Intervention de Philippe Paul

Réunion du 11 décembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Défense

Photo de Philippe PaulPhilippe Paul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers du projet de loi de finances pour 2024, c’est la première brique de la nouvelle LPM que nous nous apprêtons à poser.

Certes, avec une augmentation de 3, 3 milliards d’euros, la progression des crédits reste en deçà du rythme que nous avions préconisé pour favoriser la remontée en puissance de notre outil militaire. Cette hausse est néanmoins plus rapide que celle qui était initialement proposée par le Gouvernement ; en tout état de cause, elle est conforme à la programmation que nous avons approuvée.

L’année prochaine, nos armées pourront donc compter sur une enveloppe de 47, 2 milliards d’euros. La somme est importante, mais elle ne sera en rien superflue au regard des défis stratégiques auxquels notre pays doit dorénavant faire face.

Avec la poursuite de l’agression russe en Ukraine, le premier de ces défis est bien sûr le retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen. D’ailleurs, c’est cette profonde rupture dans l’architecture européenne de sécurité qui a conduit le Président de la République à écourter la précédente programmation militaire.

Les menaces viennent ensuite des foyers de conflits qui naissent ou se rallument dans tout le voisinage de l’Europe : en Afrique, où la poussée djihadiste s’accélère au Sahel et pointe désormais en direction du golfe de Guinée ; au Proche-Orient, que la guerre entre le Hamas et Israël risque à chaque instant d’embraser ; ou encore dans le Caucase, où les visées panturques, après avoir fait disparaître le Haut-Karabakh, menacent aujourd’hui l’Arménie.

Plus éloigné de l’Hexagone, mais tout aussi vital pour nos intérêts, l’Indo-Pacifique est le théâtre d’une compétition stratégique attisée par la politique de puissance menée par Pékin, notamment en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan.

Dans le monde entier, les ambitions s’affirment et le recours à la force se banalise. Les cadres multilatéraux se délitent et une dangereuse dynamique de blocs antagonistes se dessine.

En parallèle, les menaces se diversifient. Elles prennent des formes hybrides, empruntent de nouvelles voies technologiques et gagnent de nouveaux champs, qu’ils soient sous-marins, spatiaux, cyber ou informationnels.

Ce sombre inventaire exige des forces armées étoffées, suffisamment équipées et suffisamment préparées. Après trente ans d’hémorragie budgétaire, reconnaissons que la pente à remonter est particulièrement abrupte et que, si l’effort de réparation de nos armées entrepris en 2019 est salutaire, il est encore loin d’être achevé. Il se poursuivra donc au travers de la nouvelle LPM.

Nous le savons : malgré ses 400 milliards d’euros de crédits budgétaires, cette programmation ne permettra pas de répondre à tous les enjeux.

Nous ne referons pas aujourd’hui le débat qui nous a occupés il y a seulement quelques mois. J’observe néanmoins que le budget pour 2024 présente quelques-uns des angles morts que nous avions alors identifiés. En résultent un certain nombre de points de vigilance, qui sont finalement tous reliés d’une manière ou d’une autre au premier défi que j’évoquais à l’instant : réussir le « pivot vers la haute intensité ».

En premier lieu, nos inquiétudes portent sur le volume des armements mis à la disposition de nos forces. En effet, la chronique des commandes et des livraisons retracée dans ce PLF s’inscrit dans le cadre des objectifs capacitaires tracé par la LPM. À cette occasion, le Gouvernement avait fait le choix de privilégier la notion de cohérence à celle de masse.

Bien sûr, cette approche n’est pas sans vertu, mais elle a entraîné le décalage de nombreuses cibles d’équipements. En parallèle, certaines ventes à l’export ou certaines cessions consenties au bénéfice de l’Ukraine ont été prélevées directement sur les dotations de nos armées et ne seront pas recomplétées à très court terme.

Aussi, dans les années à venir, des interrogations subsisteront quant à la capacité réelle des armées françaises à durer, y compris dans le cadre d’une coalition, face aux exigences d’un conflit de haute intensité ; d’autant que, si les matériels demeurent en nombre insuffisant, c’est en bout de chaîne la capacité de nos militaires à renforcer leur entraînement qui se trouve obérée. Il s’agit pourtant, au même titre que la disponibilité opérationnelle des équipements, d’un élément fondamental pour faire face à l’hypothèse d’un engagement majeur.

Monsieur le ministre, il n’est donc pas acceptable que les indicateurs en la matière soient désormais quasiment inaccessibles. Quelles que soient les fonctions qu’ils assument, les parlementaires doivent pouvoir exercer leur mission de contrôle de la politique de défense et de la dépense publique. Il s’agit là d’un problème démocratique majeur sur lequel il faudra revenir.

Autre élément central de la préparation à la haute intensité, le concept d’économie de guerre nous semble rester, pour l’heure, bien virtuel.

Certes, nombre d’industriels ont joué le jeu de la « mise en tension » voulue par l’Élysée et se sont organisés pour accélérer leur cadence de production ; certes, des crédits sont dégagés, notamment pour reconstituer nos stocks de munitions et de missiles, devenus dramatiquement bas ; mais, sur ce sujet, les informations qui nous parviennent ne sont guère rassurantes. La capacité de production nationale semble ainsi engluée à des niveaux qui ne nous permettront pas de disposer rapidement de réserves adaptées au nouveau contexte géopolitique ; niveaux qui ne nous permettent pas non plus d’appuyer nos amis ukrainiens aussi vite qu’il le faudrait et autant que certains de nos partenaires européens.

Nous l’observons en creux : à défaut d’augmenter massivement le volume de la commande publique, il nous faut encore améliorer l’accompagnement de notre tissu industriel.

En ce sens, certains obstacles doivent être levés.

Je pense aux empilements de normes et de procédures, qui entraînent des délais et des surcoûts inutiles. Lors de l’élaboration de la LPM, un « choc de simplification » avait été promis. Où en est cette démarche ?

Je pense également au problème récurrent des entreprises de la défense, notamment des plus petites, pour se financer. Si la mobilisation d’une partie de l’épargne populaire est une piste à concrétiser au plus vite, il paraît également essentiel de déployer les outils nécessaires pour fluidifier le crédit bancaire.

À ce titre, un important travail reste à mener pour que les taxonomies européennes, les écolabels et autres instruments de responsabilité des entreprises prennent mieux en compte les spécificités de la BITD et l’importance vitale de son activité. Or, pour l’heure, ces instruments brident toujours les circuits d’investissement et – il faut bien le dire – ressemblent parfois à une mise à l’index pure et simple des entreprises du secteur de la défense. Face à la nature des enjeux stratégiques actuels, il faut faire évoluer cette approche, et le faire vite.

Je pense, enfin, aux difficultés rencontrées dans le cadre des programmes communs d’armement, menés en particulier avec nos partenaires allemands. Naturellement, ces coopérations sont essentielles : si nous devons cheminer seuls chaque fois que notre souveraineté l’impose, nous n’avons d’autre choix que d’avancer ensemble partout où c’est possible.

Malgré certaines avancées récentes, la conduite de ces programmes nous inquiète. La mise en œuvre du Scaf ou du MGCS est sans cesse repoussée, si bien que d’inconcevables trous capacitaires qui se profilent. Or le moment où nous ne pourrons plus faire autrement que de tirer les conséquences des désaccords approche dangereusement ; et si nous ne souhaitons évidemment pas l’échec de ces projets, l’intérêt national commande de se préparer dès à présent à cette éventualité.

Enfin, je souhaite évoquer la question fondamentale des effectifs ; nos armées, ce sont d’abord et avant tout les hommes et les femmes qui les composent.

Nous leur demandons – ce n’est pas rien – d’avoir le courage d’être prêts à combattre et à consentir au sacrifice ultime, mais aussi la force d’accepter au quotidien des sujétions particulièrement lourdes.

Au vu des données contenues dans le PLF, un constat s’impose : malgré les dispositifs adoptés ces dernières années, la bataille de l’attractivité est encore devant nous. En effet, la précédente LPM prévoyait 1 500 ETP supplémentaires pour 2024. Dans le cadre de la LPM actuelle, cette prévision n’est plus que de 700 postes ; et le texte que nous examinons aujourd’hui ne vise finalement plus que 456 recrutements.

Au surplus, le schéma d’emploi du ministère est en baisse depuis trois ans. Cela signifie que les entrées sont désormais moins nombreuses que les sorties. La situation est donc extrêmement préoccupante. Par extrapolation, elle suscite des interrogations sur la réalisation des objectifs relatifs aux effectifs de la réserve, dont le Gouvernement a souhaité le doublement, afin de dépasser l’effectif de 100 000 en 2035.

Sans doute les difficultés de recrutement initial et de fidélisation tiennent-elles à des éléments complexes à maîtriser, qui relèvent de l’évolution générale de notre société ou du marché de l’emploi.

Néanmoins, les axes de travail sur lesquels les armées sont d’ores et déjà engagées doivent être approfondis.

Réexamen des grilles indiciaires, gestion des carrières, actions sur le logement et les conditions de vie des militaires et de leur famille, développement des écoles militaires ou encore actions de communication : tout doit être mis en œuvre pour que le métier des armes redevienne attractif. Il faut également que nos armées puissent de nouveau développer la première de leurs ressources : l’humain.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, et parce qu’ils sont conformes à la loi de programmation militaire que nous avons votée avant la fin de la session dernière, le groupe Les Républicains votera en faveur des crédits de la mission « Défense ».

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