Intervention de Silvana SILVANI

Réunion du 19 décembre 2023 à 15h00
Erasmus de l'apprentissage — Vote sur l'ensemble

Photo de Silvana SILVANISilvana SILVANI :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de débattre avec vous d'un projet européen qui, selon moi, est des plus positifs, car il permet d'échapper à la logique de marché de l'Union européenne : il s'agit bien sûr du dispositif Erasmus.

Outil d'émancipation, de coopération et de brassage culturel, ce programme est aux antipodes des négociations menées aujourd'hui même par la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'immigration.

Aussi cette proposition de loi pour un Erasmus de l'apprentissage, déposée par un membre de la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale, me met-elle profondément mal à l'aise.

Nous en débattons alors que, de l'aveu d'une députée du même groupe parlementaire que l'auteur de ce texte, l'exécutif s'emploierait à « offrir un plateau d'argent » à l'extrême droite.

Parmi ces mesures, citons l'exigence du dépôt préalable d'une « caution retour » pour les étudiants désireux de poursuivre leurs études en France.

Dénoncé fermement par France universités dans un communiqué paru il y a deux jours, le dépôt d'une telle caution condamnerait les étudiants hors de l'Union européenne à se détourner de la France pour poursuivre leurs projets de formation. L'accueil d'étudiants internationaux dans les cursus scientifiques ou d'ingénierie est pourtant indispensable au développement industriel de la France.

Le Gouvernement accroît pour nos apprentis les moyens de se former à l'étranger tout en restreignant pour les jeunes étrangers les possibilités d'étudier en France : ce « en même temps » est une contradiction profonde, qui nous éloigne de la tradition d'ouverture de la France en matière d'accueil d'étudiants internationaux. Il va à l'encontre de l'esprit de coopération culturelle et scientifique qui distingue le programme Erasmus lui-même.

En outre, le rôle que le Gouvernement attribue à l'apprentissage doit être examiné à l'aune des réformes à l'œuvre pour démanteler l'enseignement professionnel public.

Fruit d'un raisonnement utilitariste, ces réformes ont subordonné les enseignements généraux aux stricts besoins professionnels et, plus globalement, le lycée professionnel aux besoins des décideurs locaux et du patronat.

La réforme Attal de la voie professionnelle ne fait que calquer la filière professionnelle tout entière sur le modèle des CFA, qui sont au service des entreprises. Elle orchestre l'orientation de jeunes de 15 ans vers les métiers les plus pénibles et les moins valorisés de ce pays en les rémunérant 2, 80 euros de l'heure…

Cette proposition de loi a bel et bien un mérite : favoriser l'égalité d'accès à Erasmus entre les alternants, d'une part, et, de l'autre, les étudiants de l'enseignement supérieur. Toutefois, nous ne sommes pas dupes.

Le présent texte ne saurait cacher la réforme de la voie professionnelle, qui cautionne la ségrégation sociale et accentue la polarisation de notre pays : on trouve, d'un côté, des exécutants souvent mal payés, aux conditions de travail difficiles ; et, de l'autre, des métiers exigeant des études supérieures toujours moins accessibles, lesquelles seraient même d'emblée réservées aux classes les plus aisées.

Enfin, je souhaite vous faire part des grandes réserves que m'inspire la logique du « tout-apprentissage », du CFA au bac+5.

Le coût de cette politique pour les finances publiques est proprement abyssal. On a ainsi mobilisé 5, 9 milliards d'euros pour France compétences en 2022.

Elle n'est que peu favorable aux jeunes, puisque près d'un tiers des contrats d'apprentissage se terminent avant leur terme et que près d'un quart desdits contrats se soldent par un abandon définitif sans diplôme.

J'ajoute qu'elle reproduit les inégalités du marché du travail. Comme le pointe le sociologue Gilles Moreau, l'apprentissage accueille toujours aussi peu de filles – ces dernières ne représentent que 30 % des effectifs d'apprentis – et ne concerne que très peu d'enfants issus de l'immigration.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

Bien entendu, nous sommes totalement favorables à la mobilité de nos jeunes, en Europe ou ailleurs. Mais, à nos yeux, la véritable urgence est de renforcer les enseignements de la voie professionnelle, notamment les langues : un tel effort serait on ne peut plus pertinent avant d'envoyer nos jeunes en formation à l'étranger.

De plus, nous sommes favorables à une allocation d'autonomie pour les étudiants et apprentis. Proposé par nos collègues du groupe écologiste, ce dispositif sera plus efficace pour favoriser les séjours internationaux qu'un mécanisme complexe censé lever les freins à la mobilité des apprenants.

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