Intervention de Marie-Do AESCHLIMANN

Réunion du 18 décembre 2023 à 21h30
Utilisation des titres-restaurant — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Do AESCHLIMANNMarie-Do AESCHLIMANN :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a toujours gardé un œil vigilant sur le pouvoir d’achat des Français. Celui-ci constitue leur préoccupation principale d’après une récente étude de l’institut CSA, qui révèle que l’alimentation représente le premier poste de dépenses des ménages et qu’il est en augmentation.

En effet, malgré le ralentissement de l’inflation, la hausse des prix alimentaires continue de grever le pouvoir d’achat.

Dans ce contexte, il nous est proposé de prolonger l’assouplissement des règles d’utilisation du titre-restaurant. Cette disposition a été introduite par le Sénat, à titre temporaire, à l’été 2022, dans le cadre des mesures d’urgence pour protéger le pouvoir d’achat face à l’inflation.

Si l’objet de la proposition de loi est simple, il importe de s’arrêter sur sa portée et sur ses implications.

Créé en 1967, le titre-restaurant est un titre spécial de paiement, cofinancé par l’employeur, à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale, et par le salarié. Acquis par l’employeur auprès de sociétés émettrices, il est remis aux salariés, sous forme papier ou dématérialisé, et il doit servir à l’achat d’un repas pris pendant l’horaire de travail journalier du salarié.

Cette vocation de soutien au repas du travailleur justifie l’octroi d’avantages sociaux et fiscaux. Ainsi, la contribution de l’employeur à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l’assiette des cotisations et des contributions sociales. Ce complément de rémunération est exonéré d’impôt sur le revenu dans la limite d’un plafond revalorisé chaque année.

L’impact du titre-restaurant pour les finances publiques s’élevait ainsi, en 2021, à 1, 8 milliard d’euros : 1, 4 milliard d’euros pour la sécurité sociale et 400 millions d’euros pour l’État.

Au 31 décembre 2022, quelque 180 000 employeurs avaient recours au titre-restaurant et 5, 2 millions de salariés, soit 19 % d’entre eux, en bénéficiaient. Il offre une sécurité sociale de rechange à la mise en place d’un restaurant d’entreprise ou à l’octroi d’une indemnité-repas dite prime de panier.

Il convient de préciser que la remise de titres-restaurant par l’employeur n’est pas obligatoire. Elle représente toutefois un levier d’attractivité et de fidélisation des salariés. Elle constitue aussi un objet de dialogue social, donnant lieu à des accords d’entreprise dans le cadre des négociations obligatoires sur la rémunération.

Le titre-restaurant est accepté par les restaurateurs, les hôteliers-restaurateurs, les détaillants en fruits et légumes et les commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant, comme les commerces de bouche et les magasins de la grande distribution, soit au total 234 000 commerces, dont 65 % de restaurants.

Le repas acheté au moyen de titres-restaurant doit être composé de préparations alimentaires directement consommables, à réchauffer ou à décongeler, le cas échéant ; il peut également être composé de produits laitiers ou de fruits et légumes, directement consommables ou non.

La valeur faciale unitaire du titre peut atteindre au maximum 13, 82 euros, lorsque le salarié y contribue à hauteur de 50 %.

Il est patent que le dispositif n’a pas pour vocation première de soutenir le pouvoir d’achat des salariés. Il a cependant été mobilisé à cette fin pour faire face à la forte inflation en 2021 et en 2022.

D’une part, le Gouvernement a rehaussé le plafond d’utilisation journalière de 19 euros à 25 euros à compter du 1er octobre 2022.

D’autre part, le plafond d’exonération de la participation de l’employeur a été relevé à 5, 92 euros par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, puis à 6, 50 euros par la loi de finances du 30 décembre 2022 et à 6, 91 euros par un décret du 31 mai 2023.

Lors de la discussion, au Sénat, de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat, notre collègue, Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales, a proposé d’élargir le périmètre d’utilisation du titre-restaurant.

Cette loi a ainsi prévu un dispositif dérogatoire permettant d’utiliser, jusqu’au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l’achat de tout produit alimentaire, qu’il soit directement consommable ou non : par exemple, de la farine, des pâtes, du riz ou de la viande non préparée. Ce régime est applicable auprès des commerces assimilés tels que les grandes et moyennes surfaces ou les épiceries.

Depuis la mise en œuvre de cette dérogation, la part des titres-restaurant utilisés dans les grandes et moyennes surfaces est passée, selon la CNTR, de 22, 4 % à 28, 9 %. Si elle reste prépondérante, la part des restaurants a baissé, de 46, 5 % à 44, 3 %, tout comme celle des commerces de bouche, qui est passée de 30, 9 % à 26, 2 %.

Toutefois, la corrélation entre cette évolution et le régime dérogatoire n’est pas évidente. En effet, d’autres paramètres peuvent aussi expliquer la tendance à l’augmentation de la part de marché des grandes et moyennes surfaces : ainsi en est-il du développement du télétravail ou de la préférence croissante pour la préparation de plats à domicile, comme c’est déjà le cas pour 62 % des salariés en Italie.

Au fond, l’évolution constatée dans l’utilisation des titres-restaurant serait antérieure à la mesure dérogatoire et pourrait remonter à la crise sanitaire.

De toute façon, selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), la composition du panier d’achat au moyen des titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces n’a pas été bouleversée par le dispositif dérogatoire. La CNTR estime que 70 % à 75 % des achats restent des produits directement consommables.

Quinze mois après l’entrée en vigueur de cette mesure dérogatoire, on constate que l’inflation, qui avait justifié la mise en place de ce régime, est toujours d’actualité. Selon les données provisoires de l’Insee, les prix de l’alimentation auraient même augmenté de 7, 6 % entre novembre 2022 et novembre 2023.

Le Gouvernement, qui n’avait pas anticipé la sortie du dispositif dérogatoire créé en 2022, a été interpellé par des associations familiales et des élus. C’est ce qui a obligé le ministre Bruno Le Maire à se prononcer, devant la commission des affaires économiques du Sénat, en faveur de sa prolongation pour une année supplémentaire.

C’est ainsi, madame la ministre, que nous nous retrouvons, aujourd’hui, contraints de légiférer sur un dispositif qui doit prendre effet dans deux semaines exactement…

La proposition de loi de Guillaume Kasbarian, déposée le 17 novembre et adoptée par l’Assemblée nationale le 23 novembre, vise donc à reporter au 31 décembre 2024 le terme de ce dispositif dérogatoire. Je tiens à rappeler qu’une proposition de loi sénatoriale qui avait été déposée deux jours plus tôt, le 15 novembre, par nos collègues Sophie Primas, Frédérique Puissat, Alexandra Borchio Fontimp, visait exactement le même objectif.

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