Je parlerai au nom de Mme Boumediene-Thiery, qui ne peut être parmi nous ce matin.
Le paragraphe 1° de l'article 28 du projet de loi entraîne, pour certaines catégories de personnes et dans certains lieux, une aggravation inacceptable des peines liées à l'usage de stupéfiants. Il est en effet prévu que, si l'infraction d'usage illicite de substances ou de plantes classées stupéfiants est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, les peines, qui sont actuellement de un an de prison et 3 750 euros d'amende, sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Dans le cas où cette même infraction est commise par les personnels d'une entreprise de transport public, une peine complémentaire prévoyant l'interdiction définitive d'exercer une profession ayant trait au transport public de voyageurs peut être prononcée.
Nous remarquons tout d'abord que ces dispositions concernent uniquement les usagers de drogues illicites, et en aucun cas ceux de la première des drogues licites, l'alcool. Elles sont proprement inacceptables et contreproductives.
Elles sont inacceptables, car nous sommes censés traiter ici de prévention. Or, encore une fois, vous vous bornez à présenter des propositions essentiellement répressives et vous dégainez l'arme privilégiée de votre arsenal : l'aggravation des peines.
En quoi le fait de placer une personne, pendant cinq ans, dans ces lieux indignes pour la République que sont les prisons françaises contribuera-t-il à prévenir la délinquance ? En rien !
Dans la majorité des cas, vous allez au contraire placer un simple usager d'ecstasy, de cocaïne ou de cannabis dans une situation criminogène, car, loin d'être privé de drogues - celles-ci, rappelons-le, ne sont pas absentes des prisons -, il apprendra mille et une manières d'acquérir, de transformer et de vendre ces produits.
Un pallier supplémentaire est franchi dans l'inacceptable avec cette peine complémentaire d'interdiction définitive d'exercer une profession ayant trait au transport public de voyageurs.
Pourquoi prendre une telle mesure ? De quel droit ? Quel est le but recherché lorsqu'une personne emprisonnée pendant cinq ans et condamnée à payer une amende pouvant atteindre 75 000 euros se voit, en plus, interdire définitivement d'exercer le travail pour lequel elle a été formée ? Une telle mesure, dont l'effet dissuasif est nul pour tous les types de crimes, sera encore plus inefficace dans le contexte de la pathologie dont souffrent les usagers de drogues.
Pis, cette mesure constitue une autre sorte de double peine. En effet, cette personne, condamnée pénalement, l'est aussi socialement et économiquement, puisqu'elle ne peut plus exercer son métier. Que devra-t-elle faire ? L'incitez-vous à devenir dealer pour gagner sa vie et faire vivre sa famille ?
Monsieur le ministre, ces dispositions sont contraires au principe d'égalité. En effet, pourquoi viser uniquement les usagers de drogues illicites ?
Vous me répondrez que ces personnes sont responsables de la vie d'autrui. Certes, mais, dans ce cas, pourquoi ne pas étendre ces dispositions aux chirurgiens qui nous opèrent, aux architectes qui bâtissent nos maisons, voire aux ministres qui nous gouvernent ?
Les Verts ne peuvent tolérer une telle rupture d'égalité. Si le Conseil constitutionnel n'invalide pas votre projet de loi pour inconstitutionnalité, nous sommes prêts à porter le débat au niveau européen.
Mais cet article comporte d'autres dispositions liberticides. Ainsi, le paragraphe 3° tend à autoriser les officiers de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République valables pendant un mois, à « entrer dans les lieux où s'exerce le transport public de voyageurs, terrestre, maritime ou aérien, ainsi que dans leurs annexes et dépendances » en vue, notamment, de « procéder auprès de ces personnes, s'il existe à leur encontre une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont fait usage de stupéfiants, à des épreuves de dépistage en vue d'établir la commission du délit recherché. »
Nous sommes ici dans l'incertitude et le flou absolus, ce qui laisse la porte ouverte à l'arbitraire.
Qu'entendez-vous donc par « raisons plausibles de soupçonner » ? Comment cela s'apprécie-t-il ?
Par ailleurs, cette disposition, qui figurait déjà dans les versions antérieures du présent projet de loi, risque de se situer hors du cadre légal.
Selon la Ligue des droits de l'homme, la Chancellerie, interrogée par le ministère de l'intérieur, a d'ailleurs émis, dans une note en date du 7 mars 2006, d'importantes réserves « sur la constitutionnalité des dispositions de l'article 25, [numéro de l'article alors qu'il ne s'agissait que d'un avant-projet de loi] ».
Ces dispositions violent le principe de proportionnalité posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».