens militaires dont elle a besoin pour se défendre, comment ne pas s’interroger sur notre capacité collective à consentir un tel effort financier ?
« En réalité », écriviez-vous d’ailleurs dans le même article, « c’est une révolution européenne que nous préparons », qui « va bouleverser la politique budgétaire de l’Union ». Il me semble que ce sujet devrait occuper une place centrale dans la campagne des élections européennes de l’année prochaine.
Un dernier mot sur l’Ukraine : la situation de l’armée ukrainienne et le soutien des États-Unis paraissent plus incertains que jamais. Sur la table du Conseil ont été mis quelques dizaines de milliards d’euros d’aide civile et militaire supplémentaires. Regardons les choses avec lucidité !
Madame la secrétaire d’État, il est bien naturel que l’Ukraine soit au cœur des préoccupations du Conseil européen, mais la réunion du Conseil sera-t-elle un moment de vérité ? Qui dira clairement que, si nous restons sur des demi-mesures, l’Ukraine sera vraisemblablement battue ? L’Union européenne avait promis de livrer 1 million d’obus : elle en sera très loin. Que veulent les Européens ? Sont-ils prêts à une victoire de la Russie – cela m’étonnerait et j’espère que tel n’est pas le cas ! – et à une consécration du primat de la force sur le droit ? Et comment défendrions-nous, demain, notre flanc Est ?
Madame la secrétaire d’État, pour conclure, comment voyez-vous la situation à l’heure où nous parlons ? Que compte faire la France pour aider l’Ukraine ? L’Europe se ressaisira-t-elle avant qu’il ne soit trop tard ? Nous attendons de vous et du Gouvernement, sur ce sujet si grave, une réponse claire et nette.