Intervention de Anne SOUYRIS

Réunion du 13 décembre 2023 à 15h00
Allocation autonomie universelle d'études — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Anne SOUYRISAnne SOUYRIS :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, accorder une rémunération aux étudiantes et aux étudiants durant leurs études, voilà la mesure que défendit le chrétien-démocrate Raymond Cayol devant l’Assemblée nationale en 1947 au nom « de la valeur personnelle de l’étudiant, de sa qualité présente [et] du travail qu’il poursuit ».

Soixante-seize ans plus tard, c’est dans cette filiation que s’inscrit notre collègue Monique de Marco au travers de cette proposition de loi. Celle-ci répond à un constat partagé par l’ensemble des acteurs du monde de l’enseignement supérieur : le système de bourses sur critères sociaux, qui a été préféré au salaire étudiant en 1955, est à bout de souffle. En effet, il ne parvient plus à répondre ni au poids des inégalités sociales dans l’enseignement supérieur ni à l’accélération de la précarisation des étudiants et des apprentis.

La question de la précarité étudiante et des apprentis a connu une forte visibilité lors des périodes de confinement. Privés de la possibilité d’exercer un emploi rémunéré en parallèle de leurs études, de nombreux étudiants ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Pour répondre à cette détresse, l’aide alimentaire s’est renouvelée en multipliant les épiceries solidaires, moins stigmatisantes, et en se rapprochant des lieux d’études.

Pourtant, les statistiques dont nous disposons semblent indiquer que la crise sanitaire tout comme l’inflation des prix des denrées alimentaires ont révélé la précarité plutôt qu’elles ne l’ont créée. Ainsi, en 2020, déjà 24 % des étudiants et des étudiantes déclaraient rencontrer des difficultés financières importantes, contre 29 % à l’heure actuelle selon l’Observatoire de la vie étudiante.

La rentrée 2023 a de surcroît vu la crise du logement frapper les étudiants et les apprentis en s’étendant aux petites surfaces locatives de villes jusqu’alors épargnées, telles qu’Angers, Rennes ou Niort.

Derrière cette précarité matérielle, les professionnels de la santé que nous avons entendus insistent également sur les risques psychologiques liés à l’exclusion et à l’isolement social. La saturation du dispositif de soutien Santé psy étudiant dans de nombreuses universités ainsi que la hausse inquiétante de tentatives de suicide chez les jeunes depuis la fin de la crise sanitaire de la covid-19 témoignent de cette réalité.

Les inégalités socio-économiques accentuent ces défis, affectant particulièrement les étudiants issus de milieux défavorisés. C’est pourquoi le système de bourses de l’enseignement supérieur accorde une aide complémentaire aux familles d’étudiants confrontés à des difficultés matérielles qui ne leur permettent pas d’entreprendre ou de poursuivre des études supérieures.

Bénéficiant à plus de 780 000 étudiants par an, pour un budget de 2, 6 milliards d’euros, ces bourses s’échelonnent de 1 450 euros à 6 300 euros annuels selon les ressources de la famille. Leur gestion est confiée aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui proposent aussi une offre de restauration à tarif modéré à destination des étudiants – celle-ci a été récemment adaptée aux zones rurales grâce à la loi visant à favoriser l’accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, dite loi Levi, qui était d’initiative sénatoriale – et des places d’hébergement universitaire.

Pour autant, le système de bourses fait l’objet de critiques unanimes et croissantes au sein même de l’administration du fait de sa complexité et de son incapacité à répondre à la précarisation, notamment celle d’une partie des enfants de la classe moyenne. Le fonctionnement par échelons, les effets de seuils qu’il a longtemps provoqués tout comme l’important taux de non-recours sont souvent soulignés. Avant toute chose, la revalorisation annuelle paraît largement insuffisante pour couvrir les besoins les plus sommaires des étudiants.

Les syndicats étudiants entendus, y compris les plus modérés, insistent également sur la méconnaissance de l’idée d’autonomie à laquelle conduit ce système. Quel message envoyons-nous à notre jeunesse, en définissant l’éligibilité d’un étudiant à une bourse par rapport aux revenus de ses parents jusqu’à ses 25 ans ? Cela est d’autant plus étonnant que l’intéressé peut être en rupture avec sa famille, travailler pour subvenir seul à ses besoins, voire être l’aidant de ses ascendants.

La proposition de loi a donc pour objet de répondre à l’impasse à laquelle est confronté le système des bourses, en lui substituant une allocation autonomie universelle d’études. Certes, cette solution peut, de prime abord, sembler radicale, mais elle est soutenue par des économistes, des présidents d’université et des intellectuels peu susceptibles de complaisance pour le grand soir !

