Intervention de Élisabeth Doineau

Réunion du 14 décembre 2023 à 15h12
Droits de l'enfant — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Élisabeth Doineau  :

… et qu'elle se déroule dans un esprit d'apaisement et de responsabilité profitable à l'enfant.

Je tiens à le rappeler en préambule, la seule boussole qui m'a guidée au cours de la rédaction de cette proposition de loi est l'intérêt supérieur de l'enfant.

L'article 9, alinéa 3, de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), ratifiée le 7 août 1990 par la France, reconnaît « le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

Cette disposition a été reprise quasiment à l'identique dans la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, et figure désormais à l'article 373-2, alinéa 2, du code civil.

Cette même loi a introduit la résidence alternée dans le code civil. Ce mode de résidence est l'application concrète du principe de coparentalité.

En dépit de la volonté du législateur de favoriser son recours, la résidence alternée s'est peu développée en France : selon l'Insee, seuls 12 % des enfants de parents séparés se trouvent en résidence alternée. Selon une méthodologie statistique différente, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) fait état d'une progression de 12 points entre 2012 et 2022 : 29 % des enfants seraient désormais concernés par ce mode de garde.

Quoi qu'il en soit, la fixation d'une résidence alternée est de plus en plus reconnue par les juges comme bénéfique à l'enfant en cas de séparation de ses parents.

Selon la cour d'appel de Versailles, « l'alternance est un système simple, prévisible qui permet aux enfants comme aux parents de se projeter dans l'avenir et de construire des projets fiables. Elle permet aux enfants de prendre appui de façon équilibrée sur chacun des parents et de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs de nature différente, mais complémentaires ».

La cour d'appel de Paris en a conclu que l'instauration d'une résidence en alternance offre le meilleur cadre à la mise en œuvre de l'article 9, alinéa 3, de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 373-2, alinéa 2, du code civil, aux termes duquel chacun des parents « doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent ».

La Belgique accorde la priorité à la garde et à la résidence alternée depuis 2006 ; la Suisse s'apprête également à le faire.

En France, la coparentalité et la médiation – à laquelle on recourt de plus en plus – sont des notions qui contribuent déjà à l'évolution des mentalités.

Cependant, une réelle inégalité persiste entre les deux parents. Il nous faut la corriger, tout en ayant pour seule ambition l'intérêt et les besoins de l'enfant.

Selon Christine Castelain Meunier, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « cette nécessaire évolution s'inscrit dans une société marquée par des changements profonds quant à la place et au rôle de chacun des parents, et à l'importance de la négociation pour l'assumer. »

Faisons le pari qu'en clarifiant les règles applicables et en réduisant ainsi l'aléa judiciaire, la loi contribuera à « déjudiciariser » le contentieux familial et à désencombrer les tribunaux.

J'en viens aux dispositions de la proposition de loi telle que je l'avais présentée.

L'article 1er prévoyait d'aligner la rédaction de l'article 373-2 du code civil sur celle de l'article 9, alinéa 3, de la Convention internationale des droits de l'enfant. Le code civil disposerait désormais que chacun des parents « doit maintenir et entretenir régulièrement – c'est cet adverbe qui serait ajouté – des relations personnelles avec l'enfant ».

L'article 2 visait à encourager le recours à un temps de présence parentale aussi équilibrée que possible. Il s'agissait non pas d'imposer au juge une solution unique – et je ne peux qu'insister sur ce point, car cela m'a été reproché –, alors que les situations familiales peuvent être diverses, mais de faire en sorte qu'en France, conformément à la jurisprudence précitée, tous les juges aux affaires familiales (JAF) examinent préalablement et prioritairement une organisation aussi équilibrée que possible lorsque l'un des parents le demande.

Cette priorité se traduisait par la création, comme en Belgique, d'un régime de présomption légale, qui pouvait naturellement, au regard des pièces du dossier, être renversée par le juge s'il était démontré par l'un des parents que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait de fixer la résidence de l'enfant au domicile de l'un d'eux. Ce renversement de la charge de la preuve permettait d'unifier la jurisprudence et de se conformer à la volonté du législateur exprimée en 2012.

Naturellement, le texte n'entend en aucun cas privilégier un temps parental équilibré lorsque des violences intrafamiliales sont établies, notamment quand l'un des parents exerce sur l'autre des pressions ou des violences à caractère physique ou psychologique.

Étonnamment, l'article 373-2-11 du code civil ne prévoit aucun critère ayant trait à des pressions ou des violences sur la personne de l'enfant, lorsque le juge se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

L'article 3 y remédiait, en excluant explicitement le prononcé par le juge d'un temps parental équilibré en cas de comportement violent d'un parent, que cette violence s'exerce sur l'autre parent par le biais d'une instrumentalisation de l'enfant, ou sur celui-ci.

J'ai eu de nombreux échanges avec Mme la rapporteure et j'ai bien vu qu'elle tenait à respecter l'ambition que j'affichais au travers de cette proposition de loi. C'est pourquoi j'ai accepté les modifications qui ont été apportées à mon texte.

Je retiens des travaux de la commission des lois que cette dernière a jugé que les articles 1er et 3 étaient bienvenus.

Si elle a quelque peu circonscrit la portée du texte, en réécrivant l'article 2 relatif à la présomption légale, je souhaite néanmoins que la présente proposition de loi permette à la coparentalité de franchir une nouvelle étape – voilà le plus important ! –, en prévoyant un dispositif équilibré et juste, dénué d'esprit polémique et tenant compte des précédents débats sur le sujet.

Cette évolution accompagne, me semble-t-il, les changements de notre société. Certes, il faut faire preuve de prudence et de justesse, mais j'atteste de la nécessaire rigueur du travail réalisé par la commission, et notamment par Mme la rapporteure.

Je l'ai dit en préambule, gageons que les débats parlementaires sauront offrir un cadre de discussion serein et dépassionné, dans un esprit d'apaisement et de responsabilité profitable à l'enfant. Il y va de son intérêt comme de celui de la société tout entière. §

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