Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voici un fait incontestable : dans la grande majorité des cas de séparation impliquant des enfants, la résidence principale de ces derniers est déterminée chez la mère. La résidence alternée ne concerne donc qu'une minorité des cas.
La situation est telle aujourd'hui qu'elle pourrait nous conduire à affirmer la nécessité de poser le recours à la résidence alternée comme principe général, ce qui nous ferait aller dans le sens de la version initiale du présent texte.
Mais nous serions alors passés à côté d'un élément central : dans une proportion plus grande encore, la décision du juge en matière de résidence des enfants correspond à la demande des deux parents.
Nous sommes donc loin de la vision fantasmée et véhiculée par certaines associations selon laquelle les pères seraient les victimes d'un système judiciaire qui les discriminerait : quand les pères demandent la résidence alternée, ils l'obtiennent, dans l'immense majorité des cas.
J'avance ici l'hypothèse que, si l'ensemble des litiges ne concernent évidemment pas un ou des parents violents, lorsque tel est le cas, ils ne seront sans doute pas en accord sur la façon de se séparer.
Notre unique préoccupation doit être l'équilibre, l'intérêt et le bien-être de l'enfant ; cet objectif ne peut être atteint qu'en maintenant son pouvoir d'appréciation au juge, et non pas via un principe général.
Je sais que la plupart de nos voisins européens posent le recours à la garde alternée en cas de séparation des parents comme principe général. Ils considèrent celle-ci comme étant de nature à rééquilibrer le rôle des deux parents auprès des enfants. En Suède, la garde alternée est ainsi ordonnée dans 48 % des cas. Elle l'est dans 37% des cas aux Pays-Bas, contre seulement 12 % en France.
La résidence alternée soulève évidemment des questions matérielles et financières importantes : érigée comme principe général, elle pourrait finalement, et de manière contre-intuitive, conduire à renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes.
Les femmes représentent la majorité des familles monoparentales avec des revenus modestes : la résidence alternée, érigée en principe général, risquerait de les appauvrir, puisqu'elles ne bénéficieraient pas d'une pension alimentaire dans la même mesure. Elle pourrait de même aboutir à ce que l'on néglige la prise en compte des violences conjugales et intrafamiliales.
Si l'objectif est de développer la résidence alternée, il serait plus judicieux d'aider les familles à pouvoir vivre sereinement ce mode de garde, de permettre une réelle égalité économique entre les femmes et les hommes, et d'accompagner les parents vers une meilleure répartition de la charge parentale.
Je le rappelle, quand la résidence alternée est demandée, le juge l'accorde déjà dans la grande majorité des cas. Pourtant, la prépondérance du rôle de la mère dans l'éducation des enfants est encore largement majoritaire, en pratique et dans l'imaginaire collectif. Il reste beaucoup à faire.
C'est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'est interrogé sur l'opportunité et les apports d'une telle proposition de loi, notamment dans sa version initiale.
Le premier article du texte tend à compléter l'article 373-2 du code civil par l'ajout de la notion d'entretien régulier dans les relations personnelles que doit maintenir un père ou une mère avec son enfant.
Cette disposition vise, ni plus ni moins, à aligner la rédaction de la législation française sur celle de la Convention internationale des droits de l'enfant, ce qui ne soulève aucune objection de notre part.
Il en va de même de l'article 3 de la proposition de loi qui prévoit, par la modification de l'article 373-2-11 du code civil, l'exclusion explicite de la résidence alternée en cas de violences exercées par l'un des parents sur l'enfant. Parce qu'elle renforce la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales, cette disposition est plus que bienvenue.
En revanche, la version initiale de l'article 2 soulevait des interrogations. En effet, il s'agissait d'instaurer une présomption d'intérêt de l'enfant à bénéficier équitablement des apports respectifs de ses parents et, par là même, d'ériger le recours à la résidence alternée en principe général.
Pourtant, ni les associations ni les professionnels du droit ne sont aujourd'hui en mesure de se prononcer, de manière unanime, sur les bénéfices de la garde alternée pour l'enfant.
Aussi nous semblait-il pour le moins hasardeux de porter une atteinte si prononcée au pouvoir d'appréciation du juge.
Faute de disposer d'une autre solution, c'est à ce dernier que doit incomber l'évaluation concrète de la situation de l'enfant et le choix du dispositif le plus à même de sécuriser son quotidien.
Tenant compte de cette réalité, la commission des lois a choisi de rejeter la disposition proposée à l'article 2 et de lui substituer une mesure que nous jugeons plus satisfaisante : l'octroi d'un droit de visite et d'hébergement élargi au parent chez qui l'enfant ne réside pas.
Une fois l'article 2 profondément remanié, force est de constater que la présente proposition de loi a été amplement vidée de son contenu : sa portée est aujourd'hui limitée et elle ne devrait nullement modifier substantiellement la législation, ainsi que la pratique en vigueur.
En la matière, notre unique boussole est, et sera toujours, l'intérêt supérieur de l'enfant.
Aussi, bien que ce texte résultant d'une initiative parlementaire ne devrait améliorer que très marginalement le sort de l'enfant, nous estimons que toute avancée doit être saluée. C'est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera en faveur de cette proposition de loi.