Une telle allocation fait par ailleurs l’objet, dans des termes comparables, d’un consensus transpartisan depuis des décennies dans des pays tels que le Danemark ou la Suède, qui y voient d’abord une manière de responsabiliser les étudiants et les apprentis et de récompenser leur assiduité.

L’article unique de la proposition de loi crée une allocation universelle au bénéfice de l’ensemble, d’une part, des étudiants du supérieur de 18 à 25 ans, d’autre part, des élèves de la formation professionnelle. Cette allocation est fixée au niveau du montant net du salaire minimum pour un apprenti de plus de 21 ans en dernière année d’apprentissage, soit 1 078 euros par mois en 2023.

Ce montant, qui peut paraître important, est à mettre en perspective, d’une part, avec les ressources moyennes cumulées d’un étudiant en France, qui sont de 1 128 euros net par mois, d’autre part, avec le fait que cette allocation universelle se substituerait intégralement aux aides non servies par les Crous dans le droit existant. Il s’agit notamment des aides personnalisées au logement et des avantages fiscaux consentis aux foyers de rattachement des étudiants sous forme de crédit d’impôt et de demi-part fiscale, dont le coût total avoisine les 6 milliards d’euros par an.

Par ailleurs, cette allocation n’est pas dénuée de conditions. En plus d’être inscrits dans un établissement éligible à la perception d’une bourse, l’étudiant comme l’apprenti doivent faire preuve d’assiduité, être autonomes financièrement et ne pas cumuler une situation d’emploi. Ces conditions permettent ainsi que les concernés se consacrent pleinement à leur réussite académique ; à défaut, l’allocation leur serait suspendue.

En revanche, les services des Crous, notamment la restauration universitaire et le logement, seraient maintenus pour les étudiants titulaires de l’allocation, de même que les aides spécifiques proposées par les collectivités territoriales.

Une telle aide universelle semble emporter de nombreux avantages.

Premièrement, l’universalité répond à la problématique de non-recours aux droits, qui conduit trop souvent à des abandons d’études faute de connaissance du système de bourses.

Deuxièmement, les statistiques dont dispose l’administration semblent indiquer que de nombreux étudiants et apprentis sont dans une situation précaire sans pour autant être éligibles aux bourses sur critères sociaux, principalement dans la classe moyenne, lorsque les études sont faites loin du foyer parental.

Troisièmement, un système universel permettrait d’encourager l’émancipation des étudiants, en considérant leurs besoins indépendamment de la situation matérielle de leurs parents. Plus largement, un parallèle peut être esquissé avec d’autres âges de la vie – ma collègue Monique de Marco l’indiquait – pour lesquels la prise en charge par la collectivité ne pose plus question. Pour quelle raison la jeunesse, période de vulnérabilité accrue s’il en est, est-elle renvoyée aux seules solidarités familiales ?

Reste la question du coût, non négligeable, puisque les auditions ont permis d’estimer qu’un investissement annuel de 25 milliards d’euros serait nécessaire. Cependant, compensé en partie par la demi-part fiscale et par l’arrêt d’autres prestations telles que les APL, ce coût est aussi à appréhender comme un investissement en capital humain. Il doit permettre de former les travailleurs nécessaires pour relever les défis auxquels nous sommes collectivement confrontés dans les domaines de l’industrie, de la transition environnementale, de la santé ou du numérique par exemple.

Certains rétorqueront qu’une aide universelle n’est pas redistributive, mais les travaux d’économistes qui font référence soulignent que l’universalité peut, au contraire, selon le mode de financement retenu, être une source de redistribution et même de réduction des inégalités sociales, bien mieux que les bourses, car n’oubliant personne.

La proposition de loi est prometteuse et nécessite certainement un débat nourri pour préciser certains éléments. Les auditions ont notamment permis de souligner l’intérêt qu’il y aurait à remplacer la condition d’âge par un quota de mois d’allocation afin de responsabiliser les étudiants et les apprentis et de leur donner la possibilité de construire des parcours plus proches du monde de l’entreprise avec de nombreux stages.

Le niveau de l’allocation pourrait également être discuté et donner lieu à une modulation selon la situation de l’étudiant au regard de la cohabitation ou non avec ses parents.

Par ailleurs, un tempérament pourrait être introduit concernant le non-cumul avec un travail salarié afin de permettre des activités de tutorat ou des expériences professionnelles dans une limite raisonnable à définir.

Enfin, une adaptation territoriale pourrait être introduite afin de répondre à la diversité des conditions de vie suivant les localités, notamment pour les outre-mer. De telles évolutions feraient honneur au travail parlementaire et permettraient d’adapter l’allocation proposée aux réalités que nous rencontrons dans nos territoires.

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