Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 13 décembre 2023 à 15h00
Réemploi des véhicules — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain de la clôture de la COP28, alors que l’inflation exacerbe les inégalités sociales et la précarité de nombreux Français, il est temps de prendre des mesures concrètes, ancrées dans nos territoires et à la fois sociales et écologiques.

Favoriser le réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires, tel est l’objet de la proposition de loi de notre ancien collègue Joël Labbé – je le salue ! –, que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soumet aujourd’hui au débat.

C’est au plus près du terrain, en allant à la rencontre de nos concitoyens et concitoyennes, qu’une telle idée a émergé. En discutant avec son garagiste, notre ancien collègue Joël Labbé s’est trouvé face à un double constat contradictoire.

D’une part, de nombreux véhicules encore en état de rouler sont envoyés à la casse, dans le cadre de la prime à la conversion, ce qui constitue une véritable aberration écologique.

D’autre part, les garages solidaires peinent à trouver des véhicules en bon état et respectant les normes de pollution, malgré une demande élevée. Certains de ces garages ont même mis la clé sous la porte, faute de véhicules disponibles, comme celui d’Échirolles, dans mon département de l’Isère.

Nous en sommes tous témoins : avoir un véhicule devient de plus en plus cher, voire totalement hors de prix. Ainsi, le prix moyen d’une voiture neuve a bondi de 21 % en deux ans et dépasse désormais les 35 000 euros.

Bien sûr, il y a les véhicules d’occasion, mais, là encore, les prix s’envolent. Une Renault Clio, le modèle d’occasion le plus coté, coûte désormais en moyenne 14 400 euros ; elle a augmenté de 13 % en un an.

En y ajoutant le coût des carburants et des assurances, avoir un véhicule devient donc hors de portée pour de nombreux ménages. D’après le baromètre des mobilités du quotidien de l’association Wimoov et de la Fondation pour la nature et l’homme, 13, 3 millions de Français sont en situation de précarité en matière de mobilité. Autrement dit, ils n’ont peu ou pas accès à un véhicule ou à des transports collectifs.

Sans surprise, les personnes les plus modestes sont les plus touchées. Bien sûr, en tant qu’écologistes, nous n’apprécions pas la civilisation de la voiture ni l’isolement, la pollution et l’étalement urbain qu’elle suscite.

Comme l’a dit André Gorz, « le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont comme les châteaux et les villas sur la Côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple. »

C’est pourquoi nous plaidons sans relâche pour un autre aménagement du territoire, qui permettrait de réduire les déplacements contraints, d’améliorer des transports collectifs et de favoriser l’autopartage, ainsi que de meilleures infrastructures pour le vélo et d’autres modes de transport. Je pense ici au travail de mon collègue Jacques Fernique, rapporteur de cette proposition de loi.

Néanmoins, contrairement au portrait que certains voudraient peindre, nous sommes lucides. Nous savons que des millions de Françaises et de Français, en particulier en milieu rural, ont cruellement besoin d’une voiture, car les solutions de substitution y sont rares. C’est justement le paradoxe de la voiture, qu’a évoqué André Gorz : « Les gens, finalement, ne peuvent circuler à l’aise que parce qu’ils sont loin de tout. »

En attendant de transformer l’aménagement de nos territoires, nous devons offrir des solutions.

Or, en milieu rural, ne pas avoir de voiture signifie souvent ne pas pouvoir accéder aux services publics, aux commerces, à la vie sociale, à l’emploi. C’est tout simplement être assigné à résidence.

Ainsi, 28 % des demandeurs d’emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi ces cinq dernières années, faute de moyens de transport.

Alors que nous évoquons souvent dans cet hémicycle les fameux « emplois en tension », que les chômeurs ne voudraient pas occuper, je vous invite, mes chers collègues, à réfléchir aux barrières qui empêchent de nombreux demandeurs d’emploi d’accepter les propositions des employeurs. L’absence de mobilité est l’une d’elles !

Pour illustrer mon propos, je citerai l’exemple de Simone, qui vit dans la région de Saint-Nazaire.

Habitant à l’extérieur de la ville, Simone n’a pas de transport en commun qui coïncide avec ses horaires de travail, quelques heures de ménage à Auchan. Elle doit, en outre, s’occuper d’un enfant diabétique et l’emmener régulièrement à l’hôpital de Saint-Nazaire, situé à 60 kilomètres de la ville. Surendettée et seule, elle ne peut compter que sur elle-même et elle a un besoin crucial de son véhicule.

