Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec une profonde émotion que j’interviens ce soir, alors que le Sénat s’apprête à adopter définitivement la proposition de loi que j’ai déposée au mois d’avril dernier avec Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de nos collègues de la commission de la culture, avec le soutien du président Laurent Lafon ; je les remercie tous très sincèrement.
Je me félicite, sur le plan symbolique, que la discussion parlementaire s’achève dans la chambre du Parlement où la réflexion a débuté voilà plus de vingt ans, avec la proposition de loi déposée par notre ancien collègue Nicolas About relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud.
Vous savez à quel point j’ai fait mienne cette question de la restitution de restes humains depuis l’affaire de la tête maorie du muséum de Rouen, voilà quinze ans. Ce sujet, qui touche au respect de la dignité de la personne humaine, à l’égale dignité des cultures, à la justice et à la mémoire, me paraît essentiel.
En dépit des réserves, que je ne comprends pas très bien, exprimées par certains groupes à l’Assemblée nationale, je considère que notre pays s’honore à se doter d’un cadre facilitant la restitution de certains restes humains présents dans nos collections publiques.
Tout d’abord, il s’agit d’un texte profondément empreint d’humanisme et d’universalisme. Gardons à l’esprit les demandes sincères formulées par des communautés étrangères en vue d’honorer la mémoire de leurs ancêtres selon leurs rites et leurs traditions. Nous ne saurions les rejeter systématiquement ou leur imposer des délais exorbitants, alors que l’expérience des têtes maories a démontré que les restitutions sont l’occasion de bâtir des relations plus solides et plus apaisées et de développer de nouvelles coopérations en se penchant ensemble sur notre histoire commune.
Ensuite, il est indispensable que le législateur résolve le conflit de normes qui oppose, d’un côté, le principe d’inaliénabilité des collections et, de l’autre, le principe, résultant des lois bioéthiques, d’interdiction de la patrimonialisation du corps humain.
Enfin, ce cadre apporte la garantie que les demandes de restitution de restes humains seront, à l’avenir, examinées de manière transparente et selon des critères objectifs, de manière à mettre un terme aux pratiques qui pourraient s’apparenter au fait du prince.
Ce texte ne répond pas à une impulsion du moment ; il est le fruit d’une mûre réflexion, alimentée à la fois par le travail conduit sous l’impulsion du législateur par feu la Commission scientifique nationale des collections (CSNC) et par les travaux de contrôle que notre commission a engagés depuis 2019 sur la question des restitutions.
C’est grâce à ce long processus collectif de gestation que nous sommes aujourd’hui parvenus à un texte équilibré, rendant possible la restitution de certains restes humains identifiés, tout en l’encadrant de manière suffisamment stricte pour ne pas remettre en cause le principe d’inaliénabilité, essentiel à la préservation de nos collections.
Le texte circonscrit précisément les conditions dans lesquelles des dérogations à ce principe peuvent être accordées. C’est pourquoi la commission mixte paritaire est d’ailleurs revenue sur la possibilité qu’avaient introduite les députés de restitutions à des fins mémorielles. L’imprécision de ce terme aurait pu ouvrir la voie à une infinité de possibilités d’usages des restes humains restitués, au risque de faire perdre toute portée au principe d’inaliénabilité.
Je sais, madame la ministre, que vous vous êtes engagée à préciser les contours du terme « funéraires » dans le décret d’application : l’expérience acquise avec la restitution des têtes maories prouve qu’il recouvre un sens plus large que la simple inhumation ou crémation et qu’il recouvre toutes sortes de rites permettant d’honorer la mémoire du défunt, y compris la création d’un mémorial.
Le texte met par ailleurs en place une procédure objective et transparente apportant de solides garanties sur le caractère scientifique, juridique et impartial de l’examen qui sera fait des demandes de restitution : un comité scientifique bilatéral sera chargé d’identifier les restes humains en cas de doute et le Conseil d’État aura pour mission de contrôler la décision de restitution avant son adoption.
Les propositions de rédaction que j’ai introduites en commission mixte paritaire avec mon homologue rapporteur de l’Assemblée nationale ont permis d’accroître l’information du Parlement dès le dépôt de la demande de restitution, et ce tout au long de la procédure, afin qu’il puisse, si besoin, lancer des travaux de contrôle approfondis.
Compte tenu du caractère interétatique de la procédure mise en place, il n’a pas été possible de la transposer aux cas des restes humains ultramarins. C’est pourtant un enjeu majeur, pour lequel il est urgent que nous trouvions une solution, comme en témoigne le cas des restes humains kaliña conservés dans les collections du musée de l’Hommet ; l’association Moliko Alet+Po, dont je salue la présence en tribune, en demande la restitution.
L’article 2 vise à confier au Gouvernement le soin de remettre, d’ici à un an, un rapport au Parlement identifiant une solution pertinente, globale et pérenne. Madame la ministre, vous avez proposé, avec le ministre des outre-mer, d’associer les délégations aux outre-mer des deux assemblées à cette réflexion à laquelle il faudrait ajouter, à mon sens, les commissions des lois et de la culture. L’important est que nous nous mettions tous rapidement autour de la table.
Malgré son caractère consensuel, l’examen de cette proposition de loi a été complexifié par l’imminence de la troisième loi-cadre, relative aux biens culturels. Je veux croire, madame la ministre, que nos discussions auront permis de mettre en lumière certaines des lignes directrices voulues par le législateur : la nécessité de dérogations au principe d’inaliénabilité limitées et parfaitement justifiées ; l’importance d’une procédure garantissant non seulement une expertise scientifique croisée, mais aussi un avis indépendant permettant d’éclairer l’autorité décisionnaire quant à l’équilibre à trouver entre les différents intérêts en jeu ; enfin, le besoin d’y associer le Parlement.
D’ici là, il me paraît primordial de disposer d’un état des lieux précis et de donner un coup d’accélérateur à la politique en matière de recherche de provenance, afin que ces lois-cadres puissent effectivement produire leurs effets.