Sa Clio 1999 est usée. Elle affiche plus de 350 000 kilomètres et son contrôle technique est dépassé d’un an. Mais Simone n’a pas les moyens d’entretenir sa voiture, qui est donc de plus en plus dangereuse. Les freins, les pneus, les suspensions sont dans un sale état. Pendant une visite dans un garage solidaire, le démarreur manque de prendre feu. Heureusement, elle a pu bénéficier d’une location d’un véhicule en bon état pour 30 euros par mois.

Des cas comme celui de Simone, notre pays en compte des centaines de milliers.

Bien souvent, les victimes de cet aménagement du territoire incohérent et de l’étalement urbain sans limite sont des femmes seules habitant en zone rurale. N’importe quel garage solidaire pourrait en témoigner !

Ces garages solidaires sont justement le dernier recours pour celles et ceux qui n’arrivent plus à acheter ou à entretenir leurs véhicules, faute de moyens. Ces 150 structures réparties dans tous les territoires permettent aux plus précaires de rouler, en leur louant ou en préparant des véhicules à des prix abordables. Mais ils sont débordés face à la demande. Alors que le prix des véhicules d’occasion s’envole, l’offre n’arrive plus à suivre la demande.

Il existe pourtant un vaste vivier de véhicules, ni trop anciens, ni trop polluants, tout à fait en état de rouler encore quelques années, moyennant parfois quelques petites réparations. Ce vivier, c’est la prime à la conversion.

Notre proposition de loi vise à récupérer, parmi ces véhicules, ceux qui fonctionnent à l’essence et sont classés Crit’Air 3 ou mieux. Au total, cela représente environ 16 000 véhicules par an. Pour les garages solidaires et pour les bénéficiaires, c’est une aide décisive.

Outre son intérêt social, cette mesure est aussi et évidemment écologique.

Je le sais, certains s’interrogent, voire ironisent, sur le fait que des écologistes souhaitent mettre à disposition des vieilles voitures à destination des plus pauvres.

Toutefois, regardons la réalité en face : chez les 10 % des Français les plus précaires, un véhicule sur cinq est âgé de plus de 27 ans et se trouve donc classé Crit’Air 5 ou plus. En mettant à la disposition de ces ménages des voitures plus récentes et moins polluantes, ce sont en réalité les vieux véhicules très polluants que nous sortirons de la circulation.

Le gain environnemental est d’autant plus grand que cette mesure suit une logique d’économie circulaire. La destruction des véhicules existants et la construction de nouveaux modèles émettent bien plus de gaz à effet de serre que le réemploi de véhicules peu polluants pour deux à quatre ans. S’ajoute à cela le fait que les véhicules neufs sont souvent importés de pays lointains. L’atout environnemental de cette proposition de loi est donc indéniable.

Je sais que certains préféreraient que les véhicules à destination des plus précaires soient électriques, soit au titre du leasing social promis par le Gouvernement, soit dans le cadre du rétrofit de véhicules anciens. Je tiens à les rassurer : notre proposition de loi est complémentaire de ces approches.

Le leasing, qui consiste à louer une voiture électrique pour 100 à 150 euros par mois dans le cadre d’un engagement sur plusieurs années, répond aux demandes. Cependant, d’autres personnes ont besoin de solutions moins coûteuses, sans engagement, mais avec un accompagnement social : c’est bien ce que les garages solidaires garantissent.

Quant au rétrofit, qui est évoqué à l’article 2 de notre proposition de loi, il permet d’envisager le changement de motorisation des véhicules concernés.

Le rétrofit est une piste prometteuse, dès lors qu’il assure une seconde vie à des véhicules encore en bon état, mais il ne constitue qu’une solution parmi d’autres pour constituer une flotte de véhicules partagés et décarbonés.

Nous sommes ouverts à toutes ces approches, car la mobilité requiert une pluralité de solutions. C’est d’ailleurs pour cette raison que, au travers du présent texte, nous faisons confiance à l’intelligence et à l’expérimentation des territoires.

Par exemple, nous pourrions imaginer l’autopartage des véhicules dans des communes rurales, pour répondre aux besoins ponctuels des petits rouleurs ; il s’agit là d’un moyen de changer l’appropriation de la voiture, en passant de la propriété à l’usage.

Pour toutes ces raisons, tant environnementales que sociales, je vous invite à voter cette proposition de loi.

Je fais confiance au bon sens, que nous sommes nombreux à partager sur ces travées, car il a déjà permis de faire adopter cette mesure durant l’examen de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, lorsque notre ancien collègue Joël Labbé avait présenté la « Labbémobile », par voie d’amendement.

Je tiens d’ailleurs à remercier M. Labbé de son travail, et même de l’ensemble de son œuvre